Trump tente une nouvelle méthode pour prendre le contrôle de la Fed sans licencier Jerome Powell (ce qui est de mauvais augure pour l'économie américaine)

Une nouvelle attaque contre l'indépendance de la Fed. Ces derniers jours, Donald Trump a accentué sa campagne de reprise en main de la banque centrale des États-Unis en voulant limoger la gouverneure Lisa Cook. Laquelle a, en réponse, saisi la justice pour dénoncer une "tentative inédite et illégale" de révocation qui "constituerait un précédent dans l'histoire du conseil" des gouverneurs.
L'initiative du locataire de la Maison-Blanche est "non seulement illégale", mais aussi "profondément dangereuse" car elle "menace la crédibilité des États-Unis", a également déploré l'ancienne patronne de l'institution Janet Yellen dans une tribune publiée dans le Financial Times.
D'après elle, "en visant Cook, Trump envoie un message glaçant à tous les membres" du comité votant sur les taux d'intérêt américains, au nombre de 12 (les sept du conseil des gouverneurs, le président de la Fed de New York et quatre présidents de Fed régionales qui changent d'une année sur l'autre): "Si vous exprimez votre désaccord avec le président, vous êtes le suivant".
Obtenir une baisse des taux d'intérêt
En révoquant la gouverneure Cook, Donald Trump semble franchir une nouvelle étape dans sa volonté de prendre le contrôle de la Fed. À plusieurs reprises déjà, le président américain a paru chercher à renvoyer le président de l'institution, Jerome Powell, avant de reculer devant la fébrilité des marchés financiers. Il a également appelé à sa démission et mis en cause sa gestion des travaux de rénovation du siège de la Fed à Washington.
Autant d'attaques visant à obtenir de la Réserve fédérale la baisse des taux que Trump réclame depuis des mois. Mais faute de parvenir à éjecter Jerome Powell, la nouvelle stratégie du locataire de la Maison Blanche semble désormais consister à remodeler le reste du comité de la Réserve fédérale, afin d'y placer des personnes davantage en phase avec sa vision de l'économie.
"Le président Trump utilise tous les leviers possibles pour essayer d'avoir une majorité au conseil des gouverneurs dans l'espoir que les taux d'intérêt baissent", a observé auprès de l'AFP David Wessel, chercheur à la Brookings Institution.
"Il veut contrôler la Fed", dont la crédibilité "en tant que pompier anti-inflation sera mise en doute", selon lui.
Une prise de contrôle pas si simple
Si Donald Trump n'est pas le premier président a tenté d'influencer les décisions de la Fed, ses assauts répétés contre l'institution sont sans précédent. Mais saper l'indépendence de la plus puissante des banques centrales n'est pas si simple. L'institution est en théorie indépendante depuis 1951 du pouvoir exécutif, même si celui-ci peut nommer président et gouverneurs quand des mandats arrivent à échéance. Le choix de la Maison Blanche doit malgré tout être validé par le Sénat.
Par ailleurs, pour renvoyer des membres du conseil des gouverneurs, le président américain doit pouvoir justifier qu'un acte répréhensible a été commis. La loi reste toutefois floue sur les circonstances précises qui peuvent justifier un licenciement.
"Cela pourrait avoir des répercussions importantes"
Ces derniers jours, Jerome Powell a reçu le soutien de nombreux banquiers centraux, à commencer par celui de Christine Lagarde: "Quand une banque centrale cesse d'être indépendante, ou quand son indépendance est menacée, elle devient dysfonctionnelle. Elle commence à faire des choses qu'elle ne devrait pas", a mis en garde la présidente de la BCE. Si Trump parvenait à ses fins, ce serait "un danger très sérieux pour l'économie américaine et pour l'économie mondiale", a-t-elle également affirmé sur Radio Classique, rappelant que la politique de la banque centrale américaine (Fed) "a évidemment des effets sur les États-Unis pour maintenir la stabilité des prix et pour assurer l'emploi optimal".
"Si elle dépendait du diktat de tel ou tel", a continué Christine Lagarde, "l'équilibre de l'économie américaine, et par voie de conséquence les effets que ça aurait dans le monde entier seraient très préoccupants".
"L'indépendance de la Fed est pourtant un principe inviolable depuis les années 1980", a pour sa part rappelé le gouverneur de la banque centrale de Finlande Olli Rehn, membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE). "Aujourd'hui, cependant, ce principe vacille sérieusement. Cela pourrait avoir des répercussions importantes et mondiales sur les marchés financiers et l'économie réelle", a-t-il mis en garde.
À ce stade pourtant, les investisseurs ne semblent pas préoccupés outre mesure: "Il ne fait aucun doute, selon nous, que la Fed est désormais exposée à des risques croissants de domination" par le pouvoir exécutif, observent les analystes de Deutsche Bank. Mais le "plus surprenant" c'est que les "marchés ne s'en inquiètent pas plus que cela".
Économiste chez Pimco, Tiffany Wilding note elle aussi que "la réaction du marché à cette nouvelle a été relativement modérée jusqu'à présent". Elle assure néanmoins que le renforcement des craintes sur l'indépendance de la Réserve fédérale pourrait à terme provoquer "une plus grande incertitude, des primes de terme plus élevées et une pente plus prononcée des courbes de taux".
Risque d'inflation
Mais plus que les marchés, c'est avant tout l'économie américaine qui souffrira en premier d'une perte d'indépendance de la Fed, selon Janet Yellen: "Les banques centrales partisanes produisent une inflation plus élevée, une croissance erratique et une monnaie plus faible", a-t-elle averté.
Une analyse confortée auprès de CNN par Davide Romelli, professeur associé au département d’économie du Trinity College de Dublin: "Ce que nous savons d’après la littérature, c’est que chaque fois qu’il y a une pression perçue ou une diminution du degré d’indépendance de la banque centrale dans un pays, les attentes concernant l’inflation augmentent généralement, et donc les ménages et les prévisionnistes prévoient une inflation future plus élevée, ce qui peut avoir un effet néfaste".
Le FMI lui-même a insisté l'an dernier sur "l'importance primordiale de l'indépendance des banques centrales qui a été démontrée par de nombreux travaux". Une étude de l'institution de Washington portant sur plusieurs dizaines de banques centrales sur la période comprise entre 2007 et 2021 a notamment démontré "que celles présentant un haut niveau d’indépendance ont mieux réussi à maîtriser les anticipations d’inflation de leur population, ce qui aide à contenir l’inflation à un bas niveau".
Des pressions sur la Fed loin d'être inédites
Les exemples contemporains de contrôle d'une banque centrale par le pouvoir exécutif ne sont d'ailleurs pas vraiment glorieux. En Turquie notamment, le président Recep Tayyip Erdogan a limogé entre 2019 et 2021 plusieurs directeurs de la banque centrale turque ayant décidé d'augmenter les taux d'intérêt pour maîtriser l'inflation (Erdogan estimait que c'est la baisse des taux qui permettait d'y arriver). Dans les mois qui ont suivi, l'inflation a explosé, passant de 16,7% début 2021 à 85,5% fin 2022, et la Turquie a fini par tomber dans la spirale de l'endettement. Depuis, face à la colère de l'opinion publique, le pays a relevé ses taux et l'inflation a ralenti tout en restant à un niveau élevé (33,5% en juillet).
Sans aller jusqu'à ces cas extrêmes, les États-Unis ont eux aussi connu des périodes où l'exécutif tentait de faire pression sur la Fed. En 1965, le président Lyndon Johnson n'a pas hésité à convoquer dans son ranch le patron de la Réserve fédérale William McChesney Martin pour le pousser à assouplir sa politique monétaire face à l'inflation. Cinq ans plus tard, William McChesney Martin a été remercié par Richard Nixon qui a préféré nommer un de ses partisans: Arthur Burns.
Au début de son mandat, ce dernier s'est opposé aux injonctions du locataire de la Maison Blanche d'accroître la masse monétaire. Il finira par se ranger derrière Nixon après avoir été visé par une campagne de presse le dénigrant. Sans grand succès puisque l'inflation américaine est passée de 3,3% en 1971 à 11,8% en 1974.