BFM Business
Le monde qui bouge

Début de représailles européennes contre le Bélarus accusé de piraterie d’Etat

placeholder video
L’UE entreprend d'isoler le Bélarus. Dimanche, un avion de la compagnie irlandaise Ryanair, reliant Athènes à Vilnius, a été forcé d’atterrir à Minsk, pour capturer un opposant politique.

Cet incident est jugé sans précédent par le Conseil européen, qui le qualifie d’"inadmissible". L’accusation de piraterie d’Etat n’a pas été inscrite, cette nuit, aux conclusions du sommet, mais elle est s'est répandue à travers les déclarations de nombreuses capitales européennes. Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne évoquent alors des mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités, ainsi que des sanctions économiques ciblées. Un arsenal juridique est encore à déterminer.

Pour l’heure, en guise de représailles, il y a d’abord un appel à interdire le survol de l’espace aérien des 27 par les compagnies aériennes bélarusses, injonction qu'il ne va pas de soi de mettre en œuvre, car l’UE n’a pleine autorité que sur les vols directs qui décollent ou atterrissent d’un de ses Etats membres. Par ailleurs, le territoire du Bélarus est situé dans des couloirs aériens très empruntés vers l’Asie, en particulier vers la Chine.

Une société de conseil en Lituanie, Friendly Avia Support, explique aussi que les liaisons de fret entre le Moyen-Orient et les Etats-Unis survolent beaucoup le Bélarus. Le contourner aura un impact de durée et donc de coûts. Il va falloir en discuter, de façon détaillée, à l’échelon ministériel des 27, sachant que l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) n’a, semble-t-il, pas compétence juridique en la matière. La faisabilité d'une action en justice est examinée, toutefois selon Oleg Aksamentov, le directeur de l’Institut de droit aérien de Saint-Pétersbourg, il n’y a en pratique aucun moyen de prouver que l’atterrissage forcé était conçu à des fins politiques. Ce qui rendrait vaine toute saisine de la Cour internationale de justice.

"Corée du Nord de l'Europe"

A Minsk, le ministre des Affaires étrangères, Vladimir Makeï, a déclaré que l’incident Ryanair relevait en fait d’une "provocation planifiée de l’Occident". Le gouvernement a surtout avancé une menace reçue du Hamas pour justifier l'interception de l'avion de Ryanair, ce que la formation palestinenne a démenti de façon catégorique. La première chaîne de la télévision d’Etat, qui affirme que l’ingérence dans les affaires intérieures du Bélarus suscite une "juste indignation", a diffusé une vidéo de l'opposant arrêté, le journaliste Roman Protassevitch. Dans la vidéo, on voit le cofondateur de Nexta Telegram déclarer qu'il "coopère à l'enquête" et avoir formulé des "aveux concernant l'organisation d'émeutes de masse" après l'élection présidentielle d'août 2020. Il ajoute être "bien traité". La cheffe de l’opposition en exil, Svetlana Tikhanovskaïa, qui apporte son soutien aux sanctions extérieures, déplore, elle, que son pays soit devenu "une Corée du Nord au milieu de l’Europe".

Différents spécialistes assurent que sans l’aval politique de Moscou, il paraît inconcevable que Minsk ait pu déclencher une telle opération. En tout cas, si le Kremlin ne prend pas fait et cause pour le président Alexander Loukachenko, en place depuis 27 ans, il ne le lâche pas pour autant. La porte-parole de la diplomatie russe rappelle aux Européens indignés l’atterrissage forcé en Autriche en juillet 2013 de l’avion officiel d'un chef de l’Etat bolivien d'alors, Evo Morales. La demande expresse provenait des Etats-Unis, dont l’ambassadeur à Vienne avait soutenu, à tort, que le lanceur d’alerte Edward Snowden se trouvait à bord de l’appareil.

"Réaction en sourdine"

Pour autant, la nature de cette contre-offensive diplomatique ne vaut pas absolution politique. Une analyste russe Tatiana Stanovaya, fondatrice du bulletin R.Politik, parle d’une "réaction en sourdine": elle pense que le président Loukachenko a agi seul, mais que la Russie, en tant que garant géopolitique, n’a d’autre alternative que de l'appuyer. Il en irait toujours des intérêts supérieurs de l’Etat russe, qui ne saurait admettre que le Bélarus bascule à l’Ouest.

Mais cette analyste, comme bien d’autres, juge aussi que Moscou a de plus en plus de mal à saisir la façon dont agit le pouvoir qui se maintient à Minsk. Le politologue russe, Alexander Kynev, cité hier, y caractérise un défaut de "rationalité" dans un système institutionnel encore "primitif". Le président Vladimir Poutine aura très vite l’occasion d’en débattre avec son homologue bélarusse. Il le reçoit vendredi.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international