Pourquoi la nomination du trumpiste E.J. Antoni à la tête des statistiques américaines inquiète les économistes de tous bords

Donald Trump a nommé E.J. Antoni, un économiste d'un centre de réflexion très conservateur, à la tête de la principale agence de statistiques économiques des Etats-Unis. - Truth Social
A peine nommé, déjà critiqué. Le nouveau patron de l'agence américaine des statistiques et de l'emploi (Bureau of Labor Statistics – BLS) E.J. Antoni, désigné lundi par Donald Trump pour remplacer Erika McEntarfer, limogée début août par le président américain, est loin de faire l'unanimité.
"Notre économie est florissante et E.J. va s'assurer que les Nombres sont HONNETES et PRECIS", a claironné Donald Trump sur son réseau Truth Social pour annoncer sa nomination.
Économiste du très conservateur centre de réflexion Heritage Fondation, Erwin John Antoni III de son nom complet est par ailleurs un fervent défenseur du mouvement trumpiste MAGA ("Make America great again"). De quoi interroger son impartialité à la tête d'une agence réputée justement pour son intégrité et louée pour ses études et analyses factuelles sur l'emploi, l'inflation, les salaires et autres thématiques économiques cruciales, formule le New York Times.
Le média américain rapporte que des économistes issus de différents courants politiques s'inquiètent des conséquences que va avoir la nomination d'E.J. Antoni – qui doit encore être confirmée par le Sénat américain.
S'exprimant sur le réseau social X, Dave Hebert, chercheur à l'American Institute for Economic Research, dit (ironiquement) avoir été "impressionné (…) par son incapacité à comprendre les concepts basiques de l'économie et la vitesse à laquelle il est devenu MAGA".
A seulement 37 ans, le nouveau "monsieur statistiques" est un choix inhabituel selon le New York Times. Ses prédécesseurs et prédécesseures à la tête du BLS étaient plutôt issus de longues carrières au sein du gouvernement ou encore des académiciens. Si E.J. Antoni est docteur en économie, son CV est principalement constitué d'emplois au sein de think tanks à tendance conservatrice. Ses recherches ont d'ailleurs davantage portées sur des sujets type impôts et sécurité sociale plutôt que sur l'emploi et la macroéconomie.
Lacunes académiques
Mais ce n'est pas tant son CV qui dérange que sa manière d'appréhender l'économie et sa capacité à manier les données pour les adapter à son propre point de vue – partisan. Des économistes interrogés par le quotidien américain rapportent qu'E.J. Antoni a par exemple évoqué le nombre croissant de personnes sans emploi sans tenir compte des personnes à la retraite, ou encore, qu'il a semblé ignorer que la mesure des prix à l'importation n'incluait pas les conséquences des droits de douane.
Selon l'économiste Kyle Pomerleau, "soit il fait preuve d'une incompréhension totale des principes et données économiques, soit il montre une volonté de traiter son audience avec dédain et de l'induire en erreur".
Au cours de ses apparitions médiatiques, notamment chez Fox Business Network, où il fait l'apologie de l'administration Trump et loue les bénéfices économiques de sa politique, E.J. Antoni a souvent critiqué l'agence qu'il dirige désormais.
Une lecture partisane des données
Les personnes interrogées s'inquiètent de potentielles interférences politiques et évoquent le danger que représenterait une politisation de l'agence pour le bien fondé des décisions et des orientations économiques.
"Les statistiques ne sont pas au service d'une administration", indique Kyle Pomerleau au NYT. "Ce sont des données économiques importantes, étroitement liées à l'élaboration des politiques publiques et des décisions du secteur privé."
Les risques d'une lecture partisane des données sont – pour l'instant du moins – non fondées, selon les sources interrogées. Les analyses sont élaborées par des statisticiens qui traversent les mandats présidentiels. Cependant, un commissaire du BLS avec de fortes convictions politiques pourrait influer sur la lecture des chiffres de manière plus ou moins subtile. Les économistes indiquent qu'ils resteront attentifs aux signaux faibles, comme des départs inexpliqués à des postes de haut niveau, ou des modifications de méthodologie sans documentation claire.
La réputation du BLS semble cependant déjà écornée : la décision de Donald Trump de limoger Erika McEntarfer et de nommer un responsable acquis à sa cause renforcera certainement l'impression de nombreux Américains sceptiques quant à l'impartialité des analyses.