Jordan Bardella veut créer un ministère de la lutte contre la fraude

Dans son programme, officiellement présenté ce lundi 24 juin, le Rassemblement national promet de créer "un ministère chargé de la lutte contre la fraude". Il s'agit de la 4e mesure de son programme. En page 12, le parti d'extrême droite indique s'appuyer sur les rapports de la Cour des comptes pour estimer cette fraude.
"Les fraudes seraient de l’ordre de 15 milliards d’euros par an pour la seule TVA, de 10 à 20, voire 25 milliards d’euros pour la fraude aux prestations sociales, alors même que les organismes sociaux n’ont détecté, en 2019, qu’un milliard d’euros de fraude", avance le parti d'extrême-droite.

Le montant de la fraude à la TVA est bien celui mis en lumière par la Cour des comptes dans un rapport de 2019. Les Sages évoquaient un chiffre de 15 milliards d'euros en précisant qu'il s'agissait d'une estimation. Impossible en effet de chiffrer le montant exact. Les Sages appelaient d'ailleurs l'État à se doter d'outils pour obtenir une meilleure évaluation.
Une surestimation incontrôlée
Pour les prestations sociales, les chiffres avancés dans le programme du Rassemblement national sont moins clairs. Dans un autre rapport sorti en 2023, dans la partie consacrée à "la lutte contre les fraudes aux prestations sociales", la Cour des comptes pointe un montant allant de 1,1 à 1,3 milliard d'euros, une estimation qu'elle admet être inférieure à la réalité.
"Au regard du poids financier des prestations pour lesquelles les fraudes et fautes ne sont pas encore estimées, cela laisse augurer un préjudice global pour l’assurance-maladie très largement supérieur", indique le rapport.
En appliquant une "simple règle de trois aux montants déjà estimés", le "montant de fraudes et de fautes à l’assurance maladie [serait] de l’ordre de 3,8 à 4,5 milliards d'euros", peut-on encore y lire.
Au vu de la difficulté à obtenir des données précises, les Sages de la rue de Valois évoquent même un montant qui pourrait atteindre 8 milliards d'euros. On est encore très loin des "10 à 20, voire 25 milliards d’euros" affichés par le RN.
En fait, les montants évoqués par Jordan Bardella ne proviennent pas de l'institution, mais s'inscrivent dans les projections de Charles Prats, candidat soutenu par le RN, dans le cadre de l'alliance avec Eric Ciotti, dans la 6e circonscription de Haute-Savoie.
Cet ancien magistrat, engagé dans la lutte contre les fraudes sociales et auteur des livres Cartel des fraudes et Cartel des fraudes 2, estime que 2,5 millions d’individus "fantômes" bénéficieraient de 30 milliards de prestations sociales indues.
Entre 20 et 50 milliards d'euros
En septembre 2021, lors d'un débat avec Jean-Luc Mélenchon sur BFMTV, Eric Zemmour évoquait un chiffre annuel de "50 milliards d'euros". Aussitôt, la sénatrice LR Valérie Boyer reprenait le sujet en affirmant que ces fraudes seraient comprises dans une fourchette allant de "14 à 45 milliards", selon "différentes commissions d'enquête parlementaire".
Dans une enquête de vérification, l'AFP rapportait aussitôt que "cette évaluation n'a été formalisée dans aucun des trois rapports parlementaires consacrés depuis deux ans" aux fraudes aux prestations sociales (allocations familiales, chômage ou vieillesse, retraites, RSA, aides au logement...).
L'AFP n'a trouvé aucune trace de ces données "ni dans le rapport d'information du Sénat de juin 2019, ni dans celui d'octobre 2019 commandé par le gouvernement à deux parlementaires ou dans le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qui a publié ses travaux en septembre 2020 et dont Mme Boyer était membre".
Avec ce ministère de la lutte contre la Fraude, le Rassemblement nationale veut "permettre aux organismes sociaux d'accéder aux fichiers utiles pour lutter contre la fraude", sans préciser lesquels. Dans les faits, ces organismes peuvent déjà avoir accès à beaucoup d'informations pour lutter contre la fraude. Par exemple, la CAF a signé une convention avec différents organismes sociaux (CPAM, Urssaf, Impôts) pour échanger des informations et contrôler la véracité des situations déclarées par les allocataires.
Le parti veut aussi mettre en place une Carte vitale biométrique. Une idée qui avait été rejetée l'an dernier par un rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en raison de son... coût. Autour de 10 euros par carte vitale. Le gouvernement actuel travaillait donc à une fusion de la carte vitale et de la carte d'identité.
Le RN propose également dans son programme de contrôler que les personnes qui "perçoivent des prestations sont toujours vivantes, en particulier lorsqu’elles vivent à l’étranger". Une mesure qu'avait également présentée Gabriel Attal en mai 2023 dans son plan de lutte contre les fraudes aux prestations sociales.
