Pourquoi Donald Trump préfère un dollar faible à un dollar fort

Le billet vert tant convoité dans le monde entier perdrait-il de sa superbe? Depuis le début de l'année, le dollar a chuté de plus de 9% face à un panier de devises étrangères (indice DXY) dont font partie le yen japonais, la livre sterling ou encore l'euro. La monnaie unique a d'ailleurs gagné près de 12% face au dollar depuis janvier et atteint des niveaux jamais vus depuis 2021: 1 euro permet désormais d'obtenir plus de 1,16 dollar.
Une dépréciation du billet vert qui n'inquiète pas Donald Trump. Au contraire, le président américain s'en réjouit. Tout en affirmant apprécier un dollar fort, il a déclaré fin juillet préférer avoir un dollar plus faible pour "gagner beaucoup plus d'argent".
"Quand le dollar est fort (...) cela semble prometteur. Mais on ne fait pas de tourisme. On ne peut pas vendre de tracteurs, on ne peut pas vendre de camions, on ne peut rien vendre", a assuré le locataire de la Maison Blanche. Et d'ajouter: "C’est bon pour l’inflation, c’est à peu près tout".
Une aubaine pour les multinationales américaines, pas pour les consommateurs
Un dollar fort augmente en effet le prix des produits américains à l'étranger et contraint les touristes en voyage aux États-Unis à débourser davantage. Avec un dollar faible, c'est l'inverse: les biens "made in America" deviennent plus accessibles.
Supposons que 1 euro vale 1,05 dollar. Un produit de 100 dollars venu d'outre-Atlantique sera vendu 95,24 euros chez nous. En revanche, si 1 euro vaut 1,15 dollar, le même produit sera vendu un peu moins de 87 euros. Les entreprises exportatrices américaines gagnent donc en compétitivité-prix grâce à la dépréciation du billet vert. Et c'est bien ce qui intéresse Donald Trump, fervant défenseur du "America first", dont les droits de douane suivent globalement la même logique en dégradant la compétitivité des entreprises étrangères vendant leurs produits sur le sol américain.
Mais ce sont avant tout les grandes multinationales américaines présentes dans le monde entier qui bénéficient de la faiblesse du dollar. D'autant que leurs revenus tirés de leur activité à l'étranger se révèlent plus élevés dès lors qu'ils sont convertis dans cette devise. Lors de la présentation de ses résultats du deuxième trimestre, Amazon a par exemple fait état d'un "impact favorable" des variations des taux de change à hauteur de 1,5 milliard de dollars.
Reste qu'un dollar faible n'a pas que des avantages puisqu'il renchérit le prix des produits importés et risque donc de nourrir l'inflation. Certes, Donald Trump a pour objectif de réduire la dépendance des États-Unis aux biens étrangers grâce aux droits de douane censés encourager l'implantation d'usines outre-Atlantique, mais cela ne se matérialisera pas avant de nombreuses années. En attendant, la production nationale est insuffisante pour répondre à la demande, si bien que les consommateurs américains peuvent difficilement se passer des biens importés qu'ils paient donc plus cher.
"Pour l’euro, aux 15% de droits de douane, il faut ajouter environ 12% de dépréciation du dollar, donc un bien européen devient près de 30% plus cher pour un acheteur américain", illustre Éric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management.
L'action de Trump encourage la baisse du dollar
Si la perte de valeur du dollar depuis le début du second mandat de Donald Trump résulte "d'un ensemble de facteurs" selon Éric Dor, le président américain semble en être le principal responsable: "Il y a les anticipations d'investisseurs qui pensent que les droits de douane vont pénaliser la croissance et donc inciter la Fed à baisser ses taux", ce qui rend les actifs en dollars moins attrayants, détaille l'économiste.
Cette baisse des taux, Donald Trump la réclame depuis longtemps. Or le président de la Réserve fédérale Jerome Powell a ouvert la porte à un tel scénario la semaine dernière, invoquant la nécessité de soutenir l'emploi, car une dégradation "rapide" du marché du travail n'est pas à exclure pour l'institution qui a déjà alerté contre le risque de stagflation de l'économie américaine. Un tel changement de politique monétaire attendu en septembre pourrait conforter le phénomène de dépréciation du billet vert.
Mais la chute de la devise américaine est aussi accentuée par les investisseurs institutionnels internationaux qui font preuve d'une "certaine désaffection vis-à-vis du dollar" avec une moindre confiance dans les actifs américains, juge Éric Dor. Une "prise de conscience" qui traduit selon lui le fait que "détenir trop de dollars est devenu un peu plus risqué compte tenu de la politique de Trump, de son imprévisibilité et de son attitude agressive à l'égard de ses partenaires. (...) Tout ce chaos a rendu le dollar moins attractif".
Cette stratégie du locataire de la Maison Blanche a également poussé les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à accélérer le processus commun visant à réduire la dépendance de leurs économies au dollar. Un projet qui agace Donald Trump, lequel a à plusieurs reprises menacé ces pays de 100% de droits de douane s'ils continuaient de tenter "de s'éloigner du dollar".
"Nous allons exiger de ces pays de toute évidence hostiles qu'ils s'engagent à ne pas créer une nouvelle monnaie des Brics, ni à soutenir une autre monnaie pour remplacer le puissant dollar américain", avait-il prévenu.
Le dollar toujours valeur refuge?
C'est bien là toute la contradiction de Donald Trump qui souhaite à la fois faire baisser la valeur du dollar pour des raisons de compétitivité tout en préservant son rôle de monnaie de réserve dominante. Mais "on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre", observe Éric Dor.
À ce jour, la part du billet vert dans les réserves de change mondiales s'élève à près de 60% (contre 20% pour l'euro), soit une baisse de 10 points en dix ans. Ce début de phénomène de "dédollarisation" ne remet toutefois pas encore en cause l'hégémonie de la devise américaine. Et Stephen Miran, conseiller de Donald Trump, assure même qu'elle peut encore voir sa valeur reculer sans perdre son caractère de valeur refuge.
Dans un essai publié en novembre 2024, l'économiste diplômé de l'université d'Harvard reconnaît que la domination mondiale du dollar constitue un réel avantage pour les États-Unis. "Mais pour lui, les États-Unis en paient un prix excessif", indique Éric Dor.
"Il estime que la forte demande de dollars dans le monde maintient une surévaluation du dollar, ce qui serait d'après lui la cause de la désindustrialisation du pays et de son déficit commercial", poursuit-il.
Les stablecoins, un outil pour renforcer la dollarisation de l'économie mondiale
La dépréciation du billet vert est donc une bonne nouvelle pour le conseiller de Donald Trump qui l'a appelée de ses voeux. Face à cela, le président américain use de nouvelles méthodes pour conserver et accroître en parallèle le "privilège exorbitant" du dollar à l'international. Dernière en date: la promotion des stablecoins adossés au dollar et la promulgation en juillet de la première règlementation aux États-Unis, dite Genius Act, encadrant précisemment ces cryptomonnaies.
Si Donald Trump aime tant les stablecoins, c'est parce que les sociétés émettrices comme Tether ou Circle investissent l'argent qu'elles perçoivent (euro ou dollar) dans des bons du Trésor américain, des actifs sûrs et liquides. Autrement dit, "les stablecoins adossés au dollar sont une manière indirecte de faire rembourser la dette américaine par le monde entier et de renforcer la dollarisation de l'économie mondiale", relève Éric Dor. Et cela réduit par la même occasion la pression sur les coûts d'emprunts américains.
Consciente du stratagème, la Banque centrale européenne a récemment tiré la sonnette d'alarme en dénonçant ces cryptomonnaies qui "remodèlent la finance mondiale, avec le dollar américain en tête". De quoi "procurer aux États-Unis des avantages stratégiques et économiques" en "leur permettant de financer leur dette à moindre coût tout en exerçant une influence mondiale. Pour l'Europe, cela se traduirait par des coûts de financement plus élevés par rapport aux États-Unis, une autonomie réduite en matière de politique monétaire et une dépendance géopolitique".