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TVA sur l'énergie: la très coûteuse proposition à laquelle Jordan Bardella ne veut pas renoncer

Le président du Rassemblement national et député européenne Jordan Bardella, le 10 juin 2024 devant le siège du RN à Paris.

Le président du Rassemblement national et député européenne Jordan Bardella, le 10 juin 2024 devant le siège du RN à Paris. - ALAIN JOCARD / AFP

Estimée par le Rassemblement National lui-même à 12 milliards d'euros par an (plutôt 17 milliards par Bercy), la réduction de la TVA à 5,5% se heurterait à de nombreux obstacles mais surtout creuserait encore plus les déficits.

Un programme amendé comme Giorgia Meloni en Italie obligée une fois au pouvoir de revenir sur ses dispendieuses promesses électorales? Ou une bombe budgétaire comme Liz Truss au Royaume-Uni contrainte à la démission 44 jours après son arrivée au 10 Downing Street ?

Le nouveau programme du Rassemblement National (RN) dont les grandes lignes ont été dévoilées ce jeudi semble naviguer entre les deux. Si le parti qui ambitionne de gouverner le pays au soir du 7 juillet prochain a mis de l'eau dans son vin par rapport au programme présidentiel de 2022, certaines mesures restent prioritaires.

Ainsi, si l'hypothétique réforme des retraites dont le coût est estimé à 27 milliards d'euros par an (deux fois et demi le budget de la Justice) par l'Institut Montaigne est renvoyée au mieux à 2026, une mesure phares concernant le pouvoir d'achat restent plus que jamais d'actualité: la baisse de la TVA sur l'énergie.

"La situation économique, budgétaire et financière du pays est dans un état catastrophique. Avant de remonter la pente, nous devons mettre un coup d'arrêt à la glissade dans laquelle nous ont conduit les macronistes", a expliqué ce vendredi Jordan Bardella sur BFMTV.

Il a assuré que sa priorité, s'il devenait Premier ministre, sera "le pouvoir d'achat en baissant la TVA".

Une baisse à 17 milliards d'euros

Concrètement, il s'agirait de réduire le niveau de la TVA de 20% à 5,5% sur l'ensemble des produits énergétiques à savoir l'électricité, le gaz, le carburant et le fioul.

Une mesure qui avait été chiffrée à 10,3 milliards d'euros en 2022 par l'Institut Montaigne. S'appuyant sur les données de 2018, les économistes avaient calculé que la TVA sur ces produits rapportait près de 15 milliards d'euros aux caisses de l'Etat. En la divisant par trois, les recettes seraient donc réduites des deux tiers.

Mais de l'aveu même de Renaud Labaye, le secrétaire général du groupe RN à l'Assemblée, la mesure coûterait même plus cher encore puisqu'il l'estime de son côté à 12 milliards d'euros.

Dans les faits, ce serait encore plus. Avec l'inflation, les produits énergétiques ont fortement augmenté, de même que les recettes de TVA. Ce surplus a d'ailleurs été consacré au financement des mesures anti-inflation mises en place entre 2021 et 2023 (boucliers tarifaires, ristournes à la pompe...) dont le montant est estimé à 100 milliards d'euros.

Le hausse des cours des matières premières ces trois dernières années a eu pour conséquence de faire monter les prix de l'énergie et donc mécaniquement de gonfler les recettes de TVA qui s'élèvent à plus de 50 milliards d'euros en 2023. La baisse à 5,5% constituerait donc, selon les calculs de Bercy, un manque à gagner de 16,8 milliards d'euros au Budget de l'Etat.

Dans le détail, le coût serait de 10 milliards d'euros sur les carburants, de 4,5 milliards d'euros sur l'électricité et de 2,3 milliards sur le gaz.

Deux obstacles majeurs

Ces mesures se heurteraient alors à deux obstacles. D'abord juridique puisque les textes européens n'autorisent pas l'application de taux réduits de TVA sur le carburant (annexe III d’une directive TVA). La France devrait entamer un bras de fer avec Bruxelles qui devrait durer plusieurs années et pourrait faire l'objet de sanctions. La Pologne a certes mis en place un taux réduit de TVA en 2021, mais c'était une mesure temporaire de cinq mois dans un contexte de forte hausse des prix à la pompe.

Le second obstacle est économique. Alors que le déficit budgétaire s'est élevé à plus de 150 milliards d'euros en 2023 et que la charge de la dette devrait dépasser les 50 milliards d'euros cette année, comment cette mesure pourrait être financée sans creuser davantage les déficits ?

Du côté du Rassemblement National, on assure que le manque à gagner serait compensé par une hausse de la consommation de produits énergétiques. Autrement dit, la baisse des prix à la pompe inciteraient les Français a davantage prendre leur voiture par exemple.

Une analyse que les économistes de l'Institut Montaigne jugent en partie fondée.

"Le coût de cette mesure pourrait être amoindri par une augmentation de la consommation de produits énergétiques, consécutive à la baisse de la fiscalité : augmentation du chauffage, baisse de l’éco-conduite, trajets en voiture favorisés par rapport à d’autres transports, etc.", écrivaient-ils dans leur note de 2022.

Très faible adaptation des automobilistes

Mais cette sur-consommation serait dans les faits très marginale. C'est ce qu'affirmait Francis Duseux, l'ancien patron de Esso France, dans une enquête parlementaire en 2019.

"La réponse se trouve dans le graphique retraçant l’évolution de la consommation de produits pétroliers énergétiques en France depuis 1972. On y voit que même quand le prix du pétrole est tombé à 30 dollars le baril, la consommation de carburant n’a quasiment pas changé", indiquait-il.

Une étude de l'Insee de 2023 confirmait que ce qu'on appelle l'élasticité-prix des carburants (la propension à consommer plus ou moins selon les prix) était dans les faits assez faible et concernait principalement les petits rouleurs, ceux qui dépensent le moins en carburant et rapportent donc le moins de recettes fiscales.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco