Retraites: une réforme pour satisfaire les marchés financiers?

Un texte "au service de la finance plutôt que de la France"? Lors de l'examen de la réforme des retraites en commission des Affaires sociales fin janvier, le député insoumis François Ruffin a tiré à boulets rouges sur le projet du gouvernement relevant l'âge légal de départ à 64 ans. Pour l'élu de la Somme, l'exécutif justifie l'urgence de son projet avec des considérations "faussement budgétaires" alors que sa principale motivation serait tout autre: rassurer les marchés financiers.
Un angle d'attaque conforté il y a quelques jours par les déclarations d'Alain Minc. Invité sur LCI, l'essayiste et économiste libéral a fait parler de lui en jugeant proprement "inenvisageable que la réforme ne passe pas et pour une raison que le pouvoir n'ose pas dire, ou ne peut pas dire".
Et de préciser son propos: "Nous avons 3000 milliards de dette. (…) Le taux d’intérêt que nous payons est très proche de celui de l’Allemagne, ce qui est une espèce de bénédiction peut-être imméritée". Or, "le marché est un être primaire. S'il voit qu'on a augmenté l'âge (de départ à la retraite), il considérera que la France demeure un pays sérieux. (...) Et quand on est débiteur pour 3000 milliards d'euros, on fait attention à ce que pense son créancier", a rappelé l'ancien conseiller politique.
D'après lui, un renoncement du gouvernement tirerait dangereusement les taux d'intérêt de la dette tricolore à la hausse, menaçant la capacité de la France à se financer sur les marchés. "Imaginez que 1% de plus, c'est sur dix ans 150 milliards", a prévenu Alain Minc, avant d'arriver à la conclusion suivante: "Cette réforme a une portée symbolique à laquelle il faut accepter de céder, peu importe les concessions qu'il va falloir faire".
La crainte de la hausse des taux
La réaction des banques centrales pour contrer le retour de l'inflation a déjà entraîné une remontée progressive des taux d'intérêt ces derniers mois, et mis officiellement un terme à l'ère de "l'argent gratuit". Désormais, le rendement à 10 ans de la dette française est proche des 3% alors qu'il était proche de 0% mi-2021. Résultat, la charge de la dette a bondi: à 31 milliards d'euros en 2021, elle a atteint 42 milliards en 2022 et devrait dépasser les 50 milliards cette année.
C'est dans ce contexte que Bercy a sonné l'heure de la sobriété. Après avoir déversé des centaines de milliards d'euros dans l'économie pour protéger ménages et entreprises pendant les crises sanitaire et énergétique, Bruno Le Maire a annoncé fin janvier une réduction significative des dépenses publiques dès 2024. "Le quoi qu'il en coûte est fini", a assuré le ministre de l'Economie. Une promesse de retour au sérieux budgétaire grâce à laquelle le gouvernement espère se prémunir contre tout risque d'emballement des taux et ainsi garantir la soutenabilité de la dette française.
L'exécutif assure toutefois que l'objectif prioritaire de la réforme des retraites est ailleurs, celle-ci ayant avant tout vocation à "sauver le système par répartition", tout en générant davantage de richesses pour financer des projets dans l'éducation, la transition énergétique ou la santé. Sur RMC et BFMTV, Bruno Le Maire a tout de même reconnu que le report de l'âge légal de départ s'inscrivait aussi dans le cadre d'une volonté plus globale de renforcer la crédibilité de la France, en particulier dans sa capacité à assainir ses comptes publics.
"Les oppositions ne voient pas que l'enjeu (de la réforme), ce n'est pas simplement le régime des retraites. C'est que soit nous travaillons tous collectivement davantage, soit la France va s'appauvrir (...). Soit nous rétablissons les comptes publics dans les mois qui viennent parce que nous revenons à une situation économique normale, soit nous allons payer des taux d'intérêt plus élevés et nous aurons une charge de la dette toujours plus élevée", a déclaré le ministre de l'Economie.
Des marchés vraiment réceptifs?
Si la réforme des retraites donne (intentionnellement ou non) des gages aux investisseurs, elle n'aura "aucun impact" sur les marchés, assure Christopher Dembik, directeur de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank. Contrairement à Alain Minc, cet économiste estime que l'effet sur les taux sera nul, "même si le gouvernement renonce". Et il en aurait été de même "s'il avait proposé la retraite à 70 ans".
Essentiellement focalisés sur l'action des banques centrales face à l'inflation, ce sujet franco-français est "un non-événement" pour les investisseurs internationaux, poursuit-il. A ce stade, "l'investisseur étranger se fiche de l'équilibre du système de retraites français. (...) Ce n'est pas du tout un élément que les marchés prennent en compte", contrairement aux réformes "sur la flexibilité du marché du travail" qui, elles, peuvent avoir "un réel impact".
Une réforme des retraites aurait certes pu avoir un impact sur les taux auxquels empruntent un pays émergent, mais pas sur ceux auxquels se finance la France, un "Etat développé qui reste attractif", juge l'économiste, reconnaissant toutefois que c'est une "réforme qui plaît aux institutions internationales comme le FMI".
Stratégiste chez JP Morgan Asset Management, Vincent Juvyns estime lui aussi que la réforme des retraites n'aura "pas d'effets à court terme sur les marchés". Pour autant, elle "montre que la France veille aux équilibres budgétaires à long terme". Il affirme en effet que "dans sa mouture actuelle, la réforme contribuera à augmenter le taux de participation au marché du travail", ce qui devrait permettre de "doper la croissance et réduire les dépenses". De quoi conforter la confiance des investisseurs internationaux et "renforcer la signature de l'Etat français".