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Plusieurs ruptures marquent un tournant dans l’usage des paiements

Un distributeur de billets à Locmaria-Plouzané (Finistère), en 2019

Un distributeur de billets à Locmaria-Plouzané (Finistère), en 2019 - FRED TANNEAU / AFP

[AVIS D'EXPERT] Acte du quotidien, effectuer un paiement n'échappe pas à la révolution des usages, entre numérique et enjeu de souverainété.

En matière de paiements, on voit apparaitre de nombreuses innovations et de nouvelles solutions presque chaque semaine. Quant aux réels changements de comportements, en matière de paiement, ils mettent en général une décennie à se généraliser pleinement, voire une génération. Aussi faut-il souligner que nous sommes sans doute aujourd’hui à un tournant. Des ruptures apparaissent, qu’il est en effet difficile de négliger.

Au détour des crises, billets et pièces toujours d'actualité

La première rupture concerne le destin du cash, ces pièces et billets que l’on pensait inévitablement destinés à n’avoir plus d’usage que résiduel (ou frauduleux). Les crises majeures qui ont frappé Mayotte et, plus récemment, la péninsule ibérique sont venues rappeler que les paiements électroniques et numériques deviennent tout à fait inutiles lorsque l’électricité est coupée et que les terminaux d’encaissement, ainsi que les distributeurs de billets, ne fonctionnent plus.

De nouveaux défis logistiques sont ainsi posés pour maintenir l'accès aux espèces en cas d'urgence. Les pays autour de la mer Baltique vont même désormais plus loin: ils élargissent cette problématique aux bouleversements géopolitiques, capables d’entraver l’économie de territoires entiers pendant de longues périodes. Dans ce cadre, la question de la souveraineté monétaire est également posée, ce qui ne vise pas les menaces militaires venues de l’Est mais, explicitement, la dépendance de l'Europe face aux géants américains Visa et Mastercard.

Les pays nordiques comptent parmi les plus faibles utilisateurs d'espèces au monde: seulement 10% des Finlandais utilisent billets et pièces comme principal moyen de paiement. Ces pays s’efforcent donc de définir des solutions de paiement par carte mais hors ligne. Pourtant, l’usage de la carte décroit partout; au profit des paiements par mobile mais pas uniquement.

Payer avec son smartphone

C’est une deuxième rupture importante. Le phénomène est surtout frappant chez les plus jeunes adultes, la Génération Z, qui se détournent massivement des cartes de crédit.

Selon une étude de Cash App Afterpay, plus de la moitié de la Gen Z considère en effet que les cartes de crédit sont dépassées, anxiogènes et incompatibles avec leur façon de gérer leur argent: "La Gen Z intègre désormais le bien-être financier dans son discours sur le bien-être personnel. Elle privilégie les outils qui l’aident à rester équilibrée sur le plan mental et financier, en mettant l’accent sur la facilité et l’autonomie".

Les jeunes se méfient de la dette (ce qui ne les empêche pas d’avoir massivement et de plus en plus automatiquement recours au paiement fractionné, dans la mesure où celui-ci n’est pas perçu comme un crédit). Ils ne veulent pas avoir l’impression de dépenser un argent qu’ils n’ont pas. Déjà, face au retour de l’inflation, il y a trois ans, on avait vu refleurir via TikTok, la méthode de gestion de budget au moyen de simples enveloppes dans lesquelles on range des espèces par type de dépenses à venir. En situation de difficulté et d’incertitude, cette (très) vieille méthode paraissait psychologiquement rassurante. La plupart des banques et des observateurs avaient alors trouvé cela anecdotique. Mais aujourd’hui, la dimension psychologique attachée aux paiements ne peut plus être contournée.

Un autre phénomène, tout à fait distinct, l’illustre: l’essor des paiements transfrontière en stablecoins qui, souligne un article des Echos préoccupe la Banque centrale européenne, dans la mesure où il pourrait déstabiliser le système financier de la zone euro. Certes, la rapidité et les coûts réduits du recours à ces cryptos adossées à une monnaie fiduciaire - ou à des matières premières, comme l'or – expliquent que celles-ci s'imposent progressivement comme une alternative aux systèmes de paiement traditionnels. Mais on ne peut manquer d’y deviner également une recherche de protection et d’arbitrage dans le contexte international de guerre commerciale qui s’est ouvert.

Payer en tenant compte du contexte économique, voire géopolitique

Nos choix, en matière de paiement, intègrent ainsi de plus en plus des anticipations, c’est-à-dire surtout des craintes, quant à l’évolution du contexte économique et même géopolitique. Ce phénomène est tout à fait nouveau. Jusqu’ici, seules la sécurité, la commodité pratique et le poids des habitudes expliquaient qu’un moyen de paiement soit privilégié ou non.

Les moyens de paiement doivent désormais tenir compte d’une dimension de confort psychologique. Il faut donc prévoir que leur usage soit de plus en plus accompagné d’outils de gestion et d’anticipation des dépenses, sous une optique de bien-être financier. Cela peut paraitre anecdotique mais, dans le cadre d’une activité très challengée comme les paiements, les ruptures que nous venons de signaler ont tout de ces signaux forts qu’il ne cesse de paraitre trop tôt pour les prendre vraiment en compte que lorsqu’il est déjà trop tard pour être parmi les premiers qui, seuls, en tireront pleinement parti.

Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor