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TOUT COMPRENDRE. Panne d'un câble en mer Baltique: qu'est-ce que la "flotte fantôme" dont ferait partie le pétrolier suspecté?

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Le pétrolier Eagle S, qui pourrait être à l'origine de la récente panne d'un câble sous-marin électrique reliant la Finlande à l'Estonie, est soupçonné de faire partie d'une "flotte fantôme".

Mercredi 25 décembre 2024, vers 12h26 locales, la liaison à courant continu EstLink 2 entre la Finlande et l'Estonie s'est déconnectée du réseau. La Finlande a ouvert une enquête pour "sabotage" sur le rôle d'un pétrolier en provenance de Russie, soupçonné d'être à l'origine de la panne du câble sous-marin électrique reliant les deux pays. Le pétrolier Eagle S, battant pavillon des îles Cook, a été arraisonné jeudi, et escorté par un patrouilleur finlandais au large de Porkkala, à environ 30 kilomètres d'Helsinki.

Le navire est suspecté de faire partie d'une "flotte fantôme" selon la police finlandaise. Jeudi en fin de journée, l'Union européenne a annoncé vouloir prendre de nouvelles sanctions contre les navires russes.

• En quoi consiste la "flotte fantôme" de la Russie?

La "flotte fantôme" désigne les navires qui transportent du pétrole brut et des produits pétroliers russes faisant l'objet d'un embargo. Depuis l'invasion de l'Ukraine, les soutiens internationaux de l'Ukraine ont cherché à limiter les fonds qui alimentent la machine de guerre du Kremlin en imposant un plafonnement des prix et des restrictions sur les exportations pétrolières de la Russie.

Pour contourner ces restrictions, la Russie a notamment recours à des navires souvent vieillissants et opérés sous pavillon étranger par des propriétaires douteux, sans assurance adéquate. Composée d'environ 600 navires, la "flotte fantôme" russe transporte près de 1,7 million de barils de pétrole par jour, estimait Londres en juillet.

• Où en est l'Union européenne dans sa lutte contre la "flotte fantôme"?

Il y a deux semaines, les pays membres de l'UE se sont déjà mis d'accord pour sanctionner environ 50 navires supplémentaires de la "flotte fantôme", qui permet à la Russie d'exporter son pétrole en contournant les restrictions occidentales. Cette mesure a été annoncée officiellement dans le cadre du quinzième paquet de sanctions de l'UE visant les intérêts russes depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022 et a été entérinée il y a dix jours par les Vingt-Sept. Des diplomates ont expliqué que le nouveau paquet de sanctions porterait à 75 le nombre de navires figurant sur la liste noire de l'UE.

"Le navire suspect fait partie de la flotte fantôme de la Russie, qui menace la sécurité et l'environnement, tout en finançant le budget de guerre de la Russie, ont déclaré jeudi dans un communiqué la Commission européenne et la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas.

• L'UE est-elle seule à cibler la "flotte fantôme" de la Russie ?

Au cours des derniers mois, le Royaume-Uni s'est montré particulièrement actif pour contrer ces navires. 46 pays et l'Union européenne ont signé l'appel à agir contre la "flotte fantôme" lancé par Londres en juillet au sommet de la Communauté politique européenne (CPE) qui s'est tenu en Angleterre. Mi-octobre, le pays a annoncé une quatrième salve de sanctions visant 18 pétroliers et 4 méthaniers.

Selon le ministère des Affaires étrangères, les dix-huit pétroliers ciblés ont permis de transporter pour environ "4,9 milliards de dollars" sur la seule année dernière. Les navires visés ne peuvent plus entrer dans les ports britanniques ni bénéficier des services maritimes fournis par des compagnies britanniques, notamment en matière d'assurance.

Un nombre "significatif" d'entre eux sont désormais "contraints de mouiller à l'extérieur de ports du monde entier, ne pouvant ainsi continuer à fournir des fonds à la caisse de guerre de (Vladimir) Poutine", indique le ministère des Affaires étrangères britannique.

Fin novembre, Londres a pris des sanctions contre 30 navires supplémentaires dont la moitié ont transporté pour plus de 4 milliards d'euros de pétrole et de produits pétroliers au cours de l'année écoulée. Il y a à peine dix jours, le Royaume-Uni a dépassé le seuil des 100 navires sanctionnés en ciblant 20 embarcations supplémentaires. Le pays a également pris des mesures contre deux entités de la compagnie énergétique 2Rivers, "pilier du commerce du pétrole" avec Moscou.

Enfin, le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède, la Pologne, la Finlande et l'Estonie ont convenu ce mois-ci d'accentuer leur lutte contre les navires "fantômes" en mer Baltique ou en mer du Nord, demandant à leurs autorités maritimes de réclamer une preuve d'assurance aux bateaux suspects.

• D'autres pays ont-ils recours à une "flotte fantôme" ?

Si la "flotte fantôme" de Moscou est particulièrement dense, la Russie n'est pas le seul pays à avoir recours à ce stratagème pour exporter ses hydrocarbures vers les marchés étrangers en contournant les restrictions occidentales. Début décembre, les États-Unis ont imposé des sanctions économiques visant 35 navires de la "flotte fantôme" iranienne.

Washington avait imposé le 11 octobre une série de sanctions visant l'industrie pétrochimique iranienne en "réponse à l'attaque du 1er octobre contre Israël, la seconde attaque directe cette année". Ces sanctions visaient l'ensemble du secteur, mais également une vingtaine de navires ainsi que des entreprises installées à l'étranger.

"Les revenus pétroliers fournissent au régime iranien les ressources nécessaires pour financer son programme nucléaire, développer des drones et des missiles avancés, et apporter un soutien financier et matériel permanent aux activités terroristes de ses mandataires régionaux", déclarait le département américain du Trésor dans un communiqué.

Les sanctions entraînent le gel des avoirs détenus directement ou indirectement par les entreprises visées aux États-Unis ainsi que l'interdiction pour des entreprises basées aux États-Unis, ou des citoyens américains, de commercer avec ces cibles des sanctions, au risque d'être sanctionnés à leur tour. Elles viennent aussi, de fait, compliquer les échanges commerciaux des entreprises sous sanction, en limitant leur possibilité à utiliser le dollar dans leurs transactions, au risque de tomber sous juridiction américaine.

Timothée Talbi avec AFP