TOUT COMPRENDRE - Pourquoi le projet de construction de l'autoroute A69 ne fait pas l'unanimité

Le gouvernement a tranché. Malgré une longue opposition, l'exécutif s'est dit décidé lundi à mener "jusqu'à son terme" le projet d'autoroute A69 Toulouse-Castres, rejeté par des écologistes.
"L'État est déterminé à faire aboutir ce projet, qui a été décidé démocratiquement et confirmé systématiquement par le juge", a indiqué dans un communiqué le ministère chargé des Transports, "le chantier se poursuivra dès ce lundi".
Cette décision a été prise après une réunion vendredi à Castres, dans le Tarn, lors de laquelle "une très large majorité des élus locaux, représentants légitimes du territoire dans notre démocratie, a réaffirmé sans ambiguïté son soutien à l'autoroute", selon la même source.
• En quoi consiste ce chantier?
Le dossier n'est pas nouveau. C'est en 1994 que l'Etat annonce un premier projet qui consiste à élargir la route nationale 126 qui relie Castres à Toulouse dans la région Occitanie.
Mais en 2010, il est finalement décidé la construction d'une autoroute, parallèle à la route nationale, pour relier les deux villes distantes de 52 kilomètres.
La construction de cette autoroute est estimée à 450 millions d’euros, dont 23 millions d’argent public, le reste étant financé par le groupe NGE choisi pour construire et opérer la concession à travers sa filiale Atosca.
• Une autoroute pour quel besoin?
Sur le papier, il s'agit d'accélérer le désenclavement de Castres et du sud du département du Tarn. Pour les élus et le gouvernement, cette nouvelle infrastructure doit stimuler l'activité économique et sociale de la région.
Par rapport à la route nationale, il s'agit de faire gagner du temps aux automobilistes qui vont de Castres à Toulouse: une vingtaine de minutes sur un trajet d’1h30.
Mais ce gain a un prix salé. L’aller-retour entre les deux villes est estimé à 17 euros, ce qui en fera un des tronçons d'autoroute les plus chers de France. Ce tarif élevé est d'ailleurs l'un des premiers arguments des opposants au projet, mais c'est loin d'être le seul.
• Pourquoi une telle opposition?
Très vite, le projet cristallise de nombreuses oppositions. D'abord, c'est l'objectif même de l'autoroute qui est remis en cause.
Les chercheurs de l’Institut national universitaire Champollion estiment ainsi que "les recherches en aménagement du territoire n’ont jamais démontré que la création d’une infrastructure de transport était automatiquement synonyme de développement social et économique pour les territoires concernés".
Surtout, le collectif La voie est libre, qui se positionne très tôt contre ce projet, souligne que la route nationale existante n’est pas saturée et que la nouvelle autoroute ne serait empruntée que par 7000 automobilistes par jour alors qu'Atosca table sur plus de 10.000 véhicules par jour à la mise en service et 12.000 en 2045.
Il propose en alternative la création d'une véloroute et la modernisation de la route nationale existante.
• Pourquoi l'impact écologique est au coeur de la contestation?
Mais ce sont surtout les conséquences écologiques du projet qui suscitent le plus d'oppositions. Alors que l'Etat a décidé de stopper l'artificialisation des sols, la construction de ce tronçon affecte 420 hectares dont 316 de terres agricoles qui ont donc vocation à être bétonnées.
Dans le même temps, elle entraînerait la destruction de plus de 1000 arbres parfois centenaires et de vastes zones boisées et de zones humides. Une perspective qui justifie, selon le Conseil National de la Protection de la Nature et l'Autorité Environnementale de qualifier en 2022 ce projet d'"anachronique" et donc de s'y opposer.
"Ce dossier s’inscrit en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité, ainsi qu’en matière de pouvoir d’achat" assène-t-il. Reste que cet avis est purement consultatif.
• Que propose le concessionnaire?
Afin de convaincre les frondeurs, le concessionnaire Atosca a proposé diverses mesures. Il promet ainsi une compensation carbone en replantant cinq fois plus d'arbres que ceux qui seront coupés.
Une fausse bonne idée, rétorquent les associations écologistes et les collectifs qui mettent en avant plusieurs études dont celle de l’Atécopol, Atelier d’écologie politique de Toulouse, estimant que le remplacement d'un arbre mature par cinq jeunes arbres était largement insuffisant pour compenser la capacité d'absorption de CO2 d'un arbre mature.
Le gouvernement met également en avant une nouvelle "amélioration des mesures d'accompagnement environnementales: augmentation des replantations, moindre surface artificialisée".
En outre, "les travaux engagés pour améliorer les conditions tarifaires de l'A69 pour les usagers et mettre en place de nouveaux services de mobilités décarbonées, comme le projet d'autocars express annoncé par la région ou le projet de voie cyclable souhaité par les associations et actuellement étudié par le département, se poursuivront", a promis le ministère des Transports.
• Pourquoi ce projet a-t-il pris autant de retard?
Comme souvent, les opposants ont multiplié les recours juridiques. Plusieurs actions ont été initiées, retardant de fait le début des travaux. Reste que la justice s'est déjà prononcée quatre fois en faveur du projet, déboutant les plaignants et ce, pas plus tard que le 6 octobre dernier (recours en référé déposé au tribunal administratif de Toulouse en septembre). Mais des procédures sont encore en cours.
Il a fallu également compter avec des actions individuelles comme celles du militant écologiste Thomas Brail et deux autres opposants qui avaient entamé des grèves de la faim et de la soif sur place, perchés sur un des arbres ayant vocation à être abattus.
Depuis des mois, les opposants multiplient également les rassemblements pour obtenir la suspension du chantier.
Le 4 octobre dernier, Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports estimait qu'il fallait désormais stopper ces actions étant donné les décisions de justice rendues.
• Et maintenant?
"Le chantier se poursuivra dès ce lundi" annonce fermement le gouvernement. Thomas Digard, l'un des représentants du collectif La Voie est Libre, demande l'organisation d'un "référendum local" sur la construction de l'autoroute.
En attendant, le collectif et les opposants ont appelé à un week-end de mobilisation les 21 et 22 octobre sur le tracé. Le lieu exact n'a pas encore été précisé.
"Un dialogue approfondi a été mené. Le soutien des élus de la République a été réaffirmé. Il faut donc avancer. J'appelle chacun à la responsabilité et au respect des décisions démocratiques et juridiques. Force restera à la loi et à l'Etat de droit", a rétorqué Clément Beaune. "Tous les recours suspensifs ont été jugés et rejetés" ajoute Matignon.