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"On demande beaucoup au musée": le Louvre-Lens entre relance économique et succès culturel

Le musée du Louvre-Lens en novembre 2017 à Lens, dans le Pas-de-Calais

Le musée du Louvre-Lens en novembre 2017 à Lens, dans le Pas-de-Calais - DENIS CHARLET © 2019 AFP

En 2024, le Louvre-Lens a présenté un déséquilibre budgétaire de 1,13 million d'euros. Ce que ne manque pas de relever ses détracteurs. S'il ne bénéficie pas d'un "effet Guggenheim", l'établissement a permis une revitalisation de la cité minière.

Le "miracle" attendu a-t-il eu lieu? En 2012, la cité minière de Lens voyait sa friche industrielle de 20 hectares, sur laquelle s'étendait le carreau de la fosse 9 des mines, se transformer en un musée de 28.000 m² portant le prestigieux nom du "Louvre-Lens".

Avec cet établissement, dont les travaux ont coûté 150 millions d'euros, la ville de Lens espérait jouir de la renommée de son grand frère parisien pour faire "renaître" un territoire meurtri par la crise économique et la fermeture de l'industrie minière.

1,13 million d'euros de déséquilibre

Presque 13 ans plus tard, le Louvre-Lens présente un déséquilibre budgétaire de 1,13 million d'euros. Une somme qui a été couverte par le fonds de roulement de l'établissement. "Depuis 2022, il y a une hausse exponentielle de ses dépenses du fait de l’inflation, avec notamment la hausse des charges d'énergie", indique à BFMTV.com, Annabelle Ténèze, directrice du Louvre-Lens depuis septembre 2023.

"Il y a un effet ciseau entre les subventions qui restent au même niveau, le contexte inflationniste et l'augmentation du point d'indice de nos collaborateurs", précise-t-elle.

Face à ces difficultés, l'État n'a pas tardé à venir au chevet du petit frère du Louvre parisien. Le jeudi 27 mars dernier, Rachida Dati était à Lens pour signer une convention entre l'État et la région en faveur de la culture. La ministre de la Culture a promis 200.000 euros de subventions supplémentaires par an.

Au lendemain de cette annonce, la direction du musée réussissait à voter un budget à l'équilibre pour 2025 grâce à "un plan d'économie globale".

"Pour économiser sur l'énergie, on a changé l'ensemble des luminaires par des LED plus économiques. On va aussi faire passer le prix des expositions de 11 à 12 euros", annonce à BFMTV.com, la directrice de l'établissement.

"Seconde centre-ville"

Malgré ce budget 2025 équilibré, les difficultés financières rencontrées dernièrement ont du mal à passer auprès de certains observateurs du monde touristique et culturel, critiques sur le musée.

Symbole d'une politique de décentralisation culturelle lancée au début des années 2000, le Louvre-Lens a pour mission principale "la transformation du territoire" d'un point de vue culturel mais aussi économique.

Sur ce deuxième aspect, les résultats sont contrastés. Pour certains, les retombées économiques sur le territoire sont trop modestes alors que l'établissement est financé à 80 % par la région des Hauts-de-France.

"Je me souviens de personnes bien placées qui disaient en amont du projet, que Lens allait voir débarquer des camions de touristes asiatiques arrivant de Paris. Je pense qu'on peut dire que ce n'est pas le cas", ironise auprès de BFMTV.com, Jean-Michel Tobelem, docteur en sciences de gestion, professeur associé à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et auteur du livre La Culture pour tous. "Des solutions pour la démocratisation?" (fondation Jean-Jaurès, 2016).

L'extérieur du Louvre-Lens.
L'extérieur du Louvre-Lens. © AFP

Lorsque le musée s'est implanté à Lens, beaucoup de personnes espéraient voir l'économie de la ville croître, notamment grâce à l'attractivité de la marque Louvre, comme cela fut le cas à Bilbao avec le musée Guggenheim.

"On a cru que l'attractivité touristique tiendrait uniquement sur la marque", assène auprès de BFMTV.com, Jean-Michel Tobelem. "À Bilbao, le musée a été la cerise sur le gâteau d'une politique de restructuration de la ville", ajoute-t-il.

Interrogée sur cet "effet Guggenheim" espéré, Annabelle Ténèze concède qu'il n'est pas approprié pour le projet du Louvre-Lens.

"Ce n'est pas comparable au Guggenheim. La ville de Bilbao peut jouir d'un tourisme estival, ce n'est pas du tout le même contexte que Lens", déclare-t-elle auprès de BFMTV.com.

Dans son dernier rapport en date datant de 2022, la chambre régionale de comptes (CRC) estimait que les retombées économiques sur le territoire étaient de 191,3 millions d'euros depuis l'ouverture du musée. Un chiffre dont la région ne peut se passer, mais qui est loin du "miracle" dont parlait l'ancien président du conseil régional.

Pour Jean-Michel Tobelem, l'absence de retombées plus conséquentes est liée au fait que "les règles d'économie du tourisme n'ont pas été respectées". "Le fait d'avoir implanté le musée dans une zone excentrée de la ville et de la gare rend l'établissement difficile d'accès", indique à BFMTV le professeur. "Pour s'y rendre les visiteurs ne passent pas par le centre-ville et donc ils ne s'arrêtent pas dans les commerces", ajoute-t-il.

Concernant l'emplacement, la direction du musée assume totalement ce choix. "La ville de Lens a de base une disposition particulière. Déjà, avant l'implatation locale du musée, sa vie ne s'organisait pas autour du centre-ville mais à proximité des mines", argumente auprès de BFMTV.com, Annabelle Ténèze. "Le musée a repris la place d'un second centre de l'agglomération qui était la fosse 9", précise-t-elle.

Les touristes étrangers peu nombreux

En termes purement touristiques, le Louvre-Lens peine à attirer des visiteurs étrangers alors que l'établissement est placé dans une zone frontalière, non-loin de la Hollande et du Royaume-Uni. "Nous avons 10 % de visiteurs étrangers", indique à BFMTV.com la directrice du musée. Un pourcentage faible pour un émanation du Louvre qui, lui, jouit d'une si grande renommée internationale.

Pourtant lors des premières heures du musée, la région misait sur les touristes internationaux pour doper l'économie locale. Les restaurateurs de la ville avaient même été formés par la CCI.

Une visiteuse admire "La Dentellière" de Vermeer au musée du Louvre-Lens ce mercredi 28 juin 2023.
Une visiteuse admire "La Dentellière" de Vermeer au musée du Louvre-Lens ce mercredi 28 juin 2023. © DENIS CHARLET

"Nous avons fait des dizaines de réunions pour expliquer l'accueil touristique, en français ou en anglais", racontait au Figaro en 2012, Sylvain Kleczewski, directeur de l'antenne de la CCI. "Nous avons même abordé les habitudes alimentaires des Hollandais ou des Anglais", ajoutait-il.

Des déclarations qui ont plutôt mal vieilli à la vue des chiffres. "Le territoire a du potentiel pour attirer des visiteurs étrangers, notamment les Britanniques qui viennent dans les lieux de mémoire à proximité comme les cimetières de la Première Guerre mondiale", souligne auprès de BFMTV.com, Jean-Michel Tobelem. "Mais le territoire n'est pas valorisé, il n'y a pas de stratégie de 'package' entre ces lieux et le musée", ajoute-t-il.

De son côté, le musée se défend en affirmant à BFMTV.com que plusieurs formules de visite incluant le Louvre-Lens et d'autres lieux culturels de la région existent.

"Il y a eu un réaménagement de la ville"

Malgré ces critiques, le Louvre-Lens a tout de même eu un impact économique sur l'une des villes les plus sinistrées de France. D'un point de vue structurel, l'arrivée du musée a permis une revitalisation de la ville.

"Dans le secteur du musée, des hôtels et incubateurs de société ont vu le jour. Une résidence pour les séniors, une piscine et des restaurants sont aussi nées depuis dans l'aspiration de l'établissement", souligne Annabelle Ténèze, auprès de BFMTV.

En matière d'emplois créés, les résultats du Louvre-Lens sont aussi dans les clous des objectifs affichés en 2012. "Plus de 6.100 emplois salariés privés supplémentaires à l’échelle du Pôle métropolitain de l’Artois entre 2012 et 2020", indique le musée à BFMTV.com. "Plusieurs partenariats avec France Travail ont été réalisés pour créer des emplois", ajoute Annabelle Ténèze, auprès de BFMTV.

Une vue des jardins du musée du Louvre-Lens.
Une vue des jardins du musée du Louvre-Lens. © AFP

Le Louvre-Lens a aussi transformé le paysage et la mobilité dans l'agglomération lensoise. "Le parc autour du musée est devenu un véritable lieu de vie de Lens. Depuis son implantation, il relie plusieurs cités de l'agglomération entre elles qui sont maintenant accessibles à pied", relate auprès de BFMTV.com, Annabelle Ténèze.

Un succès local et culturel

Si les résultats économiques du Louvre-Lens peuvent être discutés, le succès de l'établissement auprès de la population nordiste ne laisse place à aucun débat. Depuis son ouverture, le musée a comptabilisé plus de six millions d'entrées.

"C'est le troisième musée le plus fréquenté en région, après le musée des Confluences à Lyon et le MUCEM à Marseille", communique le musée à BFMTV.com

Le profil des visiteurs témoigne aussi de la réussite du Louvre-Lens dans une autre de ses missions: rendre accessible la culture à une population peu habituée. "70% des visiteurs viennent de la région, et 25% sont des visiteurs de proximité", explique à BFMTV.com Annabelle Ténèze.

"Parmi eux 30% sont des visiteurs réguliers", précise-t-elle. Selon une enquête du ministère de la Culture, 58% des visiteurs du Louvre-Lens ont une familiarité muséale faible ou très faible, contre 31% pour l’ensemble des musées en France.

La Galerie du Temps au musée Louvres-Lens, le 21 septembre 2022 à Lens
La Galerie du Temps au musée Louvres-Lens, le 21 septembre 2022 à Lens © Sameer Al-DOUMY © 2019 AFP

Un succès auprès de la population nordiste aussi liée à la gratuité de la Galerie du temps, un espace de 3.000 m² qui héberge 250 chefs-d’œuvre du musée du Louvre. Une galerie qui compte plus de 130.000 entrées depuis sa réouverture le 4 décembre dernier, soit une augmentation de 20 %.

"Une mission de service public longue"

Sur l'ensemble des critiques faites sur l'impact économique et touristique du musée sur le territoire, la direction de l'établissement nuance en pointant le concept hybride du Louvre-Lens.

"Nous voulons mettre l'exceptionnel au quotidien. La lecture du musée n'est pas aisée parce que nous essayons d'avoir un ancrage local et de proximité en étant un grand musée comme le Louvre", décrypte Annabelle Ténèze. "Chacun regarde avec son prisme d'analyse, il n'y a pas que le volet touristique. On demande beaucoup au musée, mais c'est une mission de service public sur le long terme", ajoute-t-elle.

L'exposition "S’habiller en artiste. L’artiste et le vêtement" ouvre ce mercredi 26 mars au Louvre-Lens.
L'exposition "S’habiller en artiste. L’artiste et le vêtement" ouvre ce mercredi 26 mars au Louvre-Lens. © FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Un positionnement de proximité qui fait grincer des dents Jean-Michel Tobelem. "Un musée de proximité à 150 millions d'euros ça fait beaucoup, sachant que la région compte déjà 70 établissements de ce type...", ironise-t-il.

Point encourageant pour l'avenir de la ville et du musée, le Louvre-Lens commence à faire parler à l'international. "Notre dernière exposition S'habiller comme un artiste a eu le droit à un article dans le New York Times", conclut, non sans une certains fièrté, la directrice de l'établissement.

Sylvain Allemand