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La chambre régionale de la Cour des comptes épingle le plan Marseille en grand, trois ans après son lancement

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La chambre régionale de la Cour des comptes a dressé un premier bilan d’étape du plan Marseille en grand, trois ans après son lancement par Emmanuel Macron. Il en ressort un dispositif encore intangible, et dont les projets tardent à se concrétiser.

"Nous devons réussir ce pari et analyser ce qui a échoué: la réponse est forcément multiple, il n’y a pas de recette magique", prophétisait Emmanuel Macron le 2 septembre 2021 depuis le jardin du Pharo au lancement du plan Marseille en grand. Trois ans plus tard, ce dispositif inédit annoncé en grandes pompes cherche encore la bonne formule.

C’est ce qui ressort du rapport de 108 pages de la chambre régionale de la Cour des comptes, consulté par BFM Marseille Provence et Marsactu. Attendu depuis plusieurs mois, qualifié de juge de paix par les élus sur l’avancement des projets, il dresse un constat édifiant et désigne le plan comme "inabouti, fragile, surévalué et aux effets incertains."

La chambre régionale pointe également les responsabilités de ce retard à l’allumage, à commencer par celles de l’État.

L’État, premier responsable d’un plan mal conçu

En dehors du discours d’Emmanuel Macron, qui détaille l’ensemble des mesures pour améliorer les services publics, la mobilité, le logement ou encore la sécurité, il n’existe aucun document, ni même la moindre trace d’un cadre réglementaire pour inscrire les financements, fixer les grandes lignes, ou encore les objectifs à tenir.

Le jour de son discours, aucun projet n'avait fait l'objet d'une étude en amont des annonces.

Pire encore, l’État est en retrait dans la conduite de certains projets et ne s’est pas donné les moyens de mieux les gérer. Jusqu’en décembre 2023, seul le préfet à l’égalité des chances est en charge de la supervision de l’ensemble des dossiers, en plus de ses missions. Il faut attendre deux ans pour que le préfet de région affecte à plein temps une sous-préfète au suivi de Marseille en grand.

Deux ans, c’est à peu près le même laps de temps, pour voir la secrétaire d’État chargée de la ville et de la citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, être propulsée à la coordination de Marseille en grand. La dissolution de l’Assemblée nationale étant passée par là, elle n’est restée en poste qu’une année.

Et pour le moment, le nouveau gouvernement choisi par Michel Barnier a laissé le poste vacant. Laissant planer une nouvelle fois une forme d’incertitude au-dessus de Marseille en grand.

Des objectifs fixés difficiles à tenir dans les délais

Un attentisme qui n’est pas sans conséquence. Sur les transports, la promesse du président de la République de "désenclaver les quartiers Nord" semble un lointain souvenir. "Outre le fait qu’il n’est pas spontanément partagé en tant que priorité par la métropole (Aix-Marseille Provence NDLR), l’objectif de désenclavement apparaît peu explicité (…)", constate amèrement le rapport.

"Les 15 projets financés ne présentent pas de cohérence d’ensemble à l’échelle métropolitaine et ne répondent que partiellement à l’objectif affiché par l’État."

L’absence d’échanges et de remontées d’informations sur l’avancement des projets de transports a régulièrement été pointée du doigt lors des réunions du Groupement d’intérêt public (GIP Transports), instance chargée du suivi. En mars dernier, un point d’étape devait être assuré tous les trois mois. Depuis, c’est silence radio ou presque.

Une nouvelle réunion devait se tenir en ce mois d'octobre, décalée à deux reprises, par le préfet de région Christophe Mirmand puis par le maire de Marseille Benoît Payan pour des "questions d'agenda". Reste que sur ce volet, sept des quinze projets devaient être livrés dès l’année prochaine par la métropole Aix-Marseille Provence.

"Le plan écoles n’est doté d’aucun calendrier précis"

Autre incongruité, qui ravive les débats entre la majorité municipale et l’opposition ces dernières semaines, l’absence "d’un calendrier, d’un échéancier et d’objectifs clairs" sur Marseille en grand.

Sur le volet éducation, 188 écoles doivent être rénovées avec 400 millions d’euros d’aides de la part de l’État, mais leurs sorties de terre demeurent floues selon le rapport. "Le plan écoles n’est doté d’aucun calendrier précis. Une annexe (…) établit un calendrier des marchés à venir, et précise la date de livraison la plus tardive, mais la liste des écoles intégrant chacun de ces marchés n’est pas connue".

En septembre dernier, Benoît Payan annonçait l’inauguration de 17 écoles en 2024, et "70 en tout seront en route à la fin du mandat" en 2026. Des chiffres légèrement en deçà de ceux annoncés en octobre 2021 par le maire lui-même.

Le rapport s’interroge également sur les effets du plan Marseille en grand, "catalogue" de nombreuses mesures sans réellement constituer une vision globale. "Les mesures du volet éducation sont insuffisantes pour atteindre l’objectif d’amélioration des conditions de la réussite scolaire des élèves. Le plan Marseille en grand n’intègre aucune mesure spécifique visant à améliorer le climat scolaire, renforcer la santé des élèves ou accroître la mixité sociale des établissements" avertit le rapport.

Un risque de pertes de financements et un montant des aides surévalué? 

Autre problématique: les difficultés de financements. Cinq milliards d’euros, c’est l’enveloppe globale d’investissements assurée par l’État sur le papier. Mais dans la réalité, certains financements se heurtent à quelques obstacles et ne sont pas garantis d'être débloqués.

En matière de logement, 650 millions d’euros sont financés directement par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) concernant neufs quartiers d’intérêt national, plus cinq d’intérêt régional. Selon la loi, l’intégralité des projets doivent être livrés avant 2030 et les investissements lancés avant 2026 sous peine de perdre définitivement les crédits de l’État non engagés.

Or, au 14 décembre 2023, seuls 145 millions d’euros ont été engagés sur les 650 millions d’euros.

"La capacité opérationnelle à tenir les dates d’engagement est incertaine", s’inquiète la chambre régionale sur ce sujet. 

Enfin, si l’enveloppe des 5 milliards d’euros semble bien réelle, certains financements annoncés restent toujours dans l’attente. C’est le cas pour le soutien l’Assistance publique–Hôpitaux de Marseille (APHM). Le 27 juin 2023, lors de sa venue à Marseille, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé une aide de 240 millions d’euros supplémentaire. Problème: les modalités et le versement de ce montant n’ont pas été précisés et doit encore faire l’objet de discussions.

Reste qu’un chiffre semble résumer parfaitement ce retard à l’allumage de ce plan Marseille en grand. Selon les données de la préfecture des Bouches-du-Rhône, au 14 décembre 2023, soit plus de deux ans après l’annonce du plan, seul 1,31% des 5 milliards d’euros annoncés ont été versés par l’État pour la réalisation concrète de l’ensemble des projets. Preuve que tout reste à faire dans le plan Marseille en grand.

Francesco Carvelli