Turbulences chez Danone: qui veut la tête d'Emmanuel Faber?

Ils demandent ouvertement sa tête. Trois fonds d'investissements anglo-saxons ont déclenché depuis dix jours les hostilités. Leur but: faire tomber Emmanuel Faber, le PDG de Danone. C’est l'anglais Bluebell Capital Partners qui a ouvert le feu dès novembre, rejoint par le californien Causeway Capital Management, puis le fonds Artisan Partners. Depuis New york, ce dernier qui gère pas moins de 146 milliards de dollars d'actifs, estime que la performance financière du groupe n'est pas au niveau où elle devrait être. Baisse du chiffre d’affaires, une marge moins importante que celle de ses concurrents. Le verdict est clair: peut mieux faire! Artisan est entré en avril dernier au capital du géant de l'agroalimentaire et en possède aujourd'hui 3%. Faisant de lui le troisième actionnaire du groupe, assez pour se manifester et signifier son mécontentement. Artisan ne remet pas en cause les objectifs environnementaux et sociaux du groupe. Il estime simplement que le groupe est mal géré.
"Tout le problème vient de la gouvernance" juge Jan Bennink, l'homme qui conseille Artisan, et avec qui BFM Business s’est entretenu. Dans son viseur: Emmanuel Faber. "Une personne formidable mais qui a montré que PDG n'était pas son métier" nous lâche-t-il. Depuis que le dauphin de Franck Riboud est aux commandes, le groupe a connu en effet cinq changements d'organisation en sept ans. "Danone a besoin de paix et de stabilité" ajoute Jan Bennink. Pour la stabilité, c'est raté. Le groupe est en train de vivre l’une des pires crises de son histoire.
Vers un changement de gouvernance
Pour Jan Bennink, changer la gouvernance est la première chose à faire. Il milite pour une séparation des fonctions de président et directeur général. Dissocier les rôles, c'est dans l'air du temps, avec un président chargé de la vision stratégique et un directeur général pour l'opérationnel. D'ailleurs, Emmanuel Faber n'a pas de position "dogmatique" sur le sujet, a-t-il assuré au JDD. Sauf que pour les fonds c'est très clair, il faut de nouvelles têtes venues de l'extérieur. D'ailleurs Jan Bennink se verrait bien lui-même président de Danone.... En tout cas, c'est un poste "qui le ferait effectivement réfléchir" feignant de ne pas être candidat.
Une revanche pour cet ancien de Danone qui, il y a quelques années, a même été en concurrence avec Emmanuel Faber pour remplacer l’ancien PDG Franck Riboud. Même s’il s’en défend. D'origine néerlandaise, Jan Bennink a un parcours particulier. Chez Danone, il était directeur de la division "produits laitiers frais monde" jusqu'en 2002. Il a rejoint ensuite la société néerlandaise Numico en tant que Directeur Général, société qu'il revend en 2007 à Danone! Il met ensuite un pied dans toutes les grandes entreprises agroalimentaires, Kraft Food, Sara Lee.
Depuis 2013, il n'occupe plus de fonctions opérationnelles. En revanche, il conseille les fonds. C'est lui qui est derrière l'activiste Third Point dans son attaque de Nestlé en 2017. Aujourd’hui, il a Danone dans son viseur. Il a rencontré à plusieurs reprises certains administrateurs du groupe comme Michel Landel, ou Gilles Schnepp. "Un échange très amical et positif, nous assure-t-il. Ils ont posé beaucoup de questions".
Danone, entreprise stratégique?
Emmanuel Faber compte ses soutiens. A commencer par les syndicats maison. Chose inhabituelle, même le patron de la CFDT, Laurent Berger a pris sa défense sur notre antenne. Pascal Lamy, également. L'ancien directeur général de l'OMC se dit prêt à rendre son tablier, "si les actionnaires de Danone pensent qu'il faut que l'entreprise s'aligne avec les milieux financiers". Il est aujourd'hui président du comité de mission chargé de veiller au respect des engagements sociétaux et environnementaux pris par Danone en juin dernier.
Les membres du conseil d'administration eux semblent plus partagés. Il faut dire qu'Emmanuel Faber agace en interne. Ses méthodes managériales, "son côté donneur de leçon ne passent pas" nous confie une source interne. Qu'en pense Franck Riboud, toujours président d'honneur du groupe? C'est le grand silence, il ne cède pas pour le moment au principe de réserve qu'il s'est fixé depuis qu'il s'est retiré des affaires. Mais plusieurs sources rapportent qu’il a, lui aussi, lâché Emmanuel Faber qu’il avait pourtant désigné comme son successeur.
Alors face aux attaques, Danone tente de mettre en avant le caractère stratégique du groupe et les menaces qui pèsent sur lui. Sa crainte, que le raid financier d'Artisan déstabilise l'entreprise, ouvrant la voie à une OPA. Il aimerait bien un soutien de Bercy dans cette affaire. La direction invoque même la "souveraineté alimentaire" que représente Danone en France. Mais un mois après avoir brandi cet étendard pour empêcher Carrefour de se marier avec le canadien Couche-Tard, le gouvernement ne bouge pas. "On ne s’occupe pas des affaires quotidiennes des entreprises privées. L’entreprise n’est pas déstabilisée et il n’y a pas d’enjeux de souveraineté" tranche-t-on à Bercy. En résumé, ce n’est qu’une affaire de gouvernance et il n'est pas question d’intervenir. Emmanuel Faber est aujourd’hui bien seul.