Comment la Russie courtise les investisseurs arabes pour contourner les sanctions occidentales

En pleine guerre contre l'Ukraine, la Russie fait les yeux doux aux pays arabes, surtout les richissimes monarchies pétrolières du Golfe, pour soutenir son économie, frappée par les lourdes sanctions occidentales et par le départ d'entreprises internationales. Responsables et entreprises russes étaient présents en grand nombre cette semaine au Forum international sur l'investissement organisé à Abou Dhabi, la capitale des Emirats arabes unis, important exportateur de brut devenu hub économique régional.
"Nous sommes ici pour attirer des investisseurs, notamment arabes", confirme à l'AFP Pavel Kalmytchek, du ministère russe du Développement économique. Contrairement aux pays occidentaux, qui ont imposé des sanctions sévères à Moscou après son invasion de l'Ukraine en février 2022, la plupart des Etats pétroliers du Golfe ont pris leur distance vis-à-vis du conflit, notamment les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite, première économie arabe et plus grande exportateur de brut au monde.
"L'une des priorités" de Moscou
La coopération avec la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord est "l'une des priorités de la politique économique étrangère de la Russie", assure le ministre russe du Développement économique, Maxime Rechetnikov, lors d'une session consacrée aux relations russo-arabes.
Ces pays, dont le rôle "s'accroît sensiblement" dans le monde, ont une politique étrangère "indépendante" et ont "toujours été des partenaires fiables de la Russie", se réjouit-il en plaidant pour des projets communs, et la mise en place d'un "système financier et bancaire" censé contourner les sanctions occidentales. D'après lui, les échanges commerciaux entre la Russie et les pays arabes a augmenté de 83% ces cinq dernières années, représentant près de 95 milliards de dollars sur cette période.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), l'économie russe résiste en 2023 malgré la guerre et les sanctions, mais à moyen terme, les perspectives de croissance restent limitées.
Au Forum d'Abou Dhabi, Alexandre Stouglev, le patron de la Fondation Roscongress, qui organise le Forum économique international de Saint-Pétersbourg, a vanté la résilience de l'économie russe, en appelant les entreprises arabes à profiter du départ des multinationales pour s'implanter dans le pays. La délégation russe mise aussi sur l'attrait de la capitale Moscou présentée comme "l'une des plus grandes économies urbaines du monde".
Imprimante 3D
"Même en ces temps difficiles, Moscou reste leader", s'enorgueillit sur la scène Sergueï Tcheriomine, chargé des relations extérieures de la ville, complimentant ses infrastructures, son industrie et ses technologies.
De son côté, l'entrepreneur Maxime Anismov fait l'éloge d'une imprimante 3D développée par sa start-up: "Nous sommes ici pour attirer des partenaires arabes. C'est important pour nous". Parmi les visiteurs, un ingénieur émirati se dit intéressé.
"C'est un grand pays riche en minerais, en bétail, en énergie, en agriculture, en technologies, et il compte des développeurs de haut niveau", fait valoir Adnane Al-Zarouni.
Selon Justin Alexander, directeur de Khalij Economics, un cabinet de conseil dans le Golfe, les riches fonds souverains de la région, de plus en plus actifs à travers le monde, ont augmenté leurs investissements en Russie au cours de la dernière décennie, mais ils "restent minimes comparés aux actifs qu'ils détiennent dans les pays occidentaux".
Depuis le début de l'intervention russe en Ukraine en février 2022 et les premières sanctions économiques imposées par les Occidentaux, de nombreuses multinationales ont quitté le pays, d'autres y ont suspendu leurs activités, dans les secteurs du pétrole, de l'automobile ou encore du luxe. Pour Robert Mason, chercheur au centre de réflexion Arab Gulf States Institute à Washington, les investissements arabes pourraient "soutenir des secteurs spécifiques".
Investissements russo-chinois
Le cosmétique, les hydrocarbures, l'agroalimentaire, les équipements médicaux, les hautes technologies ou encore les industries lourdes représentent des secteurs où la Russie pourrait intéresser les investisseurs du monde arabe, selon Robert Mason. Des chantiers plus vastes sont en cours, dit-il:
"Les investissements conjoints russo-chinois au Moyen-Orient ou le commerce des technologies, en témoigne l'achat croissant par Moscou de puces électroniques venues des Emirats arabes unis".
Et avec le dégel des relations entre nombreux pays arabes et Damas, que soutient la Russie, "le potentiel d'une coopération sécuritaire et économique via la Syrie ne peut pas être écarté". Mais, estime le chercheur, les investissements arabes "ne changeront pas fondamentalement la donne pour l'instant".