Tech&Co
Réseaux sociaux

"Des facilitateurs": Elon Musk et Donald Trump participent-ils à la réhabilitation d'Adolf Hitler sur les réseaux sociaux?

placeholder video
Avec le bras levé d'Elon Musk s'apparentant à un salut nazi, lors d'un événement organisé pour l'investiture de Donald Trump, la question de la résurgence des idées nazis sur les réseaux sociaux prend de l'importance.

Malgré les dénégations du milliardaire qui possède X, réseau social clé dans la reconquête du président américain pour son second mandat, le retour d'un discours favorable aux idées nazis et glorifiant Adolf Hitler se sont multipliés, alors même que le monde célèbre cette année le 80ème anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale.

S'il n'existe pas de chiffres pour quantifier avec précision ce phénomène, la non-suppression de plus d'un tiers des messages haineux sur les réseaux sociaux laisse entrevoir l'ampleur de ce phénomène, que soulignent certains spécialistes.

"Sur le nombre de personnes qui sont, disons, fans du mythe d'Adolf Hitler, on n'a pas de chiffres spécifiques, mais depuis l'arrivée de Trump au pouvoir, on voit en ligne une empreinte de figures soit favorables à Hitler, soit qui ont une posture de relativisation de son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale," explique Tristan Mendès France, maître de conférences associé à l'université Paris Cité, à Tech&Co.

La réhabilitation de profils néonazis en question

Pour ce spécialiste des fausses informations, qui participe également au projet ConspiracyWatch et à l'émission Complorama sur Franceinfo, l'accélération est "significative", et même plus spécifiquement liée à l'arrivée d'Elon Musk dans le jeu politique.

"La raison est simple: il a d'abord réhabilité de nombreux profils néonazis et favorables à Adolf Hitler et grâce à l'achat de la vérification, a réussi de manière spectaculaire à augmenter leur nombre d'abonnés et donc leur visibilité," précise-t-il.

Car le salut nazi d'Elon Musk n'est finalement qu'une pièce de plus dans une machine politique qu'il a forgé, avec soin, depuis de nombreux mois. Lors du rachat de Twitter, devenu depuis X, l'entrepreneur a fait de sa lutte pour une liberté d'expression totale - bien qu'à géométrie variable - son combat.

Mais surtout, il a également opéré un virage politique à 180 degrés en multipliant les discours haineux, et en interagissant bien volontiers avec des visages de l'extrême droite américaine, puis mondiale.

Avec Donald Trump, il a trouvé le candidat qui lui permet aujourd'hui de vaincre la pensée "woke", selon ses dires. Mais si le président américain a pour lui son rôle de chef d'État, c'est la portée des publications d'Elon Musk qui pose désormais question. Car si aux États-Unis, la liberté d'expression est bien plus importante - on peut faire des saluts nazis ou glorifier la race blanche dans l'espace public - en Europe, ces actes sont la plupart du temps considérés comme un délit pénal, qui peut aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende.

De même qu'un salut fasciste peut-être considéré comme un crime s'il constitue un risque pour l'ordre public, avait précisé l'Union européenne en février 2024.

Cela n'empêche pas les discours du milliardaire d'avoir une portée mondialisée, impossible à circonscrire.

"Les plus grands influenceurs qui irradient à l'international via les réseaux sociaux proviennent des États-Unis, visiblement du fait du gouffre culturel qu'il y a entre l'Europe et les États-Unis relatif au premier amendement [concernant entre autres la liberté d'expression, ndlr]", ajoute Tristan Mendès France.

L'influence indirecte grandissante grâce aux réseaux sociaux

Ces influenceurs, comme Elon Musk et ses 200 millions d'abonnés sur X, profitent de leur popularité devenue possible grâce à l'algorithme modifié par l'entrepreneur, pour porter leurs messages haineux bien au-delà des frontières de la constitution américaine. "Cela vient indirectement exciter une partie de l'opinion publique européenne, la plupart du temps la plus radicale", poursuit le chercheur.

Par ailleurs, Donald Trump et Elon Musk ont un autre point commun: les deux hommes viennent régulièrement ouvrir en grand la "fenêtre d'Overton" en racontant des choses toujours plus folles pour que la précédente idée soit finalement vue comme plus acceptable.

"Elon Musk a plus spécifiquement participé à l'ouverture d'une fenêtre d'Overton nazi," ajoute l'universitaire, "lui-même ayant réhabilité des comptes néo-nazis, et avec ce qui s'apparente à un salut nazi, il est à la fois le compte le plus suivi de la planète, et le patron de X, dont il devient le curseur acceptable pour tous les utilisateurs de la plateforme".

Pour Tristan Mendès France, c'est la manière dont les utilisateurs, même ceux qui ne sont pas acquis à sa cause, voient les publications tous azimut du milliardaire, qui peut avoir un impact sur la manière dont le public va réagir à la réhabilitation voulue par les adorateurs d'Adolf Hitler et du nazisme.

Lorsqu'Elon Musk se range du côté du parti d'extrême droite allemand - considéré comme "extrémiste" - Afd, il le fait là aussi depuis son réseau social. Il a ainsi relayé à de nombreuses reprises l'idée qu'Adolf Hitler était "socialiste" (donc de gauche), comme l'Afd a pu le faire, et n'a pas non plus hésité à relayer ou interagir avec des mèmes sur le nazisme.

En 2024, ce sont plus de 610.000 publications qui avaient amplifié des propos racistes peu avant l'élection américaine, sans jamais être modérées.

Elon Musk est devenu "un facilitateur"

"Sans faire la promotion du nazisme en tant que telle, Elon Musk devient un facilitateur de l'ampleur et la viralisation, même s'il n'est pas le seul," précise-t-il.

D'autres influenceurs sont sur le même créneau, et ont une place de choix sur X. C'est le cas d'Alex Jones, fondateur d'Infowars, qui a relayé des théories du complot ayant entraîné sa fermeture, ou encore Candace Owens, pro-Trump et adepte des fausses informations. Tristan Mendès France s'inquiète du discours de "relativisation" et de "réécriture" de l'histoire du nazisme, dans le seul but d'absoudre les actes d'Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale.

Parmi les autres figures, soutenues par Elon Musk et adoubées par Donald Trump, il y a également Joe Rogan. L'influent animateur du podcast portant son nom, et qui est le plus populaire au monde - et signé en exclusivité chez Spotify - ne se cache plus d'inviter des personnalités contestées pour remettre en cause les faits historiques.

Lors d'un podcast diffusé au début du mois d'avril 2025, il a ainsi reçu le chroniqueur conspirationniste Douglas Murray afin qu'il étaye son idée que Winston Churchill était "le véritable méchant" de la Seconde Guerre mondiale, et que les nazis n'auraient jamais eu comme intention de "tuer des millions de personnes". Une sortie qui a fait bondir jusqu'au camp conservateur anglais, très attaché à la figure de l'ancien Premier ministre.

Mais X n'est pas la seule plateforme concernée: en septembre 2024, il avait été révélé par la chaîne Sky News que plus de 70.000 contenus, représentants 21 millions de "J'aime" utilisant des sons glorifiants le nazisme étaient accessibles sur Tiktok.

"Ce n'est pas le rôle des historiens d'être influenceurs"

"Viraliser ces contenus sur les réseaux sociaux en s'appuyant sur la lecture américaine de la liberté d'expression, ça va nourrir mécaniquement des communautés qui pourraient être marginale en Europe, et leur donner un second souffle en leur disant qu'elles ne sont plus aussi marginale," précise Tristan Mendès France.

Face à ces discours, on ne peut pas non plus dire qu'il y ait foule. Que ce soit sur les plateaux de télévision, les journaux ou sur les réseaux sociaux, c'est bien le manque d'historiens entraînés à répondre à ces attaques contre l'histoire bien réelle qui permet à l'extrême droite de se trouver un véritable terrain de prédilection.

"Disons que la majorité des historiens qui sont en capacité de porter un contre-discours, ce n'est à la fois pas leur rôle, ni leur spécialité, que de devenir des influenceurs sur les plateformes sociales," note toutefois Tristan Mendès France, "c'est d'abord des chercheurs, mais c'est comme les professionnels de la santé pendant la période du COVID-19."

La faute à la banalisation des débats virulents, selon ce spécialiste de la culture numérique, qui ont pignon sur rue sur les différents réseaux sociaux. S'exprimer sur ces plateformes, c'est "prendre un risque" et "il faut avoir le cuir épais".

Pour celui qui n'hésite pas à porter le youtubeur Nota Bene en porte-étendard du discours historique rationnel, c'est cette difficulté à rendre audible des faits prouvés et inattaquables face à la toute puissance des influenceurs et personnalités d'extrême droite qui participe à la banalisation du relativisme. "Ce n'est jamais facile d'être exposé à ce type de discours sur les plateformes sociales, pour la raison toute simple que l'on est directement mis en contact avec ceux qu'on dénonce, ce qui n'est pas le cas quand on fait un travail universitaire. Sans oublier l'effet de communauté participant à l'agression."

Tristan Mendès France n'est pas pour autant fatigué: "C'est passionnant bien qu'inquiétant à observer," estime-t-il, "c'est un thermomètre de l'état d'une société."

Et dans le cas des Etats-Unis et d'une certaine manière en Europe à cause de la globalisation de l'information en ligne sur les plateformes, cela peut aussi témoigner d'une brutalisation du débat, et avec elle, "une visibilité accrue du délitement d'une société", conclut-il.

Sylvain Trinel