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Blocage des sites pornos pour les mineurs: pourquoi le projet du gouvernement est un casse-tête

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Le gouvernement ambitionne de forcer les sites pour adultes à contrôler l’âge des internautes. Une initiative qu’aucun pays dans le monde n’a réussi à mettre en place.

Comme une impression de déjà-vu: ce 5 février, le ministre délégué au numérique Jean-Noël Barrot annonce au Parisien sa volonté de "faire respecter la loi une bonne fois pour toutes". Une promesse déjà faite par ses prédécesseurs par le passé. La loi en question n’est autre que celle qui impose aux sites pornographiques de ne pas ouvrir leurs portes à des internautes mineurs. Un texte qui n’est respecté nulle part sur le Web: un simple clic sur un bouton "je certifie être majeur" permet le plus souvent d’accéder à une nuée de contenus pornographiques.

Tiers de confiance

Le projet du gouvernement, qui devrait être encadré par des recommandations de la Cnil et de l’Arcom dans les prochains jours, est d’imposer aux sites pornos de vérifier l’âge des internautes. Avec, comme l’explique le cabinet de Jean-Noël Barrot, une piste privilégiée: l’utilisation d’un tiers de confiance.

Concrètement, un tiers de confiance pourrait prendre la forme d’une application - créée par une entreprise privée - que l’internaute devrait installer pour y télécharger un document prouvant sa majorité (une pièce d’identité, un contrat bancaire etc.). Sans communiquer l’identité de l’utilisateur, ce tiers de confiance devrait ensuite confirmer au site pornographique que ce dernier est majeur, afin d’autoriser la connexion.

Sur le papier, ce modèle semble techniquement viable… à condition de miser sur la bonne volonté des plateformes pour nouer des partenariats avec ces tiers de confiance et de créer un protocole de vérification uniquement dédié aux internautes français.

Mais comme le rappelait déjà la Cnil en 2022, la sollicitation de ces tiers de confiance n’est pas sans risque: ces entreprises auraient alors en leur possession une base de données regroupant des pièces d’identité et des listes de sites pornographiques consultés. Des informations hautement sensibles qui poussent la Cnil à suggérer l’intervention d’un second tiers de confiance, chargé de l’une des deux étapes (vérifier l’âge ou communiquer avec le site porno), pour dissocier les deux informations.

Pour mettre en application un tel système, la Cnil a récemment diffusé un cas d’usage, dans lequel l’internaute souhaitant se connecter à un site pornographique demanderait un certificat de majorité à un organisme ayant déjà la preuve de sa majorité (sa banque, ou son fournisseur d’énergie), qu’il pourrait ensuite transmettre à une plateforme pour adulte pour pouvoir s’y connecter. Une option qui éviterait l’installation d’une application supplémentaire.

Système imparfait

S’il peut paraître particulièrement laborieux, ce système est pourtant le seul susceptible d’être mis en place: la Cnil écarte depuis plusieurs années toute vérification d’âge basée sur la transmission directe de document d’identité aux plateformes, sur la reconnaissance faciale, ou sur l’enregistrement d’une carte bancaire. Avec à chaque fois la même raison: un risque disproportionné sur les données personnelles.

Dans les faits, cette vérification par un tiers de confiance est aisément contournable. Tout d’abord par le simple fait que si des géants du porno pourraient être mis sous pression pour jouer le jeu, des millions d’autres sites basés à l’étranger continueraient à offrir un accès à tous les internautes, sans vérification d’âge.

Une autre difficulté est liée au système en lui-même: sans outil de reconnaissance faciale, impossible pour le tiers de confiance de s’assurer que l’internaute qui utilise le service est bien celui qui figure sur les documents d’identité - par exemple, si un jeune adolescent ayant venait emprunter la pièce d’identité d’un autre membre de la famille.

Le cas Twitter

Enfin, de nombreux outils, aujourd’hui largement maîtrisés, permettent aux jeunes internautes d’éviter cette vérification, rappelle la Cnil. A commencer par les VPN, par ailleurs recommandés pour protéger sa vie privée, qui peuvent simuler une connexion depuis un pays étranger, où une telle obligation de vérification d’âge n’existe pas.

“Au Royaume-Uni, où de telles mesures ont été longtemps envisagées, 23% des mineurs déclarent pouvoir contourner les mesures de blocage et certains éditeurs de contenus pornographiques proposent déjà des services de VPN” explique ainsi la Cnil.

Pour faire respecter la loi, le gouvernement devrait enfin s’attaquer à d’autres plateformes, à première vue loin de l’univers pornographique. A commencer par Twitter, qui autorise les vidéos pour adultes. Charge à Jean-Noël Barrot de convaincre Elon Musk de mettre en place un système de vérification d’âge pour ses millions d’utilisateurs français.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co