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Un défaut de paiement de la Russie? Le spectre de la terrible crise de 1998 plane sur le pays

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La crise financière dans laquelle la Russie risque de tomber serait aussi grave que celle rencontrée par le pays en 1998.

"Nous allons vivre une grave crise économique. Vous pouvez multiplier la crise de 1998 par trois pour obtenir l'échelle." Alors que les sanctions commençaient à pleuvoir sur la Russie fin février, le magnat de l'alluminium Oleg Derispaka tirait la sonnette d'alarme.

Alors qu'en occident, lorsqu'on veut agiter le spectre d'une crise financière majeure on fait référence à 2008 et aux subprimes, en Russie c'est l'année 1998 qui reste dans l'inconscient collectif comme le pire désastre financier de l'ère post-soviétique. Cette année-là, le pays s'était retrouvé en défaut de paiement ce qui avait entraîné l'effondrement du rouble et une flambée de l'inflation qui avait atteint 84% sur l'année.

Et le pressentiment de l'oligarque proche de Vladimir Poutine pourrait bien se concrétiser dans les prochains jours. Les trois agences de notation Fitch, Standard & Poor's et Moody's ont dégradé la note de la dette russe à "C". Il s'agit de la dernière étape avant le "D" qui est synonyme de défaut.

Plus très loin du défaut de paiement

Or ce mercredi 16 mars, le pays doit verser 117 millions de dollars aux investisseurs qui ont acheté des obligations en dollars sur la dette russe. Bien que faiblement endettée à hauteur de 220 milliards de dollars (18% de son PIB), la Russie a vu ses avoir en dollars gelés par les pays occidentaux. Le pays qui s'était ces dernières années constitué un trésor de guerre grâce à la rente prétrolière avec plus de 600 milliards de dollars de réserves, n'a plus accès qu'à moins de la moitié de ce bas de laine.

Et il s'agit en outre de placements peu liquides que le pays devrait donc vendre et principalement en roubles. Or rémunérer des investisseurs en roubles (une monnaie qui a perdu 32% de sa valeur par rapport au dollar depuis mi-février) au lieu des dollars attendus constituerait bien techniquement un défaut de paiement. Ce que Moscou dément.

"C’est une situation unique dans laquelle la partie qui impose les sanctions décidera d’un défaut de la Russie en 2022", a estimé ce lundi Elina Ribakova, cheffe économiste adjointe de l’Institut international de la Finance (IIF).

En 1998, les causes étaient totalement différentes. L'économie russe n'était pas sous le coup de sanctions mais s'était retrouvée asphyxiée de façon similaire. Le 17 août de cette année, les autorités avaient annoncé un défaut de paiement sur la dette intérieure. Une annonce qui faisait suite à un effondrement des marchés des capitaux russes dans la foulée des bourses asiatiques notamment thaïlandaises de 1997.

La Bourse russe qui avait profité de l'engouement des investisseurs pour les marchés émergents avait flambé de 170% au premier semestre de 1997. A l'été de cette année, les bourses asiatiques jugées sur-évaluées par rapport à la réalité des économies de ces pays d'Asie du sud est (les fameux "Tigres" et "Dragons") s'effondrent.

La déroute se propage aux marchés russes alors que le pays commençait paradoxalement à sortir la tête de l'eau après l'effondrement de 50% de son PIB à la chute de l'URSS. Mais le pays fait les frais de la défiance des investisseurs pour l'ensemble des pays émergents. Face à une situation budgétaire précaire, le pays se tourne en juin 1998 vers le FMI et la Banque mondiale pour solliciter une augmentation de leurs aides à la transition économique. Ce qui ajoute à la défiance des investisseurs.

La banqueroute de la Russie

Car dans le même temps, les exportations de pétrole (qui représentent près de la moitié des recettes de la Russie à l'export) chutent rapidement. Face à la surproduction des pays de l'Opep, les prix du pétrole chutent à 10 dollars le baril en 1998 et les exportations russes diminuent en valeur de plus de 49% sur l'année. La Banque centrale russe puise dans ses réserves de devises étrangères pour financer les déficits courants. Réserves qui se réduisent avec la baisse de l'entrée de devises.

Un cycle infernal se met en place et l'Etat décide de faire tourner la planche à billets pour continuer à honorer ses dettes et accessoirement payer les fonctionnaires dont certains comme les mineurs ne sont plus payés depuis 1995.

L'inflation s'envole alors de plus de 80% et les épargnants subissent une dépréciation de 70% de leurs avoirs en roubles. Le pouvoir d'achat des Russes est alors laminé. Fin 1998, le salaire réel moyen ne représente plus que le tiers de sa valeur un an plus tôt. Le marché noir explose et le pays est en banqueroute.

Il faudra un accord musclé avec le FMI, les réformes d'assainissement financières de Vladimir Poutine et surtout la remontée du brut en 1999 pour permettre à la Russie de ne pas totalement sombrer.

La chute du PIB de 1998 (-5,3%) est compensé un an plus tard (+6,4% en 1999). Mais l'épisode reste traumatisant dans la population russe et humiliant pour l'Etat qui ne s'est plus jamais retrouvé en situation de défaut de paiement. Jusqu'à présent.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco