BFM Business
Transports

Suppression de certains vols intérieurs au profit du train: Bruxelles fait planer le doute

placeholder video
La Commission européenne annonce une "analyse approfondie" sur cette interdiction, une des mesures phares de la loi Climat et Résilience adoptée l'été dernier. Quels sont les arguments mis en avant par ses opposants?

C'est une première victoire pour le lobby aérien et aéroportuaire français. La Commission européenne a en effet décidé de se pencher sur une des mesures centrales de la loi Climat votée en France l'été dernier, à savoir la suppression des lignes aériennes intérieures si une alternatives en train en moins de deux heures et demi existe (article 145).

Concrètement, cette mesure emblématique vise à supprimer les liaisons entre Paris (Orly) et Nantes, Lyon ou Bordeaux et entre Marseille et Lyon, mais prévoit des exceptions pour les vols permettant de prendre une correspondance.

Bruxelles "a décidé de faire une analyse approfondie du dossier, et va ouvrir un dialogue formel avec les autorités françaises" qui débouchera sur une décision, a déclaré un porte-parole, Stefan De Keersmaecker. "C’est une étape procédurale" qui ne préjuge pas de la décision finale d’interdire ou non la mesure, a-t-il précisé.

Cette procédure suspend de fait l'application du texte mais la Commission indique qu'elle pourrait rendre sa décision avant sa date d'application. "Nous avons compris que les autorités françaises comptent mettre en oeuvre cette (mesure) à partir de mars, fin mars 2022, la décision (sera prise) aussi rapidement que possible", ajoute-t-il.

La Commission n'a pas communiqué sur le sujet, ni sur les points précis qu'elle compte analyser hormis la compatibilité de la mesure avec les textes européens.

Rappelons qu'en novembre dernier, le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara) qui regroupe la moitié des compagnies françaises a déposé une plainte auprès de la Commission européenne afin de faire abroger cette partie de la loi Climat et Résilience. Il rejoint celle déposée par l'Union des aéroports français (UAF), et l'association des aéroports européens.

Quels sont les arguments mis en avant par les opposants au texte?

Une base juridique fragile

Interrogé par BFM Business, Jean-François Dominiak, président du Scara, explique que le texte ignore "un principe fondamental européen, celui d'entreprendre et de circuler. C'est une restriction de nos libertés de circulation". Et d'ajouter: "chaque Etat a en effet le droit de restreindre ces libertés mais s'il y a des motifs justes et valables. Or, la loi Climat et résilience ne correspond pas à cela".

L’article 145 s'appuie en effet sur l’article 20 du règlement européen n°1008/2008, prévoyant des exceptions à l’exercice des droits de trafic "en cas d’atteinte grave à l’environnement". Mais cette mesure ne peut durer plus de trois ans, or le texte adopté en France ne prévoit aucune temporalité.

Par ailleurs, si la France a le droit de légiférer sur les trafics, "notamment lorsque d'autres modes de transport fournissent un service satisfaisant" au sens du droit communautaire, ce dernier prévoit également des principes de proportionnalité et d'efficacité.

Une efficacité contestée

On a l'impression qu'on cherche à écraser une mouche avec un marteau" insiste Jean-François Dominiak.

Les chiffres lui donnent en partie raison. La réduction des émissions de carbone des lignes aériennes concernées serait très faible au regard de la mesure: 0,23% des émissions globales du transport aérien en France.

Ce que dénoncent d'ailleurs plusieurs associations écologiques. Ces dernières fustigent le manque d'ambition de la loi issue de la Convention citoyenne qui au départ proposait de supprimer les liaisons aériennes si une alternative en train en moins de quatre heures existe. Selon les chiffres de Greenpeace, les lignes les plus émettrices de CO2 resteront hors d'atteinte en raison de la barre fixée à deux heures et demi.

Le secteur s'attache également à rappeler qu'il agit sur ses émissions depuis longtemps déjà. "Que ce soit le poids des appareils, les carburants propres, les compensations, on le fait depuis toujours. D'autant plus qu'on a intérêt à le faire. Le carburant peut représenter jusqu'à 30% de nos coûts".

Un coup dur pour un secteur qui peine à se relever

Pour le Scara, "la mesure est discriminatoire et provoque des distorsions de concurrence entre transporteurs". Selon le syndicat, elle est "exagérément restrictive au regard des problèmes qu’elle est censée résoudre" et "aucune justification adéquate de la mesure n’a été soumise à la Commission et aux autres États membres".

Ce point a d'ailleurs été relevé par le Conseil d'Etat. Dans un avis consultatif il relève "des insuffisances notables de [l’]étude d’impact en ce qui concerne certaines mesures du projet de loi. (…) dans le chapitre relatif au transport aérien, aucune analyse du caractère soutenable des mesures projetée dans le contexte de la crise sanitaire, dont l’impact est pourtant majeur pour ce secteur, n’apparaît".

Air France rappelle ainsi que la liaison Paris-Bordeaux transportait 560.000 voyageurs par an avant la crise sanitaire. La compagnie n'a néanmoins pas réagi à l'annonce de l'enquête de la Commission. Un silence qui s'explique peut-être par le fait que le gouvernement l'avait contraint à renoncer aux liaisons concernées en contrepartie d'une importante aide publique en mai 2020.

"Le train ne répond pas à tous les besoins"

"C'est stupide d'opposer train et avion car ils sont complémentaires", insiste Jean-François Dominiak. "C'est une question de besoins, de contraintes personnelles, par exemple tous n'ont pas l'obligation de se rendre dans les centre-villes. Le temps est aussi quelque chose qui compte. Je rappelle que lorsque le TGV est arrivé à Lyon, le trafic aérien s'est écroulé avant de remonter progressivement car il y a bien un besoin de transport aérien et le train ne répond pas à tous les besoins".

Quelles sont maintenant les prochaines étapes. En parrallèle de l'analyse appronfondie voulue par la Commission, cette dernière va également instruire la plainte commune déposée par le Scara et l'UAF. "L'Etat devra fournir à Bruxelles un document circonstancié" précise le président du syndicat. Si le texte est finalement validé par la Commission, "il faudra que les 27 soient également d'accord et ils ne seront pas forcément convaincus", prédit Jean-François Dominiak.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business