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Guillaume Almeras

Une demande de cash plus forte que jamais

Le nombre de distributeurs de billets en forte baise depuis plusieurs années.

Le nombre de distributeurs de billets en forte baise depuis plusieurs années. - Philippe Huguen - AFP

[TRIBUNE] Les billets d'euros en circulation sont en hausse de 11% en un an. Comment expliquer ce phénomène? Le cash est devenu une valeur refuge analyse Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor

Dans l’un de ses derniers bulletins, la Banque centrale européenne souligne un paradoxe: la demande de cash est de plus en plus forte alors que celui-ci est de moins en moins utilisé. Le nombre de billets en circulation ne cesse en effet d’augmenter depuis 2007. Deux pics ont été constatés en 2008 et en 2020, liés à des situations de crise donc et aux peurs qu’elles engendrent.

Fin 2020, les billets en circulation représentaient l’équivalent de 1435 milliards d'euros, contre 1293 milliards d'euros en 2019, soit une hausse de 11% (contre 5% d’augmentation annuelle en moyenne). Une hausse qui n’a été dépassée qu’en 2008.

Or, sur ce total, les transactions commerciales réglées en cash ne représentent que 20%. Un phénomène comparable est constaté avec la monnaie américaine: seuls 1700 milliards de dollars servent aux transactions, sur les 3780 milliards qui sont en circulation et l’écart se creuse.

Ces chiffres ne doivent pas laisser croire que nous sommes proches de la disparition du cash en tant que moyen de paiement – comme en Norvège, où il ne représenterait plus que 4% des transactions. Même si les paiements par carte et sans contact se sont beaucoup développés avec la crise sanitaire, le cash sert encore à régler 72% des achats dans les commerces (47% en valeur) et 83% des échanges entre particuliers (57% en valeur).

Toutefois, si son usage demeure massif ainsi, il est en net recul (il représentait 78% des transactions commerciales et 89% des échanges entre particuliers il y a trois ans). Désormais, 24% des Français n’ont pratiquement plus jamais d’espèces sur eux. Et pour 45% de ceux qui en ont, cela ne dépasse pas 30 euros. Comment expliquer dès lors le paradoxe ?

Si la demande de cash augmente tandis qu’il est de moins en moins utilisé, c’est qu’il est de plus en plus thésaurisé, dans les pays de la zone euro comme à l’extérieur, répond la BCE. Le cash est de plus en plus une valeur refuge. Il est "mis sous les matelas" ! C’est que la demande d’épargne est très forte – y compris aux Etats-Unis, faut-il ajouter, dès lors que l’on considère un peu trop rapidement, de ce côté-ci de l’Atlantique, que les chèques actuellement distribués aux Américains sont surtout dépensés en baskets, en bitcoins et en actions Tesla. Au plus fort des confinements, contre toute attente, les dépenses en ligne ont baissé aux USA. Et, en Europe comme aux Etats-Unis, l’effort d’épargne concerne particulièrement les revenus les plus faibles et les plus élevés.

Avons-nous donc affaire à des comportements commandés par l’angoisse, la peur du lendemain? Cela doit certainement être pris en compte mais la crise sanitaire joue en l’occurrence un rôle d’accélérateur, de révélateur bien plus qu’elle ne représente une cause principale, qui doit être plutôt cherchée du côté des taux d’intérêt. Car, en conséquence de leur extrême faiblesse et donc face à l’impossibilité de valoriser facilement l’épargne, le phénomène est patent depuis plusieurs années. Il apparait particulièrement dans le bilan des banques : les comptes courants créditeurs y ont plus que doublé ces dix dernières années, au point de représenter plus d’un quart des ressources des plus grands groupes bancaires français. Dans un contexte d’incertitude, où l’épargne est très faiblement rémunérée, la préférence va à la liquidité. L’épargne est de moins en moins placée. Elle est laissée sur le compte courant (ou sur le très liquide Livret A). Mais les sommes ainsi mises de côté ne sont pas dépensées. C’est une situation dite de "trappe à liquidités"

Accumulation de cash

Deux choses empêchent de le constater. D’abord les chiffres globaux d’épargne, qui ne distinguant pas assez nettement épargne et patrimoine et intégrant ainsi mécaniquement la hausse des prix immobiliers, sans détailler suffisamment par ailleurs les profils des épargnants (en fait 20% d’entre eux font 70% de l’épargne), font croire – chaque année des articles le claironnent inlassablement – que les Français sont financièrement bien à l’aise, avec un profil d’écureuils. Ce qui est pourtant loin de la réalité.

Intervient ensuite la conviction que l’épargne et la consommation évoluent en sens strictement inverse l’une de l’autre. Tout ce qui n’est pas épargné est consommé, cela parait simple. Mais, comme dans les années 70 on admettait que chômage et inflation varient en sens contraire (et l’on avait finalement les deux, la stagflation !), on néglige aujourd’hui que la consommation est restreinte s’il faut alimenter une épargne qui peine à se constituer.

Dans un tel contexte, le paradoxe que pointe la BCE tend à montrer que, de l’argent laissé en compte courant, on est en train de passer au bas de laine, à l’accumulation directe de cash. Ceci pouvant tenir à des phénomènes de défiance – dans la solidité des banques aussi bien que face à une possible hausse des impôts, en période de forte dépense publique. L’attrait actuel pour les crypto-monnaies n’est sans doute pas étranger à cette défiance.

Dès lors, si l’on attend que les Français dépensent massivement ce qu’ils ont épargné de manière comme forcée avec la crise sanitaire - les projections de croissance se fondent largement sur cette prévision – on peut se demander si cet effet sera aussi fort qu’attendu. Il faut l’espérer quoique l’évolution plus naturelle de la situation dans laquelle nous sommes entrés serait plutôt de voir se développer l’économie parallèle !

Guillaume Alméras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor