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"Je suis pessimiste, on n’y arrivera pas": le gratin mondial des économistes plombé aux Rencontres d’Aix

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Disparition de la rationalité, triomphe des idées simplistes, dette abyssale ou encore déclin de l’Europe… Les économistes, experts et grands patrons réunis aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence peinent à trouver des lueurs d’espoir.

Très peu d’air frais sous la canicule aixoise. Les rencontres économiques d’Aix-en-Provence qui réunissent comme chaque année le gratin mondial des économistes, grands patrons et experts se sont ouvertes ce jeudi 3 juillet dans un climat de plomb. Entre victoire des populismes un peu partout dans le monde, rejet de la rationalité et consensus politiques introuvables (et pas qu’en France), l'humeur n’est pas au beau fixe.

Et c’est l’économiste Philippe Aghion qui a tiré les premières salves. "On bascule dans le rejet de la rationalité, le rejet du savoir, la montée du nationalisme, a-t-il lancé en préambule de son intervention dans l'amphithéâtre numéro 1. On jette par-dessus bord Ricardo et Adam Smith. On ne pense plus que deux pays peuvent gagner dans une relation commerciale…"

Pour le professeur au Collège de France et à la London School of Economics, “on s’accroche plus que jamais aujourd'hui à des idées simplistes."

Il cite notamment l’exemple des projets de taxe sur les robots: "C’est absurde, les entreprises qui adoptent les robots deviennent plus productives et créent des emplois". Ou encore les plafonnements des loyers: "À court terme c’est bien mais au final on réduit l’offre de logements et les gens s’accrochent à leur appartement".

La dette américaine s'envole et l'Europe est déclassée

Poursuivons avec un débat sur la dette mondiale qui explose. Cette fois c’est un Américain qui prend la parole. Et ce alors que Donald Trump s’apprête à faire passer sa "grande et belle loi" très controversée.

"Le monde est accro à la dette et les États-Unis encore plus, s’alarme Douglas Rediker, économiste au think tank Brookings Institute. La 'Big Beautiful Bill", ça va accroître le déficit de 3.300 milliards de dollars. C’est ça la réalité. Mais les gouvernants utilisent la pensée magique et tout le monde décide d’aller dormir."

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Bon et l’Europe dans tout ça? On en parle justement dans la table ronde suivante. Les intervenants: Jacques Aschenbroich, le président d’Orange, et Jacques-Philippe Gunther, avocat d’affaires chez Latham & Watkins. "Le thème des journées c’est le choc des réalités et bien allons-y, démarre le président du géant des télécoms. Le poids de l’Europe dans la richesse mondiale c’était 29% en 1980 et les États-Unis 26%. Aujourd’hui les États-Unis sont toujours à 26% et l’Europe a perdu plus de 10 points et est tombée à 18%".

"Le déclassement il est là. Ce ne sont pas eux qui ont perdu leur place dans le monde contrairement à ce que dit le président américain. Mais c’est nous!"

Manque de travail, productivité en berne, épargne qui part s’investir ailleurs (de l’autre côté de l’Atlantique principalement) et surtout des institutions européennes qui ne prennent pas la mesure de la situation, au contraire: Jacques-Philippe Gunther parle de "suicide de l’industrie européenne" avec une Commission qui a trop privilégié la concurrence au détriment de la création de grands groupes industriels.

"Depuis 1990, la Commission a refusé une quarantaine de décisions de fusion ou d’acquisition. Mais même quand elles sont autorisées, ça se traduit par des cessions d’actifs, des désinvestissements et au final de la casse industrielle. Et les actifs sont en plus souvent rachetés par des Américains ou des Chinois."

Jacques Aschenbroich rappelle à cet égard que les États-Unis ne comptent que trois opérateurs mobiles contre 4 en France et 120 dans toute l’Europe.

"Les experts parlent en chiffres mais les gens ont besoin d’émotion"

Après l’Europe, la France? Ce n’est certainement pas là qu’il faut y chercher de l’optimisme. "Je suis affreusement pessimiste, douche d’emblée l'assistance l’économiste Patrick Artus. En France, je ne vois pas qu’on puisse dégager un consensus politique autour d’une réforme profonde de l’État. Moins de dépense publique, plus d’investissement dans le système éducatif, ça paraît très difficile.

"Quant à l’Europe, elle n’arrivera pas à se moderniser si elle ne garde pas son épargne et envoie 400 milliards d’euros par an pour moderniser l’économie américaine."

L’économiste cite tout de même quelques exemples encourageants comme ceux de la Finlande qui a musclé son éducation au point que leurs élèves tiennent la dragée haute à ceux d’Asie du sud-est. Ou encore la Suède qui a réussi à baisser de 20 points de PIB ses dépenses publiques depuis sa crise de la fin des années 90 tout en améliorant l’efficacité de ses services publics.

Des politiques menées dans un certain consensus au sein de la population. Un défi aujourd’hui dans des sociétés plus polarisées que jamais et dans lesquelles les élites sont jugées avec suspicion et leurs solutions démonétisées.

Comment retrouver le chemin de la rationalité, le thème général de ces rencontres économiques d’Aix-en-Provence? C’est la chercheuse en immunologie Yasmine Belkaid, qui dirige l’Institut Pasteur, qui a peut-être un début de piste.

"Il faut partager la recherche et plus généralement le savoir de manière plus claire et plus émotionnelle, avance-t-elle. Les experts, les scientifiques parlent en nombres, en chiffres, mais les gens ont besoin d’émotion. On a besoin de tous mieux communiquer et de manière émotionnelle." Et pas forcément avec des émotions négatives.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco