Les droits de douane de Donald Trump font-ils peser un risque de récession aux États-Unis?

L'économie américaine va-t-elle pâtir de la politique de Donald Trump? Interrogé dimanche sur le risque de voir les États-Unis entrer en récession, le président américain a dit "détester prédire les choses comme ça". "Il y a une période de transition", a néanmoins reconnu le locataire de la Maison Blanche alors qu'une série d'indicateurs commencent à basculer dans le rouge outre-Atlantique.
La politique commerciale de Donald Trump est montrée du doigt alors que le président américain ne cesse depuis quelques semaines d'annoncer de nouvelles taxes sur les importations, quitte parfois à finalement reculer sur certaines catégories et origines des produits concernées. Le semaine dernière, il a par exemple imposé des droits de douane de 25% contre le Canada et le Mexique avant de revenir sur la plupart d'entre eux et de repousser d'un mois, à début avril, leur supposée application.
De quoi inciter les acteurs économiques à la prudence. Et cela commence à se voir dans les chiffres. Deux indicateurs mesurant la confiance des consommateurs ont récemment fait l'effet de premiers coups de semonce en s'enfonçant brusquement. Le premier, de l'université du Michigan, a reculé de 10% sur un mois en février. Le second, publié par l'association professionnelle Conference Board, a perdu sept points en un mois, à 98,3, au plus bas depuis juin 2024.
Ces publications montrent que les consommateurs s'inquiètent de voir l'inflation rebondir à cause du relèvement des taxes sur les importations. Selon l'université du Michigan, les anticipations d'inflation au cours des cinq prochaines années ont d'ailleurs atteint 3,5% en février.
Un plus haut niveau "depuis le milieu des années 1990", souligne une note de Sylvain Bersinger, économiste chez Asteres.
"Cette anticipation peut avoir une traduction concrète car l’inflation est, entre autres, un phénomène auto-réalisateur: si les agents économiques anticipent de l’inflation, ils adaptent leurs comportements en conséquence (demande de hausses de salaires, hausse préventive des prix) ce qui génère finalement de l’inflation", indique l'économiste.
Une croissance qui ralentit
Compte tenu du climat d'incertitude qui règne autour des intentions de Donald Trump, les économistes des grandes banques américaines ont d'ores et déjà estimé vendredi que la croissance des États-Unis allait ralentir en 2025 et 2026, et prévenu que plus les surtaxes sur les importations perdurent, "plus le risque de récession augmente".
Ce n'est toutefois pas le plus probable à ce stade. Ces 16 économistes membres de l'association bancaire ABA anticipent en effet "une croissance économique de 2,1% en 2025 (après 2,8% en 2024, NDLR) comme en 2026, avec des risques croissants de moindre performance pour 2025".
Mais cette prévision se fonde "sur un scénario dans lequel les nouveaux droits de douane ne vont pas rester en vigueur toute l'année 2025", précise le président de l'ABA, Luke Tilley, cité dans le communiqué.
Sylvain Bersinger rappelle de son côté que la Fed d'Atlanta a "fortement" revu ses prévisions à la baisse. L'institution qui réalise une estimation anticipée de la croissance juge désormais que la prévision de croissance américaine pour le premier trimestre passerait de 2,3% à -1,5% en rythme annualisé.
L'inquiétude gagne aussi Wall Street qui avait pourtant réagi avec enthousiasme à l'élection de Donald Trump et ses promesses de baisses d'impôts pour les entreprises. Ainsi, le S&P 500, indice boursier dans lequel sont regroupées les 500 grandes sociétés cotées aux États-Unis, a en effet gagné 4,6% entre l'élection du candidat républicain en novembre 2024 et son investiture le 20 janvier. Mais les menaces de droits de douane à répétition ont semble-t-il pesé sur les cours boursiers puisque le S&P 500 a retrouvé son niveau de novembre, effaçant tous les gains accumulés depuis l'élection de Trump.
"Il y a un ralentissement, mais pas une récession"
Dans une note publiée ce lundi, Christopher Dembik, économiste et conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM, relativise toutefois le risque de récession à court terme: "Pour l'instant, la politique tarifaire brouillonne de l’administration Trump contribue surtout à renforcer l’incertitude des investisseurs et l’attentisme des entreprises et des ménages. Dans les enquêtes d’opinion, les anticipations d’inflation augmentent –pas à un niveau problématique, mais c’est à surveiller", indique-t-il.
"Il y a un ralentissement qui est en cours, mais pas une récession", abonde sur BFM Business Florent Ielpo, responsable de la recherche économique chez Lombard Odier IM.
Même si, d'après lui, "à peu près 60% des données américaines sont en recul et 40% toujours en expansion".
La semaine dernière, c'est le président de la Fed Jerome Powell qui a publiquement alerté sur le "haut niveau d'incertitudes" aux États-Unis. "Le nouveau gouvernement est en train de mettre en place des réformes politiques significatives dans quatre domaines: le commerce, l'immigration, la politique fiscale et la régulation", a-t-il relevé. Et s'agissant des droits de douane, "il y a encore une grande incertitude sur les produits qui vont être taxés, pour combien de temps et dans quelle ampleur, mais il est probable que cela affecte les exportateurs, les importateurs, les distributeurs et, dans une certaine mesure, les consommateurs", a-t-il poursuivi".
À travers cette intervention, Jerome Powell "interpelle directement et très clairement le président", juge Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis. "Cette instabilité permanente est grave pour les entreprises concernées, mais également pour l’économie américaine", poursuit-il, estimant que "Donald Trump devrait prendre conscience que son petit jeu va nuire aux États-Unis mais aussi lui nuire probablement pour les prochaines élections".