"Don’t Look Up": Une mission de cette ampleur peut-elle faire disparaître la pauvreté sur Terre?

Une comète visible à l'oeil nu - -
La banque américaine Morgan Stanley l’a baptisée "the next trillion industry". Comprendre: la prochaine industrie à mille milliards de dollars. Au-delà de ses enjeux scientifique et géopolitique, l’exploration de l’espace et l’exploitation de ses richesses suscitent depuis plusieurs années l’intérêt d’un nombre croissant de candidats alléchés par les potentielles retombées économiques qui en découleraient.
Or, platine, cobalt… Les astéroïdes riches en métaux précieux utilisés, entre autres, pour la fabrication d’équipements technologiques attisent tout particulièrement les convoitises. Un appétit pour l’extraction minière de l’espace largement moqué dans le dernier long-métrage d’Adam McKay Don’t Look Up, l’un des derniers succès de Netflix.
La pauvreté éradiquée?
Le film au ton satirique suit deux astrophysiciens tentant désespérément d’avertir l’humanité de l’impact imminent d’une comète sur la Terre. S’ils encouragent la présidente des Etats-Unis à agir rapidement pour éviter le pire, le personnage de Peter Isherwell (Mark Rylance), influent PDG de Bash, une puissante entreprise américaine à mi-chemin entre Apple et SpaceX, ne l’entend pas de cette oreille et veut profiter de l’événement pour récupérer les métaux précieux d’une valeur de 140.000 milliards de dollars dont regorgerait l’astre. De quoi, assure-t-il, enrichir l’humanité tout entière et mettre fin à la pauvreté dans le monde.
Un scénario crédible? Pas vraiment. Prenons l’exemple de l’astéroïde Psyché 16. La NASA et SpaceX prévoient d’envoyer une sonde cette année pour étudier ce caillou de 300 kilomètres composé en grande majorité de métal, et notamment d’or, de fer et de nickel pour une valeur théorique de 10 trillions de dollars, soit 70.000 fois le PIB mondial. En supposant (avec beaucoup d’imagination) que l’intégralité de ces métaux soit rapportée sur Terre et distribuée équitablement entre toute la population mondiale, chaque humain disposerait potentiellement d’une fortune de 14 milliards de dollars. Idéal pour en finir avec la pauvreté.
Bien entendu, cette démonstration est aussi farfelue qu'illusoire. Quand bien même nous feindrions de croire que l’humanité tout entière profiterait de cette manne spatiale, la mise en circulation sur les marchés d’une telle quantité de métaux ferait immédiatement fondre leur cours, ces deniers n’ayant plus rien de précieux. Et pour cause, la rareté est l’un des principaux déterminants de la valeur d’un bien avec son utilité. Et même en supposant que les prix des métaux resteraient fixes, la quantité de monnaie en circulation découlant de ces nouvelles ressources abondantes serait tellement gigantesque par rapport à la quantité de biens et services disponibles que les prix de ces derniers s’envoleraient. De sorte que chaque bénéficiaire ne serait, relativement, pas plus riche qu'il ne l'était avant.
L’espace, futur terrain de jeu commercial
Si l’exploitation minière des astéroïdes ne suffira pas à rendre tous les êtres humains milliardaires, elle n’est pas sans intérêt d’un point de vue économique. Selon une étude du cabinet PwC commandée par l’agence spatiale européenne (ESA) et l’agence spatiale luxembourgeoise (LSA), elle pourrait générer entre 73 et 170 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde d’ici à 2045 et créer entre 845.000 et 1,8 million d’emplois à temps plein, mais cela nécessitera des investissements massifs.
A terme, l’extraction des richesses pourrait permettre de trouver en quantité quasi illimitée des métaux et minéraux rares sur notre planète, comme l’expliquait Thomas Pesquet dans Les Echos en 2017:
"(L’idée d’exploiter les ressources naturelles des astéroïdes) résonne aujourd’hui de manière beaucoup plus convaincante, sur fond de possible pénurie de ressources sur Terre: nous pourrions être 10 milliards d’habitants en 2070, et les astéroïdes, selon certains acteurs du secteur, deviendront une source rentable et quasi-inépuisable de matériaux comme l’or, le nickel, le cobalt, le platine dont sont friands les industriels toujours plus gourmands de l’électronique et des circuits intégrés".
Des entreprises américaines comme Planetary Resources et Deep Space Industries sont déjà à la tâche pour parvenir un jour à exploiter les ressources minérales des astéroïdes. Mais les défis techniques restent immenses, de même que les enjeux: un seul astéroïde de 500 mètres de long aurait autant de platine que toute la quantité de ce métal extrait dans l’histoire de l’humanité, selon Planetary Resources, entreprise financée par un groupe d’investisseurs dont le cofondateur de Google, Larry Page, ou le réalisateur James Cameron. De son côté, la Nasa estime que 1500 astéroïdes sont d’un accès aussi facile que la Lune et que 10% d’entre eux seraient riches en ressources minières.
Flou juridique
Certains déplorent cette commercialisation de l’espace. D’autant que le cadre juridique en la matière est particulièrement flou. Ratifié par les principales puissances spatiales, le Traité de l’espace de 1967 affirme que "l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, doivent se faire dans l’intérêt de tous les pays ; elles sont l’apanage de l’humanité tout entière".
En 1979, le Traité sur la Lune est allé plus loin. Selon ce texte détaillé par le CNES, la Lune ainsi que les autres corps célestes et leurs ressources naturelles sont le "patrimoine commun de l’humanité" et ne peuvent dès lors "devenir la propriété d’Etats, d’organisations internationales, (…) d’organisations nationales ou de personnes physiques". De plus, les Etats doivent s’engager à "un régime international régissant l’exploitation des ressources naturelles de la Lune [et des autres corps célestes] lorsque cette exploitation sera sur le point de devenir possible", devant notamment permettre une "répartition équitable entre tous les États parties des avantages qui résulteront de ces ressources, une attention spéciale étant accordée aux intérêts et aux besoins des pays en développement".
Seulement voilà, le Traité sur la Lune n’a été ratifié que par une quinzaine de pays parmi lesquels ne figurent ni les Etats-Unis, ni la Russie, ni la Chine, ni le Japon. Allant à l’encontre de l’esprit de ce traité international, Barack Obama a promulgué en 2015 le "Space Act", une loi selon laquelle tout matériau trouvé par un citoyen américain ou une entreprise américaine sur un astéroïde ou sur la Lune lui appartiendra.
Deux ans plus tard, le Luxembourg a à son tour passé une loi autorisant l’exploitation des astéroïdes pour donner un cadre juridique favorable aux entreprises qui seraient tenter par ce marché du futur. Le deuxième article du texte stipule notamment que les "ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation", ce qui semble entrer là-encore en contradiction avec le Traité de l’espace selon lequel les corps célestes sont "l’apanage de l’humanité". Le Japon et les Emirats Arabes Unis ont depuis voté des lois donnant le droit à leurs entreprises à l'exploitation minière spatiale.