BFM Business
Economie

Travailler plus règlerait-il le problème du déficit en France?

Le ministre de l'Economie Antoine Armand  lors d'une séance de débat sur la première partie du projet de loi de finances 2025 à l'Assemblée nationale, le 21 octobre 2024 à Paris

Le ministre de l'Economie Antoine Armand lors d'une séance de débat sur la première partie du projet de loi de finances 2025 à l'Assemblée nationale, le 21 octobre 2024 à Paris - Ludovic MARIN © 2019 AFP

Un rapport du Conseil d'orientation des retraites estime que si la France avait le même taux d'emploi que les Pays-Bas, le gain en termes de création de richesse globale et de rentrées fiscales permettrait au pays de réduire ses déficits à quasiment rien.

La quantité de travail ne suffit pas pour financer notre modèle social. Ce lundi, le ministre de l'Économie Antoine Armand a repris une antienne chère aux macronistes de puis 2017, rappelant les données de l'OCDE selon lesquelles le nombre d'heures travaillées par habitant serait parmi les plus faibles des pays développées.

Si le mode de calcul des heures travaillées est parfois contesté, ce qui ne l'est pas en revanche c'est le décrochage français en terme de PIB par habitant depuis plus d'une décennie. Ainsi en parité de pouvoir d'achat, le Français produit en moyenne 30% de moins que l'Américain, 22% de moins que le Néerlandais, 15% de moins que le Danois ou encore 12% de moins que l'Allemand.

Pour rappel, selon les données du FMI, le PIB par habitant en France faisait jeu égal voire était même légèrement supérieur à l'américain en 1980.

Pour l'économiste Gilbert Cette, président du Conseil d'orientation des retraites (COR) et professeur à Neoma Business School, la raison principale de ce décrochage relatif français notamment au niveau européen s'explique par "un écart de taux d'emploi". Autrement dit la part du nombre d'actifs occupés dans la population totale en âge de travailler (15-64 ans). Il ne s'agit donc pas de faire travailler davantage les Français en emploi en supprimant tel jour férié ou en augmentant le temps de travail hebdomadaire, mais plutôt d'accroître le nombre de Français en activité. Ce qui augmente mécaniquement la production, donc le PIB par habitant et évidemment les recettes fiscales et sociales.

Or selon l'OCDE, en France ce taux était de 68,4% à fin 2023, contre 72% aux Etats-Unis, 75% au Royaume-Uni, 77,3% en Allemagne ou encore 82,5% aux Pays-Bas avec une moyenne de 70,1% au sein de l'OCDE.

Faut-il accroître le nombre d'heures de travail par an pour financer la protection sociale ?- L'édito du 4 novembre
Faut-il accroître le nombre d'heures de travail par an pour financer la protection sociale ?- L'édito du 4 novembre
4:01

"Trois segments où on est mauvais"

"Il y a trois segments sur lesquels on est mauvais, pointe Gilbert Cette. Les jeunes, les peu qualifiés et le seniors. Sur ces trois catégories, la France est en retard. Le taux d'emploi s'est amélioré ces dernières années mais ça se fait trop lentement, à un train de sénateur."

Reprenons les trois catégories citées. Les faiblement qualifiés tout d'abord (sans diplôme ou avec le plus faible niveau d'enseignement). Leur taux d'emploi dans l'Hexagone était selon l'OCDE en 2022 de 53% quand il était de 58% en Espagne, 60% en Suède, 65% en Allemagne et 68% aux Pays-Bas.

Les jeunes cette fois. Au sein des 15-24 ans, le taux d'emploi en France est de 35% contre 42% dans l'OCDE et bien au-delà dans de nombreux pays comme l'Allemagne (50%), les États-Unis (51%), le Royaume-Uni (54%) et les Pays-Bas (75%). Si la France faisait partie du top 3 européen des pays les plus performants en la matière, le pays compterait un million de jeunes de plus au travail selon les calculs de l'économiste Olivier Redoulès de Rexecode repris par L'Opinion.

Enfin l'emploi des seniors. Si sur les 55-59 ans, la France est au-dessus de la moyenne de l'OCDE avec 76% de taux d'emploi sur cette catégorie d'âge, elle est en queue de peloton sur les 60-64 ans. Le taux d'emploi y dépasse à peine les 35% contre plus de 50% en moyenne dans l'OCDE et même 56% aux États-Unis, 62% en Allemagne ou encore près de 65% toujours aux Pays-Bas, un modèle d'insertion dans toutes les catégories fragiles.

Améliorer le taux d'emploi n'est pas qu'un enjeu de création de richesse globale et donc in fine de pouvoir d'achat. C'est aussi un moyen de financer le modèle social et ce dans un contexte de dérapages budgétaires majeurs.

Un déficit quasiment nul

Selon une note du Conseil d'orientation des retraites, si la part de la population en emploi était la même en France qu'aux Pays-Bas, le déficit public serait quasiment nul.

Sur quoi repose cette affirmation? Sur un calcul finalement assez simple. L'écart de taux d'emploi entre la France (68%) et les Pays-Bas (82%) est de 14 points, soit 20%. En supposant que la productivité de ces nouveaux emplois qui seraient en grande partie occupés par des jeunes, des faiblement qualifiés ou des temps partiels soit 50% inférieure à la productivité moyenne actuelle, on obtient une croissance de 10% du PIB par rapport à son niveau actuel.

Or avec un taux de prélèvement moyen de 45% (impôts, taxes et cotisations sociales) sur un surplus de 10% de PIB (environ 2.900 milliards d'euros aujourd'hui), cela représente aux alentours de 140 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires. Le déficit à financer pour 2024, on le rappelle, devrait être de 166,6 milliards d'euros. Avec un taux d'emploi équivalent à celui des Pays-Bas, le déficit budgétaire français serait donc de 26 milliards d'euros, soit à 1% du PIB, ce qui ferait du pays un des meilleurs élèves de l'Europe en la matière et évidemment bien meilleur que les États-Unis.

Si l'objectif de l'amélioration du taux d'emploi est globalement partagé au sein de la classe politique, les moyens mis en œuvre par les gouvernements depuis 2017 sont eux largement rejetés. Ce sont les réformes de l'assurance-chômage, du RSA ou de la formation professionnelle pour les moins qualifiés. Les réformes des lycées professionnels ou de l'apprentissage pour les jeunes. Ou encore évidemment le report de l'âge légal de départ à la retraite pour les seniors.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco