La banque de demain sera disruptive. Tout le monde est d’accord, mais qu’est-ce que cela veut dire?

Via leur application mobile, les clients de La Banque Postale peuvent piloter en temps réel leur carte bancaire avec leur smartphone, à toute heure du jour et de la nuit. - La Banque Postale
Comme souvent, le mot a précédé l’idée. Depuis quelques années, on parle de "disruption" pour qualifier les innovations les plus fortes et l’on enjoint particulièrement aux banques d’être "disruptives", pour les inviter à innover radicalement.
On entend ainsi que les banques doivent faire plus qu’évoluer. Elles doivent changer radicalement leurs modes de fonctionnement pour parer les menaces que de nouveaux acteurs sont à même d’exercer sur leurs métiers. Mais changer jusqu’où? Comment?
Un récent article – remarqué - de la Global Banking & Finance Review présente 3 Tech Trends that are disrupting the Banking Sector. Trois orientations technologiques qui vont tout changer. D’abord le Cloud hybride, soit le stockage de données partagé entre serveurs propres et communs, qui va baisser les coûts, améliorer les temps de réponse et l’efficacité des services bancaires. Ensuite l’automatisation des processus ou RPA (Robotic Process Automation), qui va également baisser les coûts des tâches incontournables mais à faible valeur ajoutée (sécurité, reconnaissance client, …), tout en les fiabilisant, les optimisant et en permettant aux personnels en contact avec les clients de se concentrer sur des aspects plus essentiels. La réalité augmentée, enfin, intégrée aux applis mobiles, va donner à ces dernières une nouvelle dimension et faire émerger de véritables agences bancaires virtuelles.
Condamner toute innovation
Bien entendu, d’autres bouleversements techniques pourraient être listés. Ceux qui sont cités ci-dessus recueillent effectivement aujourd’hui l’attention et la question n’est pas tant de déterminer si d’autres paraissent plus importants que de savoir en quoi ces technologies peuvent finalement paraitre "disruptives". Car l’article ne fait que présenter des technologies nouvelles, dont la maitrise va nécessiter des développements considérables et des investissements à proportion mais surtout pour améliorer, bien plus que pour bouleverser, les services et produits existants.
En somme, si l’attention se porte ainsi essentiellement sur des enjeux technologiques, c’est en considérant que les modèles bancaires existants sont finalement pertinents et que les banques vont pouvoir continuer à faire ce qu’elles font, au simple prix d’un rehaussement technologique conséquent. Nous sommes loin de toute "disruption" et l’on peut se demander si ce genre de discours ne condamne pas en fait toute réelle innovation. En confiant les changements principalement aux techniciens. Et en détournant de considérer comment les offres elles-mêmes et la relation client pourraient réellement évoluer. Comment la banque pourrait être réinventée en termes d’accès au crédit, d’équipement des clients, de nouveaux services. C’est-à-dire comment les innovations financières pourraient changer nos façons de vivre.
Les banques vont-elles manquer un tournant?
Mais les banques doivent-elles effectivement voir si loin et changer autant? Doivent-elles se réinventer ou faire simplement évoluer leur socle technologique? Il n’est aucune réponse simple mais on peut constater qu’il y a quelques années, les perspectives de réinvention mobilisaient davantage qu’aujourd’hui. Alors que la crise sanitaire a accéléré le passage au digital, les banques se focalisent actuellement sur leurs canaux numériques et l’expérience client qu’ils délivrent, selon une logique d’amélioration incrémentale bien plus que d’innovation globale.
Mais la crise n’explique pas tout. Le fait est que les chantiers technologiques pour améliorer l’existant représentent un terrain bien plus confortable et familier que les incertaines remises en cause des modèles et des offres. L’article cité ci-dessus est assez représentatif de cet état d’esprit. D’autant que ces remises en cause paraissent moins urgentes. Annoncées à grands cris, bien trop rapidement sans doute, les menaces que de nouveaux acteurs étaient censés exercer vis-à-vis des banques traditionnelles, n’ont plus la même résonnance. Les banques n’ont pas vu leurs activités péricliter.
Aussi paraissent-elles actuellement se convaincre qu’une réelle disruption leur sera en fait évitée. Au moment même, pourtant, où de nouveaux acteurs commencent, enfin, à s’installer – aux Etats-Unis, la néo-banque Chime en fournit l’un des meilleurs exemples. Tandis que la menace des Big Tech se précise, notamment dans le e-commerce, comme nous l’avons souligné dans notre précédente chronique. Certes, tout cela ne se traduira pas par un effondrement immédiat et massif des banques traditionnelles. Mais ces avancées renouvellent considérablement les usages et non seulement les technologies. A cet égard, beaucoup de banques risquent de manquer un tournant.