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Un trumpiste à la tête des statistiques américaines: pourquoi tricher sur ses données économiques est risqué pour un pays?

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La nomination d'E.J. Antoni inquiète les milieux économiques et financiers. Ils craignent qu'à l'avenir, les chiffres sur la croissance ou l'emploi américains soient manipulés comme ce fut le cas en Grèce ou en Argentine, avec les conséquences que l'on connaît.

L'inquiétude sur la crédibilité des futures statistiques macroéconomiques des Etats-Unis grandit depuis que Donald Trump a décidé de limoger Erika McEntarfer, cheffe du bureau américain des statistiques et de l'emploi (BLS), accusée par le locataire de la Maison Blanche d'avoir "truqué les chiffres de l'emploi" à des fins politiques. Sans en apporter la moindre preuve.

La question se pose d'autant plus depuis la nomination de son successeur. Économiste du très conservateur centre de réflexion Heritage Fondation, Erwin John Antoni III cristallise les inquiétudes liées à ses lacunes en matière économique mais aussi à son orientation politique. Pour les observateurs, sa capacité à manier les données pour les adapter à son propre point de vue et à celui du président américain pose problème. Car mentir ou manipuler les statistiques économiques à des fins politiques est loin d'être anodin.

"Le président Trump vient de franchir une étape très négative sur une pente glissante", explique à CNN Alan Blinder, ancien vice-président de la Réserve fédérale. "La prochaine inquiétude sera la manipulation" des données.

"Rien ne remplace des données gouvernementales fiables", ajoute Michael Heydt, analyste principal des questions souveraines chez l'agence de notation Morningstar DBRS.

En Grèce, une manipulation qui a débouché sur une crise sans précédent

Car il y a des précédents. La Grèce est un cas d'école. En 2009, la manipulation à grande échelle des chiffres du pays depuis 2004 est révélée au grand jour, provoquant une crise de confiance sans précédent. Il s'agissait alors pour le précédent gouvernement de camoufler un déficit abyssal de près de 16% du PIB afin de pouvoir entrer dans la zone euro.

La révélation de cette manipulation plonge le pays dans la tourmente financière, sa dette est attaquée et le pays est placé un an plus tard sous la tutelle de la "troïka" composée du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Commission européenne. S'ensuit une longue cure d’austérité marquée notamment par une baisse des salaires dans la fonction publique et des pensions de retraite. Des mesures qui suscitent la colère des citoyens.

D'autant plus que ces falsifications ont considérablement aggravé les effets de la crise financière mondiale de 2008 et 2009 en Grèce. Si les chiffres officiels sont à nouveau perçus comme fiables par la Commission européenne à partir de 2010, le pays mettra des années à se redresser suite à son mensonge originel.

En Argentine, plus personne ne croit dans les chiffres de l'inflation

En Argentine aussi, l'Etat a tripatouillé ses statistiques macroéconomiques, notamment les chiffres de la croissance et de l'inflation. Et les doutes sur leur fiabilité pèsent encore sur la troisième économie d'Amérique latine. L'histoire est d'ailleurs assez proche de ce qui se passe aux Etats-Unis. En 2007, le président de l'époque, Nestor Kirchner, décide de sanctionner la personne responsable de préparer les données sur l'inflation. Sa faute ? Avoir (correctement) signalé une flambée des prix.

Cette décision a alors jeté le doute sur la crédibilité des données sur la hausse des prix dans le pays, qu'il s'agisse du simple citoyen mais aussi des investisseurs internationaux. Depuis 2007, les chiffres de l'Indec, l'Institut national des statistiques, sont contestés. Exemple avec l'inflation de 2011 annoncée à 9,5% selon l'Indec, alors qu'elle est évaluée à environ 23% par des instituts privés.

De quoi inciter les agences de notation à maintenir la note de crédit du pays en zone spéculative pendant des années et donc de faire flamber les taux d'intérêts de ses crédits. Et au final, c'est le citoyen argentin qui en a payé le prix, le pays ne parvenant plus à financer ses investissements étant donné le coût élevé de son accès aux crédits.

L'administration Trump veut rassurer

Pour autant, la Grèce et l'Argentine ne sont pas les Etats-Unis compte tenu de sa position de première économie mondiale. Le risque ? Que les investisseurs, les marchés et/ou les créanciers des Etats-Unis sanctionnent le pays, et par effet domino, provoquent une nouvelle crise internationale étant donné le poids de l'économie américaine. La Maison Blanche s'est donc attachée à rassurer et à éteindre le début d'incendie qui agite les milieux financiers depuis la nomination de Erwin John Antoni.

"Le président Trump estime que les entreprises, les ménages et les décideurs politiques méritent des données précises pour éclairer leurs décisions, et il restaurera la confiance des États-Unis dans le BLS", indique à CNN, Taylor Rogers, porte-parole de l'administration Trump.

Robert Shapiro, président du cabinet de conseil économique Sonecon et ancien sous-secrétaire au Commerce pour les affaires économiques sous la présidence de Bill Clinton, rappelle également à nos confrères que la situation économique de la Grèce et de l'Argentine étaient bien différente de celle des Etats-Unis aujourd'hui avec ses 3% de croissance annuelle et une inflation autour des 2,5%. "Nous sommes la plus grande économie du monde. Nous sommes de loin le plus grand centre financier du monde", souligne-t-il.

Il rappelle également que d'autres instituts statistiques publics et privés comme le Bureau d'analyse économique constituent des garde-fous au cas où le BLS avait la tentation de manipuler les chiffres au profit de Donald Trump. "Ces institutions sont composées à près de 100% de statisticiens et d'économistes. Leur travail est totalement apolitique", assure-t-il.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business