"Je gagnais 1.800 euros brut après un bac+8, bon courage pour attirer les chercheurs (à 300.000 dollars l'année) qui veulent fuir Trump"

"La France veut attirer les chercheurs américains qui veulent fuir l'Amérique de Donald Trump? C'est tout à fait louable. J'aime la recherche, donc je suis pour qu'on accueille des chercheurs. Mais je dis "bon courage".
Car penser qu'on va y arriver c'est nier complètement la réalité de la recherche dans notre pays. Le problème, c'est qu'on veut accueillir des chercheurs quand on est en train de détruire la recherche française.
Il faut savoir qu'en 2025, les coupes budgétaires pour l'enseignement supérieur et la recherche sont de 493,3 millions d'euros. Il y a une diminution du nombre de nouveaux doctorants de 10% depuis 2011. Les chercheurs se battent avec des techniques de bouts de ficelle qui ne sont plus utilisées aux Etats-Unis. Il pleut dans les couloirs des laboratoires français, les chercheurs utilisent des techniques des années 80 pour réduire les budgets quitte à mettre en danger la vie des techniciens et étudiants. Et on peut multiplier les exemples.

Il faut comprendre le parcours du combattant que vive les jeunes chercheurs qui espèrent avoir un poste de chercheur en France. Moi, j'avais fait ma thèse après une classe préparatoire et une école d'ingénieur. J'en suis donc à bac + 8 pour m'entendre dire par ma directrice de thèse: "C'est super que ton petit ami gagne bien sa vie, ton salaire de chercheur, ça sera ton argent de poche."
Après avoir fait un BAC+8, on peut espérer être indépendante financièrement quand même. Je n'avais pas fait tout cela pour devoir choisir entre mon indépendance et mon rêve de devenir chercheur. C'était pourtant le message de ma directrice de thèse.
Quand vous avez fait ce bac + 8, vous partez pour 10 ans de postdoc. Qu'est-ce qu'un postdoc ? Un CDD. Donc 10 ans de CDD,ce qui vous emmène vers 36 ans. 10 ans de CDD, où vous êtes obligé de partir au moins une fois à l'étranger. Déjà, il faut que votre conjoint vous suive sans être sure de pouvoir revenir un jour en France.
Et quand vous êtes en capacité de postuler, donc 10 ans plus tard, pour devenir chercheur, il y a un poste pour 250 candidats dans certaines filières. C'est plus du tout une question de mérite, c'est une question de loto. C'est le loto en concurrence avec tous ceux qui ont travaillé comme des dingues pour avoir le droit d'avoir un ticket. Et là, vous espérez être celui qui va obtenir le poste sur les 250 pour un salaire de... 1.800 euros bruts.
Entre 150.000 et 300.000 dollars à l'année
Dans ma spécialité la biologie, un chercheur aux US gagne entre 150.000 et 300.000 dollars à l'année selon les spécialités et l'institution.
Qui va venir en France pour 1.800 euros brut? D'ailleurs les quelque chercheurs qui étaient venus lors du premier mandat de Trump sont d'ailleurs déjà repartis.
Moi, j'ai préféré changer de carrière car je me disais que j'allais avoir trop de frustration. Je ne suis pas à la recherche de l'argent mais c'est une reconnaissance.
J'aurais pu partir à l'étranger mais je ne l'ai pas souhaité. J'estimais que la France m'avait payé mes études et j'avais envie de rendre à mon pays cet investissement en créant de la valeur ici.
Mais le pire, c'est que ces conditions de précarité mettent en partie aussi en danger la santé des chercheurs. Moi, j'ai beaucoup d'exemples de jeunes qui ont fait des malaises d'épuisement, mais qui sont quand même venues travailler au labo le matin parce qu'elles avaient des cellules ou des expériences à faire, qui dormaient sous les bureaux pour pouvoir faire des expériences la nuit. Il y a une jeune femme dans le laboratoire, où moi, j'ai fait ma thèse, qui est décédée à 33 ans. Elle était en CDD de technicienne. Elle est décédée parce qu'elle s'est contaminée, parce qu'elle avait été mal formée à la sécurité.
Alors, quand j'entends dire qu'on fait la danse du ventre pour ramener 30 chercheurs, je trouve que c'est humiliant pour des gens qui ont sacrifié leur vie pour essayer de maintenir le pays avec un certain niveau de science. Car ne l'oublions pas, on n'est rien sans la science."