Le programme économique du RN, une bombe potentielle pour les finances publiques?

Un destin à la Liz Truss attend-il un éventuel futur locataire du Rassemblement national à Matignon? Pour rappel, l'ex-Première ministre britannique au destin éphémère avait déclenché une crise financière avec son "mini-budget" qui comprenait des baisses massives d'impôts et de cotisations sociales et la prise en charge d'une partie des factures énergétiques des entreprises.
Un programme non financé estimé à plus de 100 milliards de livres et qui avait déclenché une panique des marchés. Les taux d'emprunt du pays avaient bondi de 29%, la livre s'était effondrée et la Banque d'Angleterre avait dû intervenir pour éviter la banqueroute du système des retraites.
"C'est un épisode bref mais qui a démontré que le sérieux budgétaire n'était pas qu'une lubie de technocrate mais une condition fondamentale quand on vit au dessus de ses moyens et qu'on a besoin de l'argent des autres pour se financer", résume un économiste.
Or en l'occurrence, le programme du RN de 2022, prétendant à la victoire finale aux législatives du 30 juin et 7 juillet prochain, présente des similitudes. L'Institut Montaigne avait chiffré le coût des différentes mesures pour les finances publiques à environ 120 milliards d'euros par an pour seulement, 18 milliards d'économie, soit un manque à gagner de plus de 100 milliards par an. Soit près de 3500 euros en moyenne par ménage. Pour rappel, le déficit public pour 2023 était de 154 milliards d'euros (5,5% du PIB).
Alors que six Français sur 10 veulent faire du rétablissement des finances publiques une priorité, le programme dépensier du RN, s'il était appliqué à la lettre, ferait grimper le déficit public de plus de 67%. Et ce sans prendre en compte la hausse des taux d'emprunt et le surenchérissement de la charge de la dette occasionné par un tel choc budgétaire.
Jusqu'à 30 milliards d'euros pour les retraites
C'est la potentielle réforme des retraites qui serait de loin la plus coûteuse des mesures. Le retour à un âge légal de départ à 62 ans, voire 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans (avec 160 trimestres cotisés) ou 61,5 ans pour ceux qui ont débuté à 21 ans (avec 163 trimestres) est une mesure explosive chiffrée en 2022 à 26,5 milliards d'euros. Et il s'agit d'une estimation prudente. Le coût pourrait dépasser les 30 milliards en cas de réforme sur les retraites complémentaires.
Sachant que le système actuel -et ce malgré la réforme de 2023- devrait accuser en 2024 un déficit de 5,8 milliards d'euros selon le rapport que le COR va rendre public ce jeudi du fait de la revalorisation des pensions de base et des retraites complémentaires entrée en vigueur fin 2023 et au 1er janvier.

Autre mesure très coûteuse: la mise en place d'un super prêt à taux zéro jusqu'à 100.000 euros pour favoriser l'accession à la propriété. Un prêt que les ménages de moins de 35 ans pourrait ne rembourser qu'à hauteur de 40% à partir du troisième enfant. Estimée en 2022 à 12,6 milliards d'euros par l'Institut Montaigne (du fait de l’accroissement rapide de l’endettement de l’État), cette mesure pourrait de fait être bien plus coûteuse avec la forte hausse des taux depuis 2022.
Le programme contient aussi d'importantes mesures en faveur du pouvoir d'achat. Alors que les mesures de soutien du gouvernement actuel avec les différents boucliers et ristournes ont été estimées à plus de 100 milliards d'euros en trois, le RN a deux engagements particulièrement coûteux. D'abord l'exonération de cotisations patronales pour toute hausse de salaire de 10% et ce jusqu'à trois Smic. Une mesure qui ne concernerait finalement que peu d'entreprises désireuses d'augmenter leur masse salariale brute de 10%. Mais si 3% des employeurs étaient intéressés, le coût de cette mesure est estimé à 10 milliards d'euros par an, par les économistes de l'Institut Montaigne.
Autre mesure phare sur le pouvoir d'achat: la diminution de la TVA sur les carburants, l’électricité, le gaz et le fioul domestique de 20 % à 5,5 %. Pour les administrations publiques, la TVA sur les produits pétroliers, le gaz et l’électricité représente d’importantes recettes, qui s’élèvent à 14,5 milliards d'euros. Outre l'impact environnemental d'un telle mesure qui encouragerait à la consommation d'énergies fossiles, elle entrainerait un manque à gagner d'environ 10 milliards d'euros par an.
Pluie de 120 milliards d'euros
A toutes ces mesures, il faut ajouter les exonérations d'impôts sur le revenu pour les moins de 30 ans (3,7 milliards d'euros par an), un grand emprunt de 500 milliards d'euros pour les PME (7,5 milliards d'euros par an) ou encore le renationalisation des autoroutes (40 milliards d'euros en une seule fois).
Au final c'est une pluie de près 120 milliards d'euros sur l'économie française financée par quelques mesures d'économies sur les prestations sociales et la réduction du personnel administratif des hôpitaux (17 milliards d'euros d'économies au total selon l'Institut Montaigne). Ou encore une éventuelle baisse de 5 milliards d'euros de la contribution française au budget de l'UE, une décision à l'issue incertaine qui devrait être négociée avec les pays partenaires.
Ces mesures très coûteuses produiraient aussi des effets macroéconomiques (bouclage dite keynésien) mais n'empêcheraient pas selon l'Institut Montaigne de creuser les déficits à horizon 2027 (entre 5 et 7%) et la dette de s'envoler (entre 115 et 120% du PIB). Sans tenir compte une nouvelle fois de la hausse des coûts d'emprunts à la charge de l'Etat que de telles mesures occasionneraient sur les marchés (comme l'a connu Liz Truss).
Reste à savoir si même en cas de majorité, un gouvernement du Rassemblement national appliquerait à la lettre son programme. Ce mardi sur RTL, le candidat Jordan Bardella n'a pas clairement affirmé que la très coûteuse réforme des retraites serait une priorité.
"La situation économique dont nous allons hériter est une situation compliquée. Nous serons amenés à faire des choix, vous connaissez ma position, je souhaite que tous ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans puissent partir avec 40 annuités, mais maintenant il y aura des priorités", a-t-il tempéré.
