Pourquoi Emmanuel Macron parle de "risque économique" pour justifier le "49.3"
Albert Einstein avait cette formule "Dieu ne joue pas aux dés". Dieu on ne sait pas, mais Emmanuel Macron non plus apparemment.
Pour justifier son recours à l'article 49.3 pour faire passer le texte de la réforme des retraites sans vote, le chef de l’Etat aurait déclaré hier lors du tout dernier conseil des ministres qu'il "considèr[ait] qu’en l’état, les risques financiers, économiques [étaient] trop grands."
Alors que les derniers décomptes des députés faisaient état d’un déficit de trois voix pour obtenir la majorité, Emmanuel Macron n’a pas voulu jouer le sort de la réforme sur un coup de dé.
Quel est cet argument "économique" dont parle le chef de l'Etat? Il y a la question de l'équilibre financier du système des retraites mais ce n'est pas seulement à ça que pense Emmanuel Macron.
L’enjeu de cette réforme c’est plus globalement pour le président de la République la maîtrise des dépenses publiques et le sérieux budgétaire de l’Etat dans un contexte d’explosion de la dette.
La charge de la dette atteint un record historique
On le rappelle: 3000 milliards d’euros. C’est le montant record que la France doit aux créanciers de la planète en ce début d’année 2023. En à peine quatre ans, avec les crises sanitaires et énergétiques, le montant a bondi de 600 milliards d’euros, ce qui représente 10 fois le budget annuel de l’Education nationale.
Cette année le pays doit emprunter à nouveau 270 milliards d’euros, ce qui est là aussi un record historique. Dans un contexte de remontée des taux, l’argent qu’on nous prête coûte plus cher. Il y a 2 ans, on empruntait à 0%, l’année dernière à 0,4 et cette année on a dépassé les 3% en début d'année.
Concrètement, la charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts qu’on paye aux banquiers, va représenter 50 milliards d’euros cette année. L’équivalent cette fois de cinq fois le budget annuel de la Justice en France.
La dette française est placée sous surveillance par les agences de notations Fitch et S&P avec la crainte toujours d'une dégradation de la note. Ce qui nous coûterait encore plus cher en intérêt et donc nous contraindrait à encore davantage emprunter. Un cercle vicieux.
La réforme des retraites change-t-elle quelque chose à cette situation? Autrement dit, les marchés auraient-ils fait payer la France si le texte avait été retoqué ce jeudi?
"Le vote de la réforme? Un non-événement"
À court terme, probablement pas. C'est ce que pensent la plupart des économistes. "Un sujet franco-français qui est un non-événement", estime ainsi Christopher Dembik, directeur de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank. D'autant que le jour du vote, les marchés avaient les yeux rivés sur la BCE et ses annonces sur les taux d'intérêt.
Lorsque Gabriel Attal, le ministre des comptes publics répétait "c'est la réforme ou la faillite" tout au long des débats, il y avait une part de communication gouvernementale pour dramatiser l'enjeu.
Comme la plupart des Etats européens qui se sont lourdement endettés durant les crises sanitaires et énergétiques, la France bénéficie pour le moment de l'indulgence des marchés. Les taux à 10 ans de la dette française ont d'ailleurs sensiblement baissé en mars et étaient même retombés sous les 3% avant même le 49.3 de jeudi.
L'Allemagne se finance pour beaucoup moins cher
Pas de sanction des marchés à court terme mais rien n'est moins sûr à plus longue échéance. Pour Vincent Juvyns, stratégiste chez JP Morgan Asset Management, cette réforme "montre que la France veille aux équilibres budgétaires à long terme" et qu'elle "contribue à augmenter le taux de participation au marché du travail."
Réduire les dépenses publiques et doper la croissance en augmentant la quantité de travail, les investisseurs internationaux adorent et la signature de l'Etat français est renforcée.
En témoigne l'écart de rendement entre l'emprunt d'Etat français à 10 ans et son équivalent allemand (le fameux "spread"). Quand la France emprunte actuellement à 2,7%, le "10 ans" allemand est lui de 2,1% ce vendredi 17 mars, soit un écart de près de 29%. Avec le taux allemand, la France ferait des milliards d'euros d'économies chaque année sur les marchés.
Près de deux fois moins endettée et jouissant d'un taux d'emploi 11 points supérieurs à celui de la France, l'Allemagne est pour les investisseurs internationaux un bon client. Résultat notre grand voisin se finance plus aisément et la charge de sa dette est bien moindre que la nôtre.
Dépenser moins pour être moins dépendant des marchés internationaux, il est là le pari économique d’Emmanuel Macron.
