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Et si la Caf remboursait l’abonnement Tinder? Cet expert a beaucoup d'idées pour relancer la natalité en France

Avec seulement 1757 nouveau-nés par jour, le mois de juin 2024 est le plus mauvais de l'année avec une baisse mesurée de 7,9% sur un an selon l'Insee.

Avec seulement 1757 nouveau-nés par jour, le mois de juin 2024 est le plus mauvais de l'année avec une baisse mesurée de 7,9% sur un an selon l'Insee. - Pexels

Dans son essai "Les Batailles de la natalité", le sociologue Julien Damon fait une analyse approfondie du déclin récent de la fécondité en France et fait de nombreuses propositions pour trouver des solutions à cet épineux problèmes. Certaines peuvent paraître loufoques, mais sont plus sérieuses qu'il n'y parait. Entretien.

Ce n'est pas le premier sujet de préoccupation des Français mais c'est pourtant celui qui fait planer le plus de menaces sur l'économie française. La natalité a poursuivi sa baisse en 2024 et le nombre de naissances dans l'Hexagone a même franchement décroché sur le mois de juin, indique l'Insee.

Après une relative stabilisation en avril et mai, le nombre de naissances a chuté en juin de 7,9% sur un an. Au total, à peine plus de 326.000 bébés ont vu le jour en France sur les six premiers mois de l'année, soit un recul de 2,4%.

L'indice de fécondité (nombre moyen d'enfants par femme en âge de procréer) qui se maintenait jusqu'en 2012 au-delà de 2, proche du seuil de renouvellement de la population, est désormais passé sous les 1,7. Autrement dit, sans solde migratoire positif, la population française va être amenée à mécaniquement se réduire dans les années à venir.

Avec quelles conséquences? Une natalité qui baisse, c'est une population qui vieillit. Ce qui rend encore plus aiguë la question du financement des retraites. Pour rappel aujourd'hui le pays compte 1,67 actif cotisant pour un retraité, contre 2,04 encore en 2004, selon l'Insee. Comment financer demain les pensions de millions de Français quand le ratio s'approchera de 1, et ce, alors que la société française a à maintes reprises exprimé son refus de travailler plus longtemps ?

Les conséquences du déclin démographique

Mais une démographie en déclin, c'est aussi une population active appelée, elle aussi, à diminuer. Donc une production qui décroît, et ce, d'autant qu'en France la productivité est en berne depuis quelques années. Moins de travailleurs, mais aussi moins de consommateurs. Or la consommation des ménages, c'est 55% du PIB français.

Pour toutes ces raisons (et bien d'autres encore) la baisse de la natalité aujourd'hui est synonyme de stagnation demain et d'appauvrissement à terme. D'où l'empressement de nombreux pays encore plus fortement touchés que la France à mettre en place des politiques natalistes.

Comment relancer la natalité en France ? Les pistes du gouvernement porteront-elles des fruits? Quelles autres idées pourraient être explorées? C'est à ces questions que tente de répondre le sociologue Julien Damon, professeur associé à Sciences Po, dans son essai "Les Batailles de la natalité" qui vient de paraître aux Editions de l'Aube.

BFM Business: Comment peut-on expliquer que la natalité française qui faisait de la résistance chute maintenant depuis quelques années ?

Julien Damon: Chacun y va de son explication selon l'idéologie qui sort du chapeau de l'interlocuteur. On dit que c'est la crise (mais laquelle?), que c'est lié au "contexte général" géopolitique, environnemental, à l'anxiété générale, au détricotage des politiques familiales... Ce qui est sûr en tout cas c'est multifactoriel et complexe.

Il faut d'abord rappeler que si c'est préoccupant, on a tendance à beaucoup s'effrayer. L'indice de fécondité actuel (environ 1,7 enfant par femme) retrouve en fait son niveau de 1993. La France a connu une période extraordinaire pour la natalité entre 1994 et 2010 que n'avaient pas connu nos voisins. Nous avons simplement aujourd'hui un nouveau régime démographique qui retrouve le niveau des autres pays occidentaux. Mais nous restons tout de même au-dessus de nombreux pays comme l'Allemagne, l'Italie, le Japon et même les États-Unis. Car le mouvement de la diminution de la fécondité est un phénomène mondial qui concerne même les pays pauvres.

"Les Français sont bien mieux lotis"

BFM Business: Pourquoi les Français se sont alors mis à faire moins d'enfants depuis une quinzaine d'années ?

J.D.: Quand on interroge les jeunes, ils évoquent bien l'anxiété géopolitique ou environnementale. Mais c'est plus complexe que ça. Il faut rappeler que le fameux "baby boom" en France avait commencé dans un période très difficile sur ce plan-là puisque c'est à partir de 1943, en pleine guerre mondiale, que le nombre de naissances est reparti à la hausse [plus de 100.000 naissances de plus en 1944 qu'en 1941].

Il faut donc creuser un peu plus. Or les jeunes mettent en avant deux problématiques: d'une part la crainte de ne pas disposer de mode de garde avant l'école et d'autre part ils disent qu'ils n'ont pas de conjoint ou de conjoint qui veut un enfant.

BFM Business: La France est-elle défaillante sur l'offre de services de garde de la petite enfance?

J.D.: Même pas ! J'ai demandé à des experts des politiques familiales au sein de l'OCDE dans quel pays il serait le plus facile d'élever un enfant selon eux. Et ils me répondent tous "la France"! On a une protection sociale très forte, des services de la petite enfance, des écoles maternelles gratuites... Les Français sont bien mieux lotis que les autres.

BFM Business: Ce qui peut nous rendre pessimiste sur la natalité si elle baisse malgré ce contexte propice...

J.D.: Oui, mais il y a des leviers d'amélioration. On attend la mise en place d'un service public de la petite enfance. Aujourd'hui le premier mode de garde ce sont les assistantes maternelles (environ 60%) contre un tiers seulement pour les crèches. Il faut soutenir ces dernières, car il y a une crise de vocation. Aujourd'hui on a des places en crèche fermées, car on manque de personnel. C'est le même problème que dans les Ehpad d'ailleurs. Il faut des emplois mieux payés et plus qualifiés (assistante maternelle, c'est seulement 80 heures de formation).

Mais ça doit aussi venir du secteur privé: sur les 15 dernières années, la hausse du nombre de places en crèches, c'est quasi intégralement grâce aux entreprises lucratives. Alors même s'il y a eu des scandales médiatiques dans les crèches privées, il ne faut pas jeter le bébé lucratif avec l'eau du bain.

BFM Business: Vous proposez aussi dans votre livre de revoir la politique familiale qui serait désuète selon vous.

J.D.: Oui, parce qu'elle est centrée sur les familles nombreuses ce qui est dépassé aujourd'hui où l'enjeu celui du premier enfant. On peut avoir une politique de prestations familiales qui ne serait pas beaucoup plus coûteuse, mais plus incitative. Aujourd'hui vous ne touchez pas d'aides avec le premier enfant puis 130 euros pour deux environ et 180 euros pour trois. Il faudrait verser 70 euros dès le premier, puis 140 pour le deuxième etc. Il faudrait forfaitiser les prestations.

"Il faut construire des pavillons"

BFM Business: Ce que vous montrez aussi, c'est que des problématiques en apparence étrangères ont aussi un impact sur la natalité.

J.D.: Oui au rang desquelles le logement. Aujourd'hui les jeunes ont du mal à quitter le domicile parental. Il faut savoir qu'on considère qu'avec chaque enfant qui nait on s'éloigne de 10 km du centre-ville pour trouver des logements plus spacieux. Donc si on ne construit pas plus de pavillons, ça aura un impact négatif sur la fécondité. Des lois environnementales comme le "zéro artificialisation nette" réduit l'offre de logements en périphérie et ce n'est pas propice à la fécondité. Et il y a la question du logement social aussi. Les personnes âgées seules doivent elles rester à vie dans un logement social en lieu et place d'un jeune couple ?

BFM Business: un autre levier sur lequel vous faites des propositions, c'est celui des rencontres. Des choses qui peuvent prêter à sourire, mais qui sont essentielles dites-vous.

J.D.: Oui pour une raison simple: il faut être deux pour faire un enfant. Or aujourd'hui, 20% des familles sont monoparentales. De plus en plus de personnes sont isolées et elles aspirent à avoir une aventure. Il faut proposer des voies pour que les gens se rencontrent plus. Mes propositions peuvent faire sourire ou on peut les critiquer pour le côté intrusif de l'État. Mais il suffit de regarder des émissions comme "L'Amour est dans le pré" pour se rendre compte qu'il est parfois difficile de trouver quelqu'un. Il ne faut regarder ça avec condescendance.

On pourrait ainsi imaginer que les Caisses d'allocation financent les abonnements à des sites de rencontres en ligne. Ces outils peuvent coûter cher pour des gens qui n'ont pas un radis. Deux nouveaux couples sur cinq depuis le Covid se sont rencontrés en ligne.

Ou bien on pourrait imaginer des services publics de rencontres matrimoniales pour ceux qui sont en moins à l'aise avec les outils numériques ou réticents aux sites de rencontres. Les organismes pourraient organiser des fêtes et des bals. Ou ça pourrait passer par la prise en charge des abonnements à des salles de sport où l'on fait de plus en plus de rencontres.

À l'étranger ça se fait déjà. Tokyo a mis en place des fêtes pour que les Tokyoïtes se rencontrent. Une sorte d'"Amour est dans la ville".

Lutter contre l'isolement, tout le monde est d'accord. Mais il faut faire des propositions audacieuses et marrantes. Après tout c'est en se marrant qu'on fait des enfants.

"La fécondité est remontée en Allemagne"

BFM Business: Les propositions du gouvernement portaient sur l'infertilité et le congé parental, est-ce que ça peut avoir un impact?

J.D.: La question de l'infertilité ce n'est pas idiot mais ça ne concerne qu'une toute petite partie de la population. Ça ne va pas avoir un impact massif sur la natalité.

La question de raccourcir et de mieux rémunérer le congé parental, ça va aussi dans le bon sens. Car si certains sont réticents à avoir un enfant, c'est parce que ça a encore un impact négatif sur la carrière.

BFM Business: Mais est-ce que des politiques, aussi audacieuses soient-elles, peuvent avoir un réel impact sur la natalité ?

J.D.: C'est difficile et aléatoire, mais ça peut marcher. Je peux citer l'exemple de l'Allemagne qui était en retard et qui a lancé sous Schröder une offre de garde de tous les enfants, sorte de service public de la petite enfance. L'indice de fécondité est remonté, passant de 1,4 à 1,6. En Allemagne, les femmes qui travaillent sont moins vues comme des "mère corbeaux" selon l'expression dans ce pays. Il y a eu des exemples aussi qui ont fait évoluer les mentalités. Comme celui d'Ursula von der Leyen, qui a sept enfants et qui est présidente de la Commission européenne.

Après il y a des contre-exemples aussi. Le Japon et la Corée du Sud ont beaucoup investi pour relancer la natalité et ça n'a strictement eu aucun impact. Dans ces pays, ça reste une catastrophe pour la carrière d'une femme d'avoir un enfant.

En Hongrie ça a guère plus marché. La natalité est brièvement repartie, mais est depuis retombée.

Paradoxalement ce sont dans ces pays qui sont les plus traditionalistes sur les valeurs que les niveaux de natalité sont les plus bas. Car comme partout elles aspirent à être les égales des hommes sur le plan professionnel, mais la société a tendance à les cantonner à leur rôle de mère quand elles ont un enfant. Ce qui ne les encourage pas à en avoir.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco