Du gaz naturel liquéfié destiné au Japon revendu à l'UE : un geste de Tokyo en objection à Moscou

Dans le bulletin météorologique de la chaîne publique japonaise NHK, il est prévu pour aujourd’hui et demain de fortes chutes de neige dans la capitale et de vastes régions alentours. Cet épisode d’hiver rigoureux donne donc un peu plus de relief encore au geste des Japonais à l’endroit de l’Union européenne. Ces derniers vont dérouter des cargaisons de GNL pour aider les Européens à regarnir un peu leurs stocks, dans le contexte des tensions entre la Russie et les Occidentaux.
Des reponsables ministériels, cités par l'agence Kyodo, évoquent ainsi plusieurs centaines de milliers de tonnes qui seraient à livrer aux Européens. Les navires, avec chacun au moins 70.000 tonnes de GNL, doivent arriver d’ici à la fin du mois, sachant que d’autres expéditions sont porgrammées pour mars et avril.
Le gaz naturel liquéfié (GNL) constitue actuellement la source première de production d'électricité au Japon, 39 % du total, et ces derniers mois, les compagnies du secteur cherchent pour le pays lui-même à sécuriser davantage d'approvisionnements. Le ministre de l’Industrie, Koichi Hagiuda, l'a encore souligné hier.
Au prix du marché
Cette marque de solidarité s’opère simplement au prix du marché. Etant donné que cette énergie provient de contrats de long terme, souvent conclus avant la flambée des cours, les sociétés japonaises à la revente sont alors susceptibles de réaliser une marge sur les cargaisons déroutées. Toutes considérations que le gouvernement conservateur n’a pas éludées, préférant néanmoins insister sur un échange de solidarité. Koichi Hagiuda a tenu à rappeler qu’après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, les "peuples d’Europe et des Etats-Unis" ont été les premiers à envoyer leur gaz au Japon.
Un haut fonctionnaire du ministère de l’Economie a donné une chronologie de l’opération démontrant, de nouveau, que dans cette quête les Américains sont à l'initiative. Fin janvier, première approche, puis la demande officielle a été formulée par Washington la semaine dernière. Ce n'est qu'après que l’UE semble formellement entrer en jeu, même si, obligatoirement, elle a été associée aux discussions.
L’ambassadeur des Etats-Unis, Rahm Emanuel, ne manque d'ailleurs pas de signifier à chacun qui a pris les choses en main. Il a déclaré que cette aide du Japon à l’Europe est "un exemple de la manière dont le président Joe Biden et le Premier ministre Fumio Kishida collaborent étroitement" avec des partenaires "partageant des valeurs communes", afin de "décourager l'agression russe contre l'Ukraine".
Iles Kouriles
Le ministère japonais des Affaires étrangères a affirmé, hier, un soutien à "la souveraineté et à l’intégrité territoriale" de l’Ukraine, mais sans le relier à cette opération GNL pour l’UE. La représentante de Bruxelles à Tokyo, Patricia Flor, pour sa part, se garde de faire mention de cette crise géopolitique. Elle se contente de voir dans le geste du Japon "l’excellent reflet d’une coopération étroite de longue date". On ne serait donc là que dans la logique de l’accord de partenariat économique et de celui de partenariat stratégique signés en 2018, entrés en vigueur en juillet 2019.
Pour Tokyo, il y a une autre dimension à cet appui énergétique à l’UE, même modeste: une volonté de tenir son rang face à la Russie, parce que le Japon considère la situation en Ukraine comme pouvant avoir des répercussions sur ses propres relations avec Moscou dans le dossier des îles Kouriles, explication avancée par le journal économique Nikkei Asia.
Ces îlots dans le Nord du pays, toujours perçus comme stratégiques, saisis par les forces soviétiques en 1945, constituent une source permanente de contentieux avec la Russie depuis le 17ème siècle, faisant toujours obstacle à un traité de paix entre les deux nations, même si le gouvernement Kishida l'a réaffirmé comme objectif.
En début de semaine, Moscou a annoncé avoir envoyé plus d’une vingtaine de bâtiments de guerre dans cette région, en ayant informé au préalable le Japon que des exercices à tir réel allaient être effectués. Et comme de coutume, le secrétaire général du cabinet, HIrokazu Matsuno, a élevé une protestation officielle:
"Nous considérons l'augmentation de la présence militaire russe dans les quatre territoires du Nord [îles Kouriles] comme inacceptable. Ces exercices sont un danger pour la navigation dans la région."
Aussi, aider l'Europe, un peu, à se passer le cas échéant du gaz russe, un peu, c’est pour le Japon un facteur dans un rapport de force géopolitique, bien éloigné du sort de l'Ukraine et de la place de l'Alliance atlantique en Europe centrale et orientale.