Marseille: à 102 ans, Albert Corrieri, victime du STO en Allemagne, demande réparation à l'État

Envoyé en Allemagne à 20 ans dans le cadre du Service du travail obligatoire, Albert Corrieri, aujourd'hui âgé de 102 ans, traduit l'État français devant la justice pour obtenir réparation de ses deux années de travail forcé et faire reconnaître les droits des "victimes oubliées" du STO.
"La France a une dette envers moi", dénonçait-il ce mardi 25 février au micro de BFM Marseille Provence. "J'ai trop souffert pour laisser passer."
"C'est un procès pour l'histoire et pour la mémoire, pendant que je peux encore témoigner de ce que j'ai subi", a déclaré à la presse celui qui fut le doyen des porteurs de la flamme olympique en mai à Marseille, avant d'entrer dans la salle d'audience du tribunal administratif.
"J'ai subi plus d'une centaine de bombardements"
Employé comme plombier dans un restaurant du Vieux-Port à Marseille, le jeune Albert Corrieri est emmené, le 13 mars 1943, dans le cadre du STO, institué par le gouvernement de Vichy pour répondre aux exigences allemandes de main d'œuvre.
"J'ai pris le train, destination inconnue. Nous sommes partis dans la ville de Ludwigshafen", dans l'ouest de l'Allemagne, se souvient l'alerte centenaire, sa canne-siège à la main.
Interné dans un camp, il charge des wagons de charbon pour soutenir l'effort de guerre allemand. Il sera blessé au bras lors des bombardements alliés. "J'ai subi plus d'une centaine de bombardements."
"J'ai pris une bombe à retardement qui m'a traversé le bras entièrement. Le gars à côté de moi a été tué net par un éclat reçu en plein cœur. J'ai vu son sang couler", a-t-il détaillé au micro de BFM Marseille Provence.
"Nous sommes des victimes oubliées", dit le vieil homme, qui réclame 43.200 euros (soit 10 euros de l'heure) au titre de sa rémunération pour la période de travail forcé accomplie à Ludwigshafen du 13 mars 1943 au 15 avril 1945.
"Il y a imprescriptibilité", assure son avocat
Tout en reconnaissant un "exil forcé organisé par l'État français", la rapporteure publique a rappelé que la législation française n'accorde pas le statut de "déporté" aux Français "contraints au travail en pays ennemi", reconnus comme "victimes civiles de guerre ayant droit à pension et avantages sociaux, ainsi qu'à une indemnité forfaitaire". Elle a donc recommandé le rejet de la requête au motif de la prescription.
Dans sa plaidoirie, Me Michel Pautot a rappelé que son client avait été "déporté par la volonté du régime de Vichy et réduit en esclavage". "Or", a-t-il insisté, "selon toutes les lois et conventions, nationales et internationales, la déportation comme la réduction en esclavage sont des crimes contre l'humanité et sont donc imprescriptibles par nature."
"Comme la preuve de déportation de monsieur Corrieri est rapportée, par voie de conséquence il y a imprescriptibilité et donc il a légitimement droit à la rémunération qu'il aurait dû toucher pour la période du STO", explique-t-il en détail à notre micro.
Et de conclure sa plaidoirie: "il ne peut pas y avoir de discrimination dans les crimes contre l'humanité." L'affaire a été mise en délibéré au 18 mars.
Une bataille menée par les historiens
Le 5 février, le tribunal administratif de Nice avait rejeté une requête similaire déposée par un autre ancien du STO, Erpilio Trovati, âgé de 101 ans, également défendu par Me Pautot. Une décision contre laquelle l'avocat a fait appel.
"Ils ne sont plus que quatre ou cinq en France", a rappelé Me Pautot, qui "demande à la République française de 'solder' le bilan mémoriel de cette triste et tragique période", affirmant que "Vichy est un passé qui ne passe pas".
La bataille d'Albert Corrieri et Erpilio Trovati, est également menée par les historiens. "Aujourd'hui, ce qu'on veut faire reconnaître dans le pays des droits de l'Homme, c'est qu'en réalité il est intolérable de pouvoir réduire à l'état d'esclavage un individu", résume auprès de BFM Marseille Provence Michel Ficetola, historien et président de l'association Massaliotte Culture.
Au total, entre 600 et 700.000 Français sont partis en Allemagne dans le cadre du STO. Si certains l'ont fait volontairement, souvent trompés par la propagande de Vichy, l'immense majorité ont été emmenés contre leur gré.