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Vers une crise économique mondiale? Ces signaux qui inquiètent

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Les crises successives depuis le début de la pandémie de Covid-19 font planer une menace sur l'économie mondiale. Certains pays ne devraient pas échapper à la récession dans les prochains mois.

Covid-19, guerre en Ukraine, tensions géopolitiques, épisodes de sécheresse inédits… "Le moment que nous vivons peut sembler être structuré par une série de crises graves (…) et il se pourrait que d’aucuns voient notre destin comme étant perpétuellement de gérer les crises ou des urgences", a déclaré Emmanuel Macron mercredi lors de l’ouverture du conseil des ministres.

Au cours de son allocution au ton grave, le chef de l’Etat a dit croire "que ce qu’on est en train de vivre est de l’ordre d’une grande bascule ou d’un grand bouleversement" du monde. Au fond, nous vivons la fin de l'abondance, celle des liquidités sans coût - on devra en tirer les conséquences économiques - celle de produits et de technologies qui nous paraissaient perpétuellement disponibles, la rupture des chaînes de valeurs. La rareté de telle ou telle matière ou technologie réapparaît, comme celle de l'eau. Nous aurons des dispositions à prendre", a ajouté le président de la République.

Dans la foulée, le Haut-commissaire au Plan François Bayrou a dit être sur la même ligne qu’Emmanuel Macron, allant jusqu’à craindre "la crise la plus grave que la France ait connu depuis la guerre". Catastrophisme ou lucidité? L’avenir le dira. Ce qui est sûr en revanche, c’est que les événements des derniers mois affectent déjà l’économie tricolore et plus largement l’économie mondiale. Certains signaux sont là pour en témoigner. Le risque de récession, lui, se renforce un peu plus chaque jour.

• Inflation mondiale

Conséquence des perturbations du commerce mondial lors de la reprise post-Covid puis de la guerre en Ukraine, la hausse généralisée des prix touche désormais toutes les régions du monde: 8,9% en zone euro en juillet sur un an, 10,1% au Royaume-Uni, 8,5% aux Etats-Unis, 7,8% en Afrique du Sud. Des niveaux jamais vus depuis plusieurs dizaines d’années. En Asie, l’inflation demeure modérée mais accélère mois après mois. Elle s’est notamment établie à 2,7% en Chine en juillet et à 2,3% au Japon.

Devant l’envolée des prix, les banques centrales sont montées au créneau, bien que trop tardivement pour certains. Pour refroidir la machine économique, au risque de plomber sérieusement la croissance, la Fed a annoncé fin juillet sa quatrième hausse de taux directeurs depuis mars outre-Atlantique. Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre a actionné ce levier à plusieurs reprises depuis le mois de décembre, tandis que la BCE a augmenté ses taux pour la première fois en dix ans il y a quelques semaines.

Si l’action des banques centrales a vocation à ralentir l’inflation, le relèvement des taux directeurs ne va pas stopper l’envolée des prix du jour au lendemain. En France, le taux d’inflation est attendu proche des 7% en fin d’année, contre 6,1% aujourd’hui (6,8% en IPCH). La situation est encore plus préoccupante outre-Manche où la Banque d’Angleterre table sur plus de 13%.

Au final, l’inflation devrait atteindre 6,6% en moyenne dans les pays développés cette année et 9,5% dans les pays émergents, selon les prévisions du FMI. Soit une révision à la hausse de 0,9 et 0,8 point par rapport aux dernières prévisions. L’institution monétaire s’attend également à ce qu’"elle reste élevée plus longtemps".

• Flambée des prix de l’énergie et risque de pénurie en Europe

Pétrole, gaz, électricité… Les prix de l’énergie ont atteint des sommets ces derniers mois. Entamée au second semestre 2021 sur fond de forte reprise de l’économie mondiale, l’envolée s’est accentuée avec la guerre en Ukraine. Le prix du gaz naturel européen en particulier a explosé et été multiplié par quatre (+315%) depuis le début de l’année. Mercredi, il a dépassé brièvement les 300 euros le mégawattheure, un niveau plus vu depuis le record historique enregistré en mars, au début de l’invasion russe en Ukraine.

En cause, l’annonce par Gazprom d’une suspension complète de l’approvisionnement de l’Europe en gaz via Nord Stream 1 pour une période de trois jours du 31 aout au 2 septembre. Les prix ont également été soutenus par les conditions climatiques en Europe, entre sécheresses et vagues de chaleur, "ce qui a entraîné une augmentation de la demande d'énergie pour le refroidissement de l'air", expliquent les analystes de Société Générale. Ils citent également parmi les facteurs haussiers l'effort des nations européennes de reconstituer leurs stocks de gaz naturel avant l'hiver, une entreprise d'autant plus ambitieuse "avec des flux de gaz toujours faibles à travers le gazoduc principal alimentant l'Europe occidentale".

Cette récente flambée des cours a également provoqué un envol des prix de l'électricité pour l'année prochaine en France comme en Allemagne, sans atteindre les records historiques atteints plus tôt dans la semaine. Désormais, le Vieux continent qui cherche à se passer du gaz russe se prépare à un hiver difficile. Dans plusieurs pays européens, des restrictions de consommation d’énergie ont d’ores et déjà été mises en place pour limiter le risque de pénurie. En France, alors qu’Emmanuel Macron a évoqué la "fin de l’abondance", "un grand plan de sobriété" sera présenté prochainement.

• Des prévisions de croissance révisées à la baisse

Fin juillet, le FMI a mis ses prévisions de croissance à jour, avec un constat clair: "les trois plus grandes économies du monde (Etats-Unis, Chine, Zone euro) marquent le pas, et les conséquences pour les perspectives mondiales sont importantes". L’institution de Washington table ainsi sur une croissance mondiale 3,2% cette année et 2,9% en 2023, soit une dégradation de 0,4 et 0,7 point par rapport aux prévisions d’avril.

Dans le détail, l’activité aux Etats-Unis devrait progresser de seulement 2,3% cette année et 1% l’année prochaine. A 3,3%, la croissance chinoise 2022 s’établirait quant à elle à son plus faible niveau depuis plus de quarante ans (hors pandémie). Enfin, celle de la zone euro est estimée à 2,6% cette année et 1,2% en 2023.

Des prévisions revues à la baisse que l’institution de Washington justifie en évoquant notamment les "répercussions négatives de la guerre en Ukraine" avec "une inflation plus forte que prévu" aux Etats-Unis et en Europe, ainsi qu’un ralentissement "plus prononcé qu’attendu" en Chine "sur fond de flambées de Covid-19 et de confinements". Au point que la production mondiale s’est contractée au deuxième trimestre cette année.

A cela s’ajoute le resserrement des politiques monétaires qui devraient accentuer le ralentissement de l’économie mondiale. Voire faire entrer certains pays en récession. D’ailleurs, même si le sujet fait débat outre-Atlantique, les Etats-Unis sont déjà techniquement en récession déjà puisque l’économie américaine s’est contractée durant deux trimestres consécutifs. Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre prévoit quant à elle une contraction de la production chaque trimestre entre les trois derniers mois de 2022 et les trois derniers de 2023. Ensuite, "la croissance restera faible".

La zone euro échappe encore à la récession. Mais Bruno Le Maire lui-même n’a pas écarté l’hypothèse d’une dégradation sérieuse de l’activité dans les mois qui viennent: "tout va dépendre des décisions de Vladimir Poutine sur le gaz. Si jamais il décide de couper le gaz pour l'UE et la zone euro, nous évaluons l'impact sur la croissance, pour la seule France, à un demi-point de PIB, et sans doute davantage pour d'autres économies plus dépendantes du gaz russe que nous", a déclaré le ministre de l’Economie mercredi sur France 5. "C'est sur la question du gaz russe que se jouera une partie de la croissance en Europe dans les mois qui viennent", a-t-il ajouté.

En France, la croissance a rebondi plus fort qu’attendu au deuxième trimestre, à +0,5%. Mais cette relative embellie s’explique en partie par le retour des touristes étrangers, tandis que la consommation des ménages a continué de baisser. Les signaux pour la conjoncture tricolore dans les mois qui viennent ne sont par ailleurs guère encourageants.

En témoigne les derniers indices PMI publiés par S&P Global. Ces indices constituent des indicateurs avancés de l’activité du secteur privé, c’est-à-dire qu’ils prennent le pouls de l’économie avant la fin d’une période donnée, en sondant les avis des directeurs d’achat des grandes entreprises.

Les derniers indices PMI de la France, publiés mercredi, se sont avérés moroses. En août, l’indice PMI composite, qui englobe l’activité dans les services et l’industrie, est tombé à son plus bas niveau depuis 18 mois à 49,8. Un indicateur inférieur à 50 sur un mois donné signifie que l’activité s’est contractée. "La fin de l’année 2022 s’annonce difficile pour les économies européennes et la France ne fait en aucun cas figure d’exception", a prévenu Joe Hayes, économiste chez S&P Global Intelligence.

Les chiffres dans l’ensemble de la zone euro ne sont pas meilleurs. L’indice PMI Composite d’août pour la zone euro est tombé à un plus bas de 18 mois également pour la zone euro, à 49,2. Les économistes de la banque Barclays soulignent toutefois que la France est le pays qui a subi la plus forte détérioration en août. Au vu de ces indicateurs, l’établissement britannique a confirmé qu’il tablait sur une entrée en récession de la zone euro au second semestre.

• Risque de crise alimentaire

Mercredi, le programme alimentaire mondial (PAM) a alerté sur l’augmentation spectaculaire du nombre de personnes confrontés à une insécurité alimentaire aiguë depuis la crise du Covid-19. Ils seraient aujourd’hui 345 millions, contre 135 millions il y a trois ans.

Un bond lié aux conséquences de la pandémie, du changement climatique (sécheresses, inondations) et de la guerre en Ukraine qui tire les prix alimentaires mondiaux et ralentit les exportations vers les pays d’Afrique et du Proche-Orient.

"Le monde ne peut tout simplement pas se permettre cela", a déclaré Corinne Fleischer, directrice régionale du PAM. "Nous constatons aujourd'hui que les déplacements sont dix fois plus nombreux dans le monde en raison du changement climatique et des conflits et, bien entendu, tout cela est lié. Nous sommes donc très inquiets de l'effet cumulatif du COVID, du changement climatique et de la guerre en Ukraine", a-t-elle ajouté.
Paul Louis avec Julien Marion