Evolution de la réglementation bancaire: la Suisse va-t-elle en venir à punir ses banquiers?

Enquête chez Credit Suisse. - Fabrice Coffrini - AFP
Suite à l’exposition du Crédit Suisse aux effondrements récents du fonds spéculatif Archegos et de la plateforme de financement Greensill, l’autorité suisse de surveillance des marchés financiers, la Finma, envisage de se doter de la possibilité de sanctionner personnellement les dirigeants de banque pour mauvaise gestion à travers des amendes élevées, comme la réglementation le prévoit au Royaume-Uni.
Ces dernières années, le Crédit Suisse s’est retrouvé exposé ou mêlé à plusieurs affaires délicates (prêts au Mozambique, scandales Wirecard et Luckin Coffee, espionnage des employés, …), pour finir avec les désastres Archegos (une perte d’au moins 4,5 milliards d'euros) et Greensill (10 milliards de dollars de litiges clients). Face à cette succession d’affaires, la Direction peut-elle se contenter d’assurer que les contrôles vont être renforcés?
Dans ce contexte, la Finma a souligné – et la question a été portée devant le Parlement – qu’elle ne dispose pas de mesures permettant de renvoyer les dirigeants à leurs responsabilités. Des sanctions, telle que l’interdiction d’exercer des activités financières, ne peuvent en effet être exercées qu’en cas de faute personnelle expresse ayant un lien direct avec une affaire, ce qui reporte les responsabilités sur des subordonnés, susceptibles en l’occurrence de servir de fusibles.
Une avancée en termes de régulation financière
Quelle que soit l’issue qu’elle trouvera, l’initiative de la Finma est particulièrement intéressante et marque une véritable avancée en matière de régulation financière. Parce que jusqu’ici, tout d’abord, le souci de ne pas nuire à la réputation d’une place financière – le cas est très loin de ne concerner que la Suisse! – tendait plutôt à protéger les établissements financiers et leurs responsables en termes de poursuites et de sanctions. Or, quoique certains invoquent toujours en ce sens l’importance de son système bancaire pour la Suisse et l’obligation de ne pas lui porter ombrage, l’argumentation est à présent renversée: un pays mondialement connu pour ses banques peut-il se contenter d’une réglementation paraissant plus laxiste que celle d’autres pays?
Ensuite parce que la question de la responsabilité réelle des dirigeants est essentielle et ne peut être contournée si l’on veut parvenir à une réglementation financière véritablement prudentielle. Quand une affaire survient en effet –le Crédit Suisse a également subi les graves abus d’un trader indélicat– la position des dirigeants est toujours la même, profondément inconfortable : soit ils savaient et c’est grave. Soit ils ne savaient pas et c’est tout aussi grave. Or la réalité est souvent un mélange des deux! Et cela pose deux questions clés.
La première a trait à la capacité que peuvent effectivement avoir les dirigeants des plus grands établissements financiers à maitriser l’ensemble des activités, souvent très complexes, dont ils sont formellement responsables. Cette question s’est particulièrement posée il y a quelques années pour la Deutsche Bank, au bord de la faillite. Si l’on parle de banques trop grosses pour pouvoir faire défaut –c’est-à-dire qui devront, en cas de défaut, être sauvées par de l’argent public– ne conviendrait-il pas de faire évoluer leur gouvernance en fonction des conditions d’un pilotage effectif de leurs activités?
Une affaire de management
De ce point de vue, la réglementation bancaire demeure trop focalisée sur les risques globaux et ne considère pas assez les actes de management. Pourtant –et c’est le second point- quand un désastre survient, la responsabilité du management est patente et, la plupart du temps, pour n’avoir pas pris de décision forte. Dans son livre-témoignage A colossal failure of common sense (2009), un ancien dirigeant de Lehman Brothers, Lawrence G. McDonald, a rapporté comment l’établissement s’est laissé glisser jusqu’à la catastrophe qui provoquera sa fermeture sans pouvoir se décider à faire quelque chose –comme sur la route un lièvre tétanisé par les phares de la voiture qui lui fonce dessus!
Il ne s’agit donc pas d’une simple affaire de contrôle mais de management. Pour le Crédit Suisse, Le Temps souligne les avertissements reçus par l’établissement, notamment sur Greensill, bien avant que les difficultés n’éclatent. Il y a là, en fait, un dilemme qui est aussi vieux que la spéculation: face à un marché adverse, faut-il immédiatement encaisser des pertes ou attendre un retour à meilleure fortune? Quitte, pour tenir, à maintenir ses positions et à accroitre ses risques? Les banquiers savent bien que le même dilemme frappe ceux de leurs clients qui, momentanément, ne peuvent honorer une dette et que, très souvent, compter sur un retour de la chance ne fait qu’aggraver les choses. Récemment d’ailleurs, notamment sous l’impact de la crise sanitaire, les choses ont commencé à changer et, de plus en plus, les banques s’efforcent de décomplexer les problèmes de trésorerie pour inviter leurs clients à leur en parler le plus tôt possible. En matière de réglementation bancaire toutefois, la problématique reste presque entièrement à considérer et c’est justement vers quoi s’engage la Finma.
Des sanctions personnelles exercées contre les dirigeants peuvent-elles suffire? Sont-elles même appropriées? Ne faudrait-il pas également se résoudre enfin à considérer les discordances possibles entre la réglementation bancaire et des normes comptables IFRS appliquées aux établissements qui tendent à maximiser les profits des actionnaires? La problématique nous situe au cœur d’actes de management qui ne sont ni simples, ni faciles. Et qui inviteraient en premier lieu à admettre, de manière générale, que pour un dirigeant encaisser de lourdes pertes peut parfois relever d’une décision louable et vertueuse!