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TOUT COMPRENDRE - Energie, armement, souveraineté... que se passe-t-il entre la France et l'Allemagne?

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Entre la France et l'Allemagne, les relations ne sont pas aux mieux. La liste des sujets sensibles s'allonge. Retour sur ces désaccords entre les deux pays qui forment le socle de l'Union européenne.

Rien ne va plus entre la France et l'Allemagne qui selon Paris fait cavalier seul tant sur la défense que sur l'énergie. Des deux côtés du Rhin, les arguments pour jeter la faute sur l'autre ou pour trouver des pistes d'apaisement pleuvent.

"Jamais personne ne pourra dissoudre le couple franco-allemand. L'alliance franco-allemande a toujours été et restera au cœur de la construction européenne. Il n'y a pas d'alternative", a déclaré le ministre des finances et de l'économie français, Bruno Le Maire au Frankfurter Allgemeine Zeitung cette semaine.

La guerre en Ukraine n'a fait qu'aggraver la situation tant sur la défense de l'Europe que sur la crise énergétique. Signe de tensions plus vives que d'habitude, l'Allemagne a décidé mercredi de reporter à janvier le Conseil des ministres franco-allemand qui devait se tenir le 26 octobre à Fontainebleau. Une première depuis la création en 2003 par Jacques Chirac de ce rendez-vous.

Officiellement, l'agenda des ministres ne leur permettrait pas d'être tous présents. Officieusement, cette réunion ne peut se tenir avant d'avoir trouvé des accords sur les points de frictions. Et ils sont nombreux pour être régler en à peine trois mois.

L'Allemagne est accusée de vouloir faire cavalier seul. Emmanuel Macron prévient que son isolement ne serait "pas bon" ni pour l'Allemagne, ni pour l'Europe". Pour apaiser la situation, le président français recevra le chancelier allemand Olaf Scholz à Paris mercredi 26 octobre.

Retour sur les désaccords entre les deux pays qui forment le socle de l'Union européenne.

• Le "bouclier du ciel" vraiment européen"?

Le bouclier anti-aérien pour la défense européenne est celui de la discorde. Plutôt que d'organiser une défense commune, l'Allemagne veut devenir l'acteur central de la défense européenne. Berlin a rallié quatorze pays membres de l'Otan pour l'acquisition en commun de matériels de défense anti-aérienne et anti-missile dans le cadre d'une initiative baptisée "bouclier du ciel européen" dont la France ne fait pas partie et dont l'industriel français MBDA a été exclu.

Pour protéger le nord et l'est de l'Europe d'une menace russe, le système choisi ne provient pas de l'industrie européenne de l'armement. Il s'agit de l'Arrow 3, un dispositif à 2 milliards de dollars mis au point par l’israélien IAI avec l'Américain Boeing.

"Les Allemands se mettent dans une situation où lorsqu'ils voudront les utiliser devront demander une autorisation (aux Etats-Unis et à Israël, NDLR)", fait remarquer sur BFM Business Eric Béranger, PDG de MBDA en pointant un désaccord entre la France et l'Allemagne sur la notion de souveraineté.

Arrow 3 capable d'intercepter des missiles balistiques à des altitudes de plus de 100 kilomètres et avec une portée allant jusqu'à 2400 kilomètres. Berlin réclame qu'il soit opérationnel dès 2025 sur trois sites en Allemagne pour protéger son territoire, mais aussi la Pologne, la Roumanie et les pays baltes.

• Quel est l'état des programmes d'armement commun?

Depuis des années, la France et l'Allemagne sont partenaires pour développer les systèmes d'armement du futur. Dans l'aérien, c'est le programme Scaf (système de combat aérien du futur) dans lequel le chasseur de 5e génération, le NGF (New generation fighter) doit remplacer dès 2040 Rafale et Eurofighter.

Ce programme n'avance pas, malgré le vote des budget pour déjà créer un démonstrateur en 2025 par Paris, Berlin et Madrid, également partenaire. En cause, un désaccord entre le français Dassault Aviation et l'européen Airbus qui se disputent la maîtrise d'oeuvre de l'appareil. Airbus a pourtant remporté tous les autres chantiers. Son unité allemande pilotera la conception des drones et du Cloud de combat et sa filiale espagnole est chargée du développement des technologies de furtivité.

Mais au-delà, un désaccord politique ne fait pas non plus avancer le dossier. Déjà en 2020, un rapport du ministère allemand de la Défense relevait qu'un "positionnement français fort" risquait de transformer l'avion de chasse de nouvelle génération, le NGF en "Rafale+" financé avec l'aide de l'Allemagne et de l'Espagne. Si l'argument change avec le temps, cette ligne ne change pas. En septembre dernier, l'Etat Major allemand, qui a validé un contrat pour l'achat d'une trentaine de F-35, a affirmé son opposition.

"Je veux des matériels qui volent, qui roulent et qui sont disponibles sur le marché. Pas de développement de solutions européennes qui, au final, ne marchent pas", a déclaré il y a quelques semaines le général Eberhard Zorn, chef d’état-major de la Bundeswehr.

Cette déclaration vise plusieurs objectifs. En plus du Scaf, le général Zorn évoque le char du futur MGCS (Main Groud Combat System) qui doit remplacer en 2035 le Leclerc et le Leopard.

En parallèle, d'autres décisions ont ébranlé le partenariat entre la France et l'Allemagne. Maitre d'oeuvre de l'Eurodrone, Airbus a choisi le moteur de l'Américain GE plutôt que celui de Safran. Enfin, il y a eu un contrat avec Boeing pour cinq patrouilleurs maritime P-8A Poseidon plombant ainsi le programme MAWS qui visait à remplacer dès 2030, les Atlantique 2 de la Marine française et les P-3 Orion de la Marine allemande.

• Pourquoi l'Allemagne ne voulait pas plafonner le prix du gaz?

Le gazoduc NordStream était déjà un sujet de conflit entre la France et l'Allemagne. Son sabotage n'a fait qu'empirer les choses. Berlin craint de ne pas pouvoir disposer de suffisamment d'énergie pour passer l'hiver et doit désormais compter sur une aide de l'Europe, notamment la France.

Il y a une semaine, la France a commencé pour la première fois à acheminer directement du gaz vers l'Allemagne. Mais la France, avec 14 autres Etats membres de l'UE plaide pour un plafonnement du prix du gaz.

Berlin s'opposait à ce mécanisme pour plusieurs raison. Elle craint que les vendeurs de gaz se tournent vers d'autres marchés si on leur impose un prix maximum. Mais aussi, elle redoute de ne pas pouvoir disposer de suffisamment d'énergie pour passer l'hiver et compter sur une aide de l'Europe, notamment celle de la France.

Les Verts allemands, qui participent au gouvernement d'Olaf Scholz, critiquent les ratés du programme nucléaire français, qui feraient peser une menace sur l'approvisionnement énergétique des deux pays. Ils pointent l'état des centrales nucléaires françaises, qui obligerait Berlin à compenser les manques avec de l'électricité provenant de centrales au gaz.

Jeudi, après plus de dix heures d'âpres discussions, les Vingt-Sept sont parvenus à un accord. Le plafonnement reste finalement envisagé. La Commission doit désormais travailler le sujet.

Soulagé, un diplomate de l'UE note que "les Allemands étaient contre tout. La principale difficulté, c'était l'Allemagne".

• Comment se mettre d'accord pour l'après Nord Stream?

La relance du gazoduc MidCat provoque un désaccord. Initié en 2013, il avait été stoppé en 2019 en raison de son impact environnemental, Madrid et Berlin, soutenus par Lisbonne et des pays d'Europe centrale, militent pour la relance de ce projet reliant l'Espagne à l'Allemagne. Le gazoduc pourrait permettre d'acheminer du gaz, provenant sous forme de GNL des Etats-Unis ou du Qatar, voire de l'"hydrogène vert".

Mais Emmanuel Macron s'oppose à ce projet: "Je ne comprends pas pourquoi on sauterait comme des cabris des Pyrénées sur ce sujet pour expliquer que ça résoudrait le problème gazier", a-t-il répliqué faisant une subtile allusion aux "cabris" européens du Général De Gaulle".

Finalement, La France, l'Espagne et le Portugal ont annoncé jeudi avoir trouvé un accord pour remplacer le projet MidCat par un pipeline sous-marin entre Barcelone et Marseille, destiné à acheminer du gaz puis de l'hydrogène vert.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco