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Explosion des déficits et du chômage: ce rapport qui s'inquiète du programme Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon lors de la convention de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) le 7 mai 2022 à Aubervilliers

Jean-Luc Mélenchon lors de la convention de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) le 7 mai 2022 à Aubervilliers - JULIEN DE ROSA © 2019 AFP

Dans un rapport, Terra Nova tente de mesurer les conséquences économiques de l'importante hausse des dépenses publiques souhaitée par le leader de la Nupes et de La France Insoumise.

"Gouverner par les besoins". C'est ainsi que le chef de file de la Nupes pour les élections législatives décrit la philosophie de son programme économique. Plutôt que de favoriser une politique de l'offre favorisant les entreprises et l'investissement privé, Jean-Luc Mélenchon défend une substitution par l'Etat et la dépense publique.

Dans son programme pour la présidentielle, le désormais candidat au poste de Premier ministre avait chiffré son programme économique à 250 milliards d'euros par an de dépenses durant l'ensemble du quinquennat. Soit peu ou prou l'équivalent du surplus de dépenses publiques du "quoi qu'il en coûte" estimé à 240 milliards d'euros par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.

Une estimation revue à la hausse par l'Institut Montaigne qui chiffre plutôt à 330 milliards d'euros le montant des dépenses publiques du leader de la France Insoumise. Dans le détail, la retraite à 60 ans coûterait 85 milliards d'euros par an, 29 milliards pour son plan d'investissement écologique, 17 milliards pour l'intégration des mutuelles dans la Sécu avec le 100% remboursement, 18 milliards pour la conscription citoyenne, 14 milliards pour une garantie d'emploi des chômeurs longue durée...

Dans un rapport pour la fondation Terra Nova, l'économiste Guillaume Hannezo, ancien conseiller entre autre de Pierre Beregovoy et de François Mitterrand mais aussi passé chez Vivendi ou Rothschild tente d'évaluer l'impact d'un tel programme sur l'économie du pays.

Parfois comparé au programme "110 propositions pour la France" de François Mitterrand en 1981, notamment à cause du retour à la retraite à 60 ans, le projet de Jean-Luc Mélenchon en serait très éloigné.

Des dépenses sept fois supérieures à 1981

"Le programme de dépenses publiques et de hausse de la fiscalité des entreprises porté par l’Union Populaire n’a rien à voir avec l’expérience de 1981, souvent citée en exemple par les intéressés, estime l'auteur du rapport. Sept fois supérieur en proportion du PIB, il se traduirait immédiatement par une explosion des déficits publics et du chômage et par une dynamique insoutenable de la dette publique."

L'économiste rappelle ainsi qu'en 1981, la politique de relance (abandonnée deux ans plus tard) avait porté le déficit du Budget public de 2,4 à 2,8% du PIB avec une hausse des dépenses de l’ordre de 2% du PIB.

"Les ordres de grandeur de la relance se trouvant dans le programme de l’Union populaire sont d’un tout autre calibre : l’institut Montaigne, qui a procédé à une quantification homogène des programmes des différents candidats, évalue à 332 milliards d'euros par an, soit 13 % du PIB les dépenses annuelles supplémentaires induites par le programme, estime l'économiste. En dépenses, la relance proposée par Jean-Luc Mélenchon est donc environ 7 fois supérieure à celle de 1981, avec des comptes publics de départ infiniment plus dégradés."

Des dépenses qui seraient en théorie financées selon le candidat qui estime à 267 milliards d'euros la hausse des recettes fiscales engendrées par des hausses d'impôt sur les entreprises, les ménages aisés et la lutte contre l'évasion fiscale. Problème, selon l'Institut Montaigne, ces recettes attendues seraient plutôt de l'ordre de 113 milliards d'euros par an.

"L’écart entre l’estimation de l’Institut Montaigne et celle du candidat (112,7 milliards contre 267 milliards selon le candidat) vient notamment de mesures de recettes supplémentaires dont la matérialisation est trop incertaine pour être prises en compte, telles que les recettes à attendre d’une plus grande lutte contre la fraude et l’évasion fiscale (estimées à 26 milliards par le candidat) ou de mesures insuffisamment détaillées pour donner lieu à un chiffrage", précise l'Institut Montaigne.

Un choc inversé de compétitivité

Pour les entreprises, la hausse des prélèvements (remise en cause des allègements de cotisation, impôts de production, hausses des cotisations...) serait de l'ordre de 56 milliards d'euros.

"Le choc envisagé sur la compétitivité-prix des entreprises, en sus du choc règlementaire, est donc de 56 milliards, soit 2,2 % du PIB, 6 à 7 fois celui de 1981/82, rappelle Guillaume Hannezo. Pour les salariés au SMIC, la suppression des allègements de cotisations intervenus depuis 2012 se traduirait à elle seule par une hausse de 14 points du coût du travail."

Une hausse de la fiscalité des entreprises qui aurait des conséquences sur la compétitivité et l'emploi marchand. Avec la crainte d'un retour des délocalisations massives.

"Si le mouvement [d'allègement de charges] repart dans l’autre sens, en pire, on peut parier que le progrès des gains de productivité et les délocalisations reprendront de plus belle, estime l'auteur. Récemment, l’OFCE a ainsi estimé qu’une utilisation "normale" de la main d’œuvre – qui correspondrait à un retour à la durée du travail et aux gains de productivité d’avant-crise –  porterait le taux de chômage à 9,9 % en France, contre 7,4 % fin 2021."

Concernant les finances publiques, le différentiel entre les dépenses prévues et les recettes escomptées estimé à 219 milliards d'euros par an contraindrait l'Etat a davantage faire appel aux capitaux étrangers, c'est-à-dire à s'endetter.

"Si l’on rajoute 13 % du PIB en dépenses au déficit d’environ 5 % attendu en 2022, même en appliquant diverses hausses d’impôts, il est difficile d’imaginer ne pas finir entre 10 et 15% de déficit structurel, qu’il faudra financer en augmentant d’un même montant chaque année le niveau de la dette", anticipe l'économiste.

Un scénario à la grecque?

Des niveaux de déficit qui n’ont pas beaucoup d’équivalent dans l’histoire récente. Et si les Etats-Unis ont atteint des niveaux comparables (2009, 2010, 2020), c'était sur des relances conjoncturelles et en émettant une monnaie -le dollar- qui est la monnaie mondiale donc moins sujette à un effondrement. Et malgré ça, le pays connait actuellement 9% d'inflation alors même que l’économie américaine est moins sensible au choc de la hausse des prix de l’énergie.

"Les pays jouissant d’une indépendance monétaire ont été précipités dans le chaos économique bien avant d’atteindre ces niveaux de déficit, rappelle Guillaume Hannezo. L’Argentine a tourné à 6 ou 8% de déficits avant de s’effondrer. Le Venezuela de Chavez a produit 10–15 % de déficits, avec les résultats qu’on connait. Cuba aussi."

Pour répondre à ces observations, les auteurs du programme économique de Jean-Luc Mélenchon mettent en effet "l'effet multiplicateur keynesien" de la relance. L'idée est que chaque euro de dépenses publiques supplémentaire raffermit l'activité, ce qui entraîne une hausse des recettes fiscales, hausse qui viendrait combler le déficit généré par la dépense initiale.

A condition toutefois que ces dépenses profitent principalement aux entreprises française. Or depuis quelques années, les gains de pouvoir d'achat ont surtout creusé les déficits de la balance commerciale française qui a atteint un record de 85 milliards d'euros en 2021. Le pays ne disposant pas de capacités de production suffisante, importe une grande partie de ses biens de consommation et d'énergie notamment.

"En retenant une hypothèse standard (1% de hausse des dépenses élève le PIB de 0,8 % en moyenne à court terme), qui ne s’applique que dans la mesure où l’économie dispose de capacités de production inemployées mobilisées par la demande nouvelle, cela permettrait d’"auto-financer" seulement 50 % du coût du programme… et pendant quelques années seulement, car l’effet multiplicateur s’estompe au bout de 4 à 5 ans selon la plupart des modèles, une fois que les salaires et les prix s’ajustent, estime l'économiste. Le déficit public resterait donc supérieur à 10 % du PIB en fin de quinquennat en toute hypothèse."

Le risque serait selon l'auteur un scénario à la grecque avec défaut sur la dette suivi d'une cure d'austérité.

"Se soumettre, comme Syriza [le parti d'Alexis Tsipras au pouvoir lors de la crise grecque], et négocier avec les partenaires européens et le FMI un plan d’austérité et de sauvetage, en acceptant de baisser les retraites et les minimas sociaux, d’augmenter massivement la TVA, de privatiser les entreprises publiques, de licencier dans la fonction publique", estime Guillaume Hannezo.

Une cure d'austérité qui pourrait rappeler le tournant de la rigueur de 1983... en bien plus extrême.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco