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"On retourne leur arme contre eux": Tanaland, le pays imaginaire anti-masculiniste des réseaux sociaux

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Sur Tiktok, des utilisatrices ont créé Tanaland, un pays fictif de 18 millions d'utilisatrices réservé aux femmes. L'objectif de cette tendance? Détourner une insulte populaire sur les réseaux pour lutter contre les comportements sexistes.

Un drapeau rose, du soleil toute l'année, Aya Nakamura comme Première ministre et surtout... aucun homme. Ça, ce sont les promesses de Tanaland, un pays fictif réservé exclusivement aux femmes.

Tout est parti d'une insulte sur les réseaux sociaux. Le mot "tana" (probablement issu de l'espagnol "putana", qui signifie "pute") est en effet utilisé par de plus en plus d'utilisateurs pour insulter des femmes dans l'espace commentaire de leurs vidéos Tiktok. Dans certains cas, ces comportements virent au cyberharcèlement.

"C'est simplement vouloir vivre tranquillement"

"Il y a deux semaines, des hommes ont commencé à sortir ce terme sous les vidéos des filles sur les réseaux sociaux pour tout et n'importe quoi ", souligne l'influenceuse Toomuchlucile auprès de Tech&Co.

Une vidéo maquillage, une vidéo storytime (un format où l'utilisateur raconte une anecdote, ndlr) ou une simple danse: "Dès qu'il y a une meuf, vous êtes sûrs de trouver au moins cinq commentaires de personnes qui l'insultent de Tana." La créatrice de contenus suivie par 1,3 million d'abonnés sur Tiktok a elle-même été victime de ces commentaires insultants.

Or, "ce n'est pas la première fois que des hommes inventent une tendance misogyne sur Tiktok", rappelle-t-elle.

Agacées par ces comportements récurants, certaines utilisatrices ont donc décidé de se réapproprier le sens du mot en inventant le Tanaland, une "safe place" pour les femmes. Ici, seules deux règles sont en vigueur: le pays est interdit aux hommes et tout doit être rose.

Les avantages de cette ville imaginaire sont nombreux. Sans hommes, plus besoin de faire attention à sa tenue par exemple. Les femmes peuvent s’exprimer librement, sans jugement et sans peur de se faire agresser.

"Etre une Tana, c'est simplement vouloir vivre tranquillement. C'est vivre sans le regard des hommes pour nous restreindre dans nos actions et nous insulter de tous les noms", résume Toomuchlucile. "Toutes les femmes peuvent venir dans le pays et être une tana, puisqu'on se fait toutes insulter", sourit-elle tristement.

Un drapeau, un hymne et 18 millions de résidentes

A coup de hashtags et de montages, plusieurs utilisatrices et créatrices de contenus partagent sur la plateforme des vidéos pour montrer à quoi ressemblerait le pays. Les vidéos sont directement inspirées de l'univers de Barbie, bâtiments et paysages roses à l'appui.

Au fur et à mesure, la communauté s'est structurée et a ainsi créé son propre drapeau, son propre hymne, et même sa propre carte.

On retrouve ainsi les quartiers "Brook-Tana", "Tana VIP Quarter" et une ligne de métro avec des arrêts comme "Porte de polska" ou "Tribunale de Lucie-sur-Tana". Il existe également un compte Tiktok, baptisé Tanaland info, qui fait office de média national. En ce qui concerne la météo, le soleil brille tous les jours dans ce monde imaginaire, afin de garantir à ses occupantes un bronzage parfait toute l’année.

Depuis, un gouvernement a été créé. C'est Aya Nakamura, une des chanteuses francophones les plus écoutées au monde, qui a été proposée comme Première ministre. ToomuchLucile a de son côté été élue présidente du pays, aux côtés de l'influenceuse Polska. Elles régissent ainsi un pays de 18 millions d'utilisatrices depuis Tana City, la capitale du pays.

Un message politique

Car au-delà de cette réponse pleine d'humour, le message est surtout politique. Tanaland est un élan spontané du féminisme qui a pour objectif de contrer une nouvelle vague de commentaires sexistes sur les plateformes. Pour rappel, selon l'enquête 2022 de l'association Féministes contre le harcèlement, 84% des victimes de cyberviolences sont des femmes.

"L'idée, c'est de dénoncer le comportement misogyne des hommes et de l'utiliser pour en faire une force. On retourne leur arme contre eux pour en faire une force et leur montrer que ça ne nous touche pas", insiste Toomuchlucile.

"A partir du moment où on n’en a plus rien à faire du regard des hommes et de leurs insultes, qu’on ne leur accorde plus d’importance, et qu’on redéfinit leurs insultes, tout le pouvoir est dans nos mains", souligne de son côté la créatrice de contenus Kriplusfort sur Instagram. "Ils ne peuvent plus rien faire, ils n’ont plus aucun pouvoir!"

Pour mettre en lumière le harcèlement de rue ou les commentaires des hommes sur leurs tenues, des femmes filment par exemple leur tenue en expliquant être "en route pour Tanaland", un endroit où elles peuvent s'habiller comme elles veulent sans craindre un commentaire misogyne. "Je vous rejoins à Tanaland parce que j’ai osé porter un legging en journée", ironise une internaute.

L'ampleur du mouvement est telle, qu'il dépasse le simple cadre des réseaux sociaux. Des utilisatrices se sont réunies via des groupes WhatsApp ou des groupes de discussions sur Instagram pour échanger entre elles et s'entraider. Certaines prévoient même d'organiser des soirées Tanaland, uniquement réservées aux femmes.

Tanaland VS Charoland

Une initiative qui a, malgré tout, engendré son lot de commentaires sexistes.

"Ca m'a fait rire d'être désignée présidente", lance Toomuchlucile. "L'inconvénient, c'est que je suis devenue la cible des personnes qui critiquent le mouvement. Ils ne comprennent que tana, ce n'est plus une insulte, au contraire."

Pour répondre à la tendance de Tanaland, certains hommes ont ainsi créé Charoland, un pays imaginaire rempli de femmes... où ils pourraient agir comme ils le souhaitent. Bref, un monde pas très loin de la réalité selon certaines utilisatrices. D'autres hommes sur le réseau social se sont toutefois exprimés pour défendre le Tanaland et tentent même de candidater pour obtenir un visa pour le pays rose bonbon.

Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que les réseaux sociaux inventent un pays. En 2022, une poignée d'internautes sur Twitter avaient créé de toute pièce le Listenbourg, un pays fictif pour se moquer du niveau en géographie des Américains.

Salomé Ferraris