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Naufrage dans la Manche: pourquoi les traversées vers le Royaume-Uni sont-elles si meurtrières?

Des pompiers sont rassemblés autour des dépouilles de migrants morts dans le naufrage de leur embarcation, lors d'une tentative de traversée de la Manche le 3 septembre 2024

Des pompiers sont rassemblés autour des dépouilles de migrants morts dans le naufrage de leur embarcation, lors d'une tentative de traversée de la Manche le 3 septembre 2024 - Bernard BARRON / AFP

Une embarcation a fait naufrage dans le Pas-de-Calais, ce mardi 3 septembre lors d'une tentative clandestine de traversée de la Manche. Selon un bilan qui reste provisoire, 12 personnes sont mortes. Une nouvelle traversée meurtrière, alors que les drames en mer s'accumulent depuis le début de l'année.

Une embarcation transportant plus de 70 personnes a fait naufrage dans la Manche au cours de la matinée du 3 septembre au large de Boulogne-sur-Mer et Wimereux. Selon un bilan provisoire, cette nouvelle tentative de traversée vers l’Angleterre s’est soldée par la mort de 12 personnes.

Une enquête a été ouverte par le parquet de Boulogne-sur-Mer pour déterminer les causes de ce naufrage, qui porte le plus lourd bilan humain en 2024. L'année 2024 est d'ailleurs l'année la plus meurtrière depuis le début du phénomène des bateaux de fortune sur la Manche, avec au moins 37 morts en mer lors de tentatives de traversées.

Navigation dangereuse, embarcations précaires

Depuis les côtes françaises donnant sur la Manche, l’Angleterre n'est seulement qu’à une quarantaine de kilomètres. Une courte distance qui pousse les migrants à tenter la traversée afin de demander l’asile au Royaume-Uni.

Pourtant, malgré son apparence calme, la Manche est une zone où la navigation est très dense. Environ 30% du trafic maritime mondial transite par la Manche et la mer Nord, selon la préfecture maritime Manche et mer du Nord.

"C’est une véritable autoroute empruntée par d'énormes bateaux comme des porte-conteneurs qui provoquent des vagues d’un mètre lors de leurs passages, si vous êtes à côté avec une embarcation de fortune, il est très facile de se renverser", indique à BFMTV.com, Célestin Pichaud, coordinateur de l'association Utopia 56, qui vient en aide aux personnes exilées.

Depuis plusieurs années, les exilés embarquent dans des bateaux gonflables en mauvais état et sans savoir forcément nager, ni être bien équipées. Concernant le naufrage de cette semaine "moins de huit personnes" présentes dans le bateau "avaient un gilet de sauvetage (...) fourni par les passeurs", selon Gérald Darmanin.

"Les boudins, parfois mal gonflés, peuvent se percer, le plancher n’est pas toujours installé", abonde l’association de défense des personnes exilées.

Patrouilles et drones pour éviter les traversées

Malgré la dangerosité établie de la traversée, le nombre des tentatives continue d’augmenter. Ce mercredi, une nouvelle embarcation s’est élancée dans les eaux de Wimereux, quasiment au même endroit où les 12 personnes ont perdu la vie ce mardi.

Pour éviter que ce genre de drame ne se reproduise, l'État français revendique avoir accentué les moyens de répression et de contrôle sur son littoral, notamment grâce à l’aide financière du Royaume-Uni.

Drones pour repérer les bateaux des passeurs, patrouilles de nuit et démantèlement immédiat des camps, les moyens pour éviter les traversées se sont multipliés, selon les dires des autorités.

"Il y a une mobilisation de moyens technologiques et 1.600 agents qui sont quotidiennement mobilisés sur les côtes pour éviter qu’il n'y ait cette spéculation dramatique et criminelle des passeurs", souligne à BFM Grand Littoral, Frédéric Cuvillier, maire (PS) de Boulogne-sur-Mer.

Des départs précipités par "la peur d'une intervention"

Pour autant, 20.000 personnes ont réussi à rejoindre l’Angleterre par la Manche depuis le début de l’année, soit autant qu’en 2023 à la même époque selon Utopia. Les sauvetages en mer auraient par ailleurs augmenté de 32%.

"En 2023, sur les 35.000 exilés ayant tenté la traversée, nous en avons secouru ou ramené en France 6.000", détaille à BFMTV.com, le porte-parole de la préfecture maritime Manche et mer du Nord, Étienne Baggio.

"Les migrants sont prêts à prendre plus de risques pour éviter la police. Les départs se font de manière précipitée dans la peur d’une intervention des forces de l’ordre", indique Célestin Pichaud.

"Ils partent de plus en plus loin, en avril dernier, une embarcation est partie de Dieppe (Seine-Maritime, NDLR) à 130 km des côtes anglaises pour éviter la présence policière dans le Pas-de-Calais", ajoute-t-il.

La stratégie "zéro point d'attache" pointée du doigt

Selon plusieurs associations, l’accentuation de la répression et l’application de la politique "zéro point d’attache" a détérioré les conditions de la traversée.

"Maintenant, on est face à une population qui vit cachée et qui a pour seul point d’information les passeurs. Les mafias ne vont pas leur expliquer qu’ils peuvent avoir un toit en France, car c’est leur gagne-pain. Ils vont donc les faire partir dans des conditions invraisemblables", constate sur BFMTV, Pierre Henry, président de France Fraternité. Depuis un an, le nombre de personnes sur les bateaux est passé de 30 à 60 en moyenne.

"Nous observons une surcharge des embarcations qui ne sont pas de base adaptées à une traversée en mer. Cela démultiplie les besoins d'interventions en mer", indique Étienne Baggio.

Conséquence de ce surplus de passagers, les secours interviennent désormais pour des décès à bord à cause de bousculades et de malaises. C'était le cas en avril dernier, au large de Wimereux. Les secours étaient intervenus pour venir en aide à une embarcation en difficulté. Sur place, les marins avaient découvert "plusieurs personnes inanimées et en grande difficulté" dans l’embarcation de fortune. Au total cinq personnes sont mortes.

"La politique de répression contre les passeurs est un échec. Il faut ouvrir des voies de migration légale avec le Royaume-Uni pour empêcher le trafic", conclut Pierre Henry.

Une position partagée par d’autres associations, dont Utopia 56. Du côté du gouvernement, Gérald Darmanin a réclamé mardi, un "traité migratoire" entre Londres et l'Union européenne.

Sylvain Allemand