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Derrière la guerre commerciale, les États-Unis convoitent-ils l'eau du Canada?

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Droits de douane, "51e État américain"… Pour le nouveau Premier ministre canadien, les menaces régulières brandies par Donald Trump à l'encontre de son pays pourraient être motivées par la volonté des États-Unis d'obtenir un accès aux précieuses ressources en eau de son voisin.

Intention réelle ou énième provocation? Mardi, Donald Trump a réitéré son appel à faire du Canada le "51e État" américain. À en croire le locataire de la Maison Blanche, cette "fusion" entre les deux pays offrirait aux Canadiens "des impôts bien plus faibles" ainsi qu'"une protection militaire bien meilleure". Et de facto "pas de droits de douane" alors que Washington a initié ces dernières semaines une guerre commerciale contre son voisin.

Ce n'est pas la première fois que le président américain tente d'intimider ses partenaires. Depuis son investiture fin janvier, Donald Trump mulitiplie les menaces de droits de douane et déclarations fracassantes et pour le moins hostiles envers des pays alliés, le Canada au premier chef. Mais que cherche-t-il réellement? D'après Pascal Lamy, ancien directeur général de l'OMC et coordinateur réseau des Instituts Jacques Delors, ces menaces n'ont d'autre but que de contraindre les pays visés à se mettre autour de la table des négociations, en particulier lorsque ces pays disposent de ressources convoitées par les États-Unis.

"Derrière tout ça, on peut détecter (...) une stratégie de long terme qui consiste à mettre la main sur l'essentiel des ressources de l'économie du futur: l'eau, les minerais, les terres rares... Le Canada, c'est l'eau", explique-t-il sur BFM Business.

Il ajoute que c'est la "même chose avec le Groenland (que Trump menace d'annexer, NDLR) et les minerais" ou "avec l'Ukraine et les terres rares".

20% des réserves d'eau douce de la planète

Tout juste désigné Premier ministre du Canada, Mark Carney a dénoncé les visées expansionnistes de Donald Trump, évoquant lui aussi l'intérêt du président américain pour les réserves du pays en eau: "Les Américains veulent nos ressources, notre eau, notre territoire, notre pays", a mis en garde le nouveau dirigeant.

Sous forme de glace, de lacs (Grands Lacs) ou encore de fleuves (Mackenzie, Fraser, Columbia…), le Canada abrite aujourd'hui 20% des réserves d'eau douce de la planète et environ 9% des réserves d'eau renouvelables. De leur côté, certaines régions des États-Unis font face à des situations de sécheresse préoccupantes, notamment dans le sud-ouest. D'où un certain attrait pour l'"or bleu" canadien que Donald Trump a déjà assumé publiquement.

Groenland, Canada : mais que veut Trump ? – 11/03
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En septembre dernier, le candidat républicain affirmait qu'il serait simple de mettre fin à la sécheresse en Californie en acheminant l'eau du fleuve Columbia, lequel prend sa source dans la province canadienne de Colombie-Britannique (sud-ouest du Canada, frontalière avec les États-Unis), vers Los Angeles.

"Des millions de litres d'eau coulent du Nord, avec les sommets enneigés et le Canada, et tout coule vers le bas. Et ils ont en gros, un très grand robinet (...). Vous tournez le robinet, et toute cette eau s'en va sans but dans l'océan Pacifique, et si vous retournez le robinet, toute cette eau viendrait ici, à Los Angeles", avait-il lancé. Une affirmation démentie à maintes reprises par les experts qui rappellent qu'aucune infrastructure ne permet aujourd'hui d'acheminer de l'eau du Columbia vers la Californie.

Le Columbia est d'autant plus important pour les États-Unis que les centrales du bassin du fleuve fournissent en outre 40% de leur énergie hydroélectrique. Le Traité signé par les deux pays en 1961 et qui fixe les règles en matière de gestion du fleuve (débit, partage des bénéfices tirés de l’énergie hydroélectrique…) est d'ailleurs en renégociation depuis des années pour être modernisé. Le nouvel accord permettrait de "rééquilibrer la coordination énergétique", avait promis l'ancien président Joe Biden il y a quelques mois mais les négociations ont été suspendues cette semaine par l'administration Trump.

L'opinion publique opposée aux exportations

Le débat sur les transferts massifs de "l'or bleu" du Canada est vieux de plusieurs décennies. "Depuis les années 1960, cette idée circule mais aucune demande n’a jamais été transmise officiellement par les gouvernements américains, ça n’a jamais fait l’objet d’une requête formelle", rappelle à BFM Business Frédéric Lasserre, professeur au département de Géographie de l'Université Laval à Québec et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques.

Des ébauches de projets, principalement portés par des promoteurs canadiens, ont tout de même vu le jour, ravivant les craintes de l'opinion publique qui s'y est toujours opposée. En guise de réponse, le gouvernement canadien a dévoilé une première politique fédérale officielle en la matière en 1987, laquelle consistait à s'opposer catégoriquement aux exportations des eaux canadiennes.

Pour se justifier, Ottawa rappelait que les ressources hydriques du Canada étaient moins abondantes qu'on pouvait le croire car "la plus grande partie de cette ressource ne se trouve pas aux endroits où on en a le plus besoin, c’est-à-dire dans les régions peuplées du pays, et que, dans les régions peuplées où elle était abondante, l’eau devient rapidement polluée et inutilisable", peut-on lire dans un document gouvernemental de 1999. Sans compter que certaines régions du Canada étaient elles aussi confrontées à la sécheresse.

Une nouvelle approche "environnementale"

Mais "dans le cadre de l'Alena (l'accord de libre-échange nord-américain entré en vigueur dans les années 1990), on n'avait pas le droit d'interdire l'exportation d'un produit", souligne Frédéric Lasserre. Si les États-Unis considéraient que l'eau devait être une marchandise comme une autre, le Canada défendait l'idée qu'il s'agit d'une ressource particulière.

Par précaution et pour éviter tout litige devant les tribunaux, Ottawa a fini par "opter pour une approche environnementale", poursuit le directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques.

Concrètement, les nouveaux textes règlementaires "ne mentionnaient plus l'interdiction" mais imposaient, pour les eaux des Grands Lacs par exemple, des exigeances si strictes, notamment en matière environnementale, que cela rendait tout projet d'exportation irrélisable dans les faits.

Reste que la gestion des eaux est une compétence des provinces au Canada. Or, certaines, comme le Québec, ne se sont pas toujours opposées aux exportations.

"Des provinces se disaient que s’il y avait un marché, pourquoi on s’en priverait", indique Frédéric Lasserre.

De longues négociations avec le gouvernement ont finalement été nécessaires pour que toutes, à partir de la fin des années 1990, finissent par s'engager, sous la pression de l'opinion publique, à empêcher les transferts massifs d'eau des bassins hydrographiques.

Des projets difficilement rentables

Si certains craignent que Donald Trump exige la remise en cause du traité de 1908 établissant la frontière entre les États-Unis et le Canada ainsi que le traité de 1909 sur les eaux limitrophes, Frédéric Lasserre ne pense pas que la question des transferts massifs d'eau entre les deux pays "soit au coeur" de la stratégie du président américain.

Et pour cause: "Les transferts massifs entre bassins existent déjà en Amérique du Nord mais sur des distances plus réduites. (…) Là, on changerait d’échelle, on parle d’un transfert sur 2.000 ou 3.000 kilomètres".

Ce seraient des projets pharaoniques" qui coûteraient "plusieurs dizaines de milliards de dollars" et par conséquent rendraient l'eau particulièrement chère.

Pour le spécialiste, la rentabilité de tels projets serait si incertaine compte tenu du coût des infrastructures et des coûts de fonctionnement qu'aucune entreprise ne voudrait aujourd'hui se positionner. "Un mètre cube d'eau pèse une tonne. Exporter des millions de mètres cube veut dire transporter des millions de tonnes. Ce qui suppose une sacrée facture énergétique et en infrastructures", conclut-il.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco