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Guillaume Almeras

Les banques vont-elles se tenir à l’écart des efforts de réarmement?

Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, après une réunion des ministres de la Défense du E5 sur l'Ukraine, au Val de Grâce à Paris le 12 mars 2025.

Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, après une réunion des ministres de la Défense du E5 sur l'Ukraine, au Val de Grâce à Paris le 12 mars 2025. - Thibaud MORITZ

[AVIS D'EXPERT] Qui pour financer la défense en Europe? Si certaines banques se montrent frileuses, notamment eu égard leurs politiques RSE, l'enjeu géopolitique peut demander de repenser certaines règles.

En mai 2024, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, en appelant à la "finance patriotique", menaçait de révéler le nom des établissements financiers qui refusent de financer les PME actives dans le domaine de la dissuasion nucléaire.

Au même moment, la Banque européenne d’investissement (BEI) renforçait son soutien à l’industrie européenne de sécurité et de défense, notamment par l’octroi de lignes de crédit aux PME et aux jeunes pousses innovantes du secteur. Tandis que le Crédit Agricole, BNP Paribas et Bpifrance investissaient dans le fonds Eiréné, créé en 2023 par Weinberg Capital, qui a pour objectif de soutenir et d’accélérer le développement des PME et des ETI françaises du secteur stratégique de la sécurité et de la défense.

La RSE ou la défense?

Il n’en reste pas moins que beaucoup de banques, mettant en avant leur Responsabilité sociale et environnementale, hésitent encore à financer ce secteur, comme un rapport parlementaire le constatait en 2020, pointant le manque d’accès des petites entreprises aux financements privés, qui demeure un obstacle majeur à l’innovation et à la transformation des PME en ETI.

Pourtant, les activités de défense n’entrent pas explicitement dans les standards ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance), au même titre que les obligations environnementales ou les démarches d’inclusion. Sauf oubli de notre part, il n’y a guère en fait que le seizième Objectif de développement durable des Nations unies qui, enjoignant aux entreprises de promouvoir "une société pacifiste", peut être invoqué. Toutefois, préparer la guerre permettant de préserver la paix, l’objectif n’est pas contredit par le financement des industries de défense.

D’autres raisons sont également invoquées dans le Rapport d'information numéro 1023 de l’Assemblée nationale (29 mars 2023), dans lequel on lit que "par peur des sanctions extraterritoriales américaines, (les banques) ont tendance à surinterpréter les règles de conformité". Toutefois, le risque d’image reste le plus paralysant: "Par peur des ONG et de voir leur réputation entachée, (les banques) préfèrent limiter ou exclure les financements à destination du secteur de la défense, considérés comme non éthiques. Le rapporteur spécial note que ces freins au financement de l’industrie de défense n’existent qu’en Europe et appelle à moins de naïveté face à nos compétiteurs".

Dès lors que la Défense devient une priorité nationale, le risque réputationnel est largement écarté et l’on peut facilement imaginer que les critères ESG puissent évoluer pour inclure la sécurité des populations. De sorte que le manquement serait de refuser de participer à son financement sur le plan national.

Renforcer les armées européennes, financer le secteur de la défense

Il faut cependant distinguer deux grands types de besoins. D’un côté, il s’agit de renforcer et de développer les armées européennes. Pour cela, les Etats doivent trouver de nouvelles ressources budgétaires et différentes pistes d’endettement sont actuellement envisagées: emprunt européen, emprunt obligatoire, orientation de l’épargne sur livret ou placée dans l’assurance vie. Dans ce cadre, les banques seraient avant tout intermédiaires entre les prêteurs et les Etats. Elles assureraient dans une large mesure la collecte de l’épargne et son placement.

Par ailleurs, il s’agit de financer un secteur de la défense dont les besoins de trésorerie et d’investissements – mais aussi la rentabilité - vont croitre à proportion des commandes. Dans ce cadre, les banques doivent jouer un rôle d’accompagnement en proposant crédits et escompte à ce que l’on nomme la Base industrielle et technologique de défense, qui pèse aujourd’hui 15 milliards d’euros.

Dans cet ensemble, on compte une petite dizaine de groupes industriels (comme Thalès, Safran ou encore MBDA) et 4.000 PME, qui occupent en bonne partie les 200 000 emplois du secteur. Pour elles, les financements bancaires – jusqu’ici difficiles à obtenir – seront cruciaux. Sachant que l’Etat (en l’occurrence les donneurs d’ordres publics, comme le ministère des Armées) devra lui aussi favoriser leur financement, en se tournant vers les PME et startups et non seulement les grands groupes de manière privilégiée, en réduisant ses délais de paiement, en soutenant l’escompte des créances, aussi bien que l’innovation – comme le ministère de la Défense et la Direction générale de l'armement l’ont proposé à partir de 2009 à travers le dispositif Rapid (Régime d'Appui Pour l'Innovation Duale) qui subventionne des PME jusqu'à 80 % de leurs dépenses de R&D pour soutenir les innovations "duales" (qui peuvent intéresser également les industries civiles et militaires).

Les marchés et vous : Investissement et défense en France - 14/03
Les marchés et vous : Investissement et défense en France - 14/03
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Par ailleurs, alors que des bailleurs de fonds nationaux (comme Bpifrance) ou internationaux (comme la BEI) interviennent également en cofinancement, garantie ou investissement direct, on reparle ces derniers jours d’une banque de l’OTAN, qui bénéficierait d'une capacité de financement de 100 milliards de livres et d'une notation AAA pour assurer des coûts d'emprunt à taux plancher. L’idée, lancée lors de la première présidence Trump, a semblé intéresser également la présidence démocrate.

En janvier dernier, le groupe BPCE a mis en place un dispositif facilitant la mobilisation dans la Garde nationale des réservistes parmi ses collaborateurs. La Défense nationale est en train de retrouver pleinement sa dimension d’intérêt général.

Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor