Il n'y a pas qu'en France: un très généreux mécanisme britannique va augmenter les pensions de retraite de 5% mettant en péril le système

Les pensions de retraite devraient augmenter de 4,7% au Royaume-Uni l'année prochaine - CARL COURT
"Qu'ont en commun Theresa May (ancienne Première ministre du Royaume-Uni), Andy Burnham (maire de Manchester), Michel Barnier, François Bayrou et Emmanuel Macron?". C'est par cette question aux allures de mauvaise blague que débute un article du Financial Times très commenté sur les réseaux sociaux ces derniers jours.
La réponse est délivrée dans la foulée par son auteur, John Burn-Murdoch, journaliste pour le quotidien britannique: "Tous les cinq ont fait preuve d'une honnêteté admirable envers la population sur les compromis nécessaires pour assurer le financement d'une société vieillissante, et tous les cinq ont été dûment sanctionnés pour leur franchise par l'opinion publique, la presse, l'opposition, ou les trois".
Ce billet intitulé "La France et la Grande-Bretagne sous l'emprise des retraités" déplore le manque de volonté politique pour répondre au défi du financement des retraites des deux côtés de la Manche. "Les deux dernières décennies de politique française et britannique sont un véritable cimetière de propositions visant à ralentir la hausse des dépenses consacrées aux personnes âgées", écrit le chroniqueur, assurant que "les dépenses publiques dédiées aux personnes âgées ont augmenté plus rapidement et plus fortement" en France et au Royaume-Uni "que dans les pays comparables".
Le généreux "triple verrou" britannique
Si le thème des retraites est depuis longtemps une passion française, il prend aussi de plus en plus de place dans les débats outre-Manche. Des débats qui se concentrent essentiellement sur un mécanisme de revalorisation des pensions jugé trop coûteux par une partie de la classe politique. Qui plus est à l'heure où le gouvernement travailliste, qui doit dévoiler son budget à l'automne, cherche des milliards de livres d'économies pour redresser des finances publiques particulièrement dégradées.
Ce mécanisme, c'est le "triple verrou" ("triple lock"). Introduit en 2010, il prévoit de réviser chaque année les pensions de retraite versées par l'État à hauteur du taux le plus élevé entre l'inflation de septembre, la hausse des salaires (de mai à juillet par rapport à l'année précédente) ou une hausse de 2,5%. Or, les salaires ont progressé de 4,7% entre mai et juillet outre-Manche. Autrement dit, les pensions d'État devraient augmenter d'autant (l'inflation de septembre n'est pas encore connue mais elle était de 3,8% en août).
Concrètement avec cette augentation, le montant forfaitaire de "l'ancienne pension base" dédiée aux hommes nés avant 1951 et aux femmes nées avant 1953 s'éleverait pour une carrière complète (35 années de cotisations) à 184,75 livres par semaine (213 euros), contre 176,45 livres auparavant. La "nouvelle pension de base" pour les générations suivantes serait elle portée à 241,05 livres par semaine (278 euros) contre 230,25 livres jusqu'à présent. Soit une augmentation de plus de 500 livres par an.
Le "triple verrou" responsable de la moitié de la hausse des dépenses de retraites à l'avenir
Bien qu'elles représentent près de la moitié des dépenses sociales britanniques, les retraites ne pèsent actuellement qu'un peu plus de 5% du PIB au Royaume-Uni. Un niveau nettement inférieur à celui observé en France (14%). Notamment parce que le système britannique repose sur trois piliers (retraite de base, retraite complémentaire privée et retraite complémentaire d'entreprise) et parce que l'âge légal est plus élevé chez nos voisins (66 ans).
Mais c'est surtout la trajectoire qui inquiète: l'Office for Budget Responsability (OBR) estime que les retraites devraient représenter 8% du PIB à horizon 2070. Or la moitié de cette hausse serait liée au "triple verrou" qui coûterait déjà 15,5 milliards de livres par an d'ici 2030. D'où les appels de plus en plus nombreux à supprimer ce mécanisme jugé à la fois coûteux et injuste pour les actifs sachant que l'âge légal de départ sera dans le même temps être relevé à 67 ans entre 2026 et 2028, puis à 68 ans à partir de 2044.
Le secrétaire d'État au Travail et aux Retraites, Pat McFadden, a néanmoins assuré que tant que le gouvernement travailliste resterait en place, le "triple verrou" sera maintenu, notamment pour soutenir les retraités les plus pauvres. Et sans doute aussi parce que la mesure reste populaire au sein dans l'opinion publique.
Vers un âge légal de 74 ans en 2065?
John Burn-Murdoch met lui en garde contre le risque "d'asphyxie progressive des finances publiques britanniques" et prévient que le maintien de ce mécanisme est en train de "créer une société où les enfants sont désormais davantage susceptibles de vivre dans la pauvreté que leurs arrière-grands-parents".
L'Institut d'études fiscales basé à Londres a également appelé à l'abandon du "triple verrou" qui "s'est jusqu'à présent avéré beaucoup plus coûteux que prévu initialement et crée une grande incertitude quant aux dépenses futures", a indiqué dans le Guardian l'économiste Heidi Karjalainen. "Si l'économie se porte bien, cela ne coûtera pas plus cher que d'augmenter la pension de retraite de l'État en fonction de la croissance moyenne des revenus, alors qu'en période de volatilité, cela peut devenir très coûteux, comme nous l'avons vu au cours des quinze dernières années", a-t-elle souligné.
Pour ces experts, la seule alternative à la suppression du "triple verrou" pour que les dépenses de retraites demeurent soutenables est d'augmenter encore l'âge de départ à la retraite. Une étude du Centre international sur la longévité au Royaume-Uni (ILCUK) estime qu'il faudra passer à 71 d'ici 2050. L'Institut d'études fiscales prévoit elle 74 ans en 2065.