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Sardaigne, Baléares, Tunisie, Irlande… le ferry, une nouvelle tendance pour voyager?

Un ferry de la compagnie maritime Corsica Ferries

Un ferry de la compagnie maritime Corsica Ferries - -

Les compagnies de ferries mettent en avant le voyage plus que la simple traversée avec notamment plus de destinations depuis la France et des bateaux plus confortables. La perception d'un mode de transport plus écolo que l'avion joue également en sa faveur.

Cabines confortables et équipées, restauration soignée, espace de divertissement ou réservé à son animal de compagnie, lounge de luxe, spa et même piscine… voyager aujourd'hui en ferry n'a plus grand-chose à voir avec ce que l'on pouvait connaître il y a quelques décennies.

Si ce type de mode de transport est toujours apprécié pour traverser par exemple la Manche ou la Méditérranée rapidement et à petit prix, les opérateurs multiplient les destinations, modernisent leurs flottes, proposent différentes classes et services, et tentent ainsi d'attirer une nouvelle clientèle, adepte du slow-traveling et qui souhaite une alternative à l’avion pour réduire son empreinte carbone. Le voyage plutôt que la simple traversée en somme.

Depuis la France, il est ainsi possible de rejoindre confortablement la Sardaigne depuis Nice ou Toulon, ou même plus loin les îles Baléares. On peut également aller en Irlande depuis la Bretagne ou la Normandie ou encore au Maroc depuis Sète ou Marseille.

Principales liaisons en ferry depuis la France
Principales liaisons en ferry depuis la France © BFM Business

Le tourisme, un tiers des ventes chez Corsica Ferries

Chez P&O Ferries, aux côtés de l'incontournable Douvres-Calais, la compagnie propose des "mini-croisières" entre Rotterdam aux Pays-Bas et Hull ou York en Angleterre avec deux nuits à bord et des prestations comme des places pour des spectacles à terre.

"On sent cette tendance touristique et on insiste dessus dans notre communication" explique à BFM Business Pierre Mattei, PDG de Corsica Ferries.

"Cela intéresse de plus en plus ceux qui vont vers une destination touristique mal équipée en transports en commun. Ils embarquent avec leurs véhicules, ça leur facilite la vie, le voyage est agréable avec une restauration faite à bord et c'est plus économique que de louer une voiture sur place", ajoute-t-il.

Et de préciser que cette clientèle "tourisme" représente désormais un tiers des ventes de la compagnie avec en top destinations: les Baléares et l'Île d'Elbe depuis la Corse.

Exemple de cabine dans un ferry de Corsica Ferries
Exemple de cabine dans un ferry de Corsica Ferries © Corsica Ferries

En réalité, "la vitesse n'est plus l'argument principal" des ferries souligne Pierre Mattei, "on n'a quasiment plus de navire à l'ancienne, les nouveaux ferries embarquent bien plus de cabines et permettent d'offrir plus de prestations à bord, le slow-traveling fait partie de notre succès". D'ailleurs, les navires les plus rapides ont été progressivement abandonnés.

La vitesse n'est plus un argument, le prix si

Pour autant, le dirigeant estime que l'argument principal des ferries reste (et restera encore un bon moment) le prix. Un constat partagé par Jean-Marc Roué, PDG de Brittany Ferries (qui propose moins de destinations "exotiques").

"On va continuer à pousser le voyage touristique, à mettre en avant l'empreinte carbone, car la clientèle y est de plus en plus sensible et les mentalités évoluent" nous explique-t-il.

"Reste qu'aujourd'hui, pour nous, la part d'Européens qui va vers le Nord dans une logique de tourisme est assez faible. Le prix reste le principal motif de décision, l'argument de choix. Peu nous choisissent pour voyager", ajoute Jean-Marc Roué.

D'autant plus que la France se distingue par des prix très bas pour le voyage en ferry. Selon une étude de Vivanoda, La France se classe 12ème pays le moins cher d'Europe pour voyager avec ce mode de transport. L'indice moyen des prix (pour parcourir 100 kilomètres) est de 47 euros contre 105 euros par exemple depuis le Royaume-Uni.

Selon cette étude, les traversées vers le Maroc sont de loin les moins chères. À l’inverse, les liaisons vers l'Italie, notamment la traversée de Bonifacio vers la Sardaigne, et celles vers le Royaume-Uni sont celles qui présentent des indices de prix les plus élevés.

Une empreinte carbone délicate à calculer

Autre facteur qui rend le ferry séduisant: son empreinte carbone, sur le papier moins importante que l'avion étant donné le nombre de passagers transportés.

Selon l’Agence européenne de l’environnement, les ferrys émettent près de trois fois moins de CO2 que l’avion: environ 60 grammes de CO2 par kilomètre et par passager, contre 160 grammes en avion. Néanmoins, selon Greenpeace, les ferries rejettent notamment des particules ultrafines, dangereuses pour la santé humaine, aussi bien à bord qu’à proximité des ports.

Joint par BFM Business, Marc Cottignies, ingénieur au service Transports et Mobilité de l’Ademe (l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), conteste les chiffres de l'Agence européenne de l'environnement. Mettant en avant le nombre important de variables dans l'équation -type de navire, nombre de personnes transportées, de marchandises et d'automobiles embarquées, distance parcourue-, il estime qu'"en ordre de grandeur, le ferry équivaut à l'avion" en matière d'émission carbone.

"Quand on regarde les chiffres publiés par l'Union européenne, on observe des émissions de CO2 en hausse d'année en année pour les grandes compagnies de ferry", souligne le spécialiste.

Marc Cottignies rappelle que les navires sont de plus en plus grands et "qu'il n'y a pas tant de passagers que ça par rapport à la surface du bateau. Par ailleurs, ils ne sont pas remplis tout le temps, il y a une importante saisonnalité".

Plus le navire est orienté tourisme, plus il est émetteur

Surtout, plus le navire est orienté tourisme, avec cabines et équipements, plus il est émetteur, souligne le calculateur indépendant de référence Bonpote.com.

"Si vous bénéficiez du restaurant, du bar, de la piscine etc, cela peut aller jusqu’à doubler votre empreinte carbone" peut-on lire. "Prendre une cabine seule plutôt qu’un siège peut doubler voire tripler votre empreinte carbone."

Les comparaisons sont donc très délicates. Selon ce calculateur, un aller-retour pour un passager entre Cherbourg et Dublin émet 422 kilos de CO2. En avion, avec le calculateur de la DGAC, pour un trajet Paris-Dublin-Paris, le total est de 214 kilos.

De quoi battre en brèche les velléités écolos des utilisateurs touristiques de ferries? Là encore, tout dépend beaucoup de ces variables.

"Pour une distance courte, une fois par an, ce n'est pas un drame niveau climat mais quand on parle de distances plus longues effectuées plusieurs fois dans l'année, comme aller en Irlande depuis la France, c'est différent", tempère Marc Cottignies.

Des navires plus propres encore peu nombreux

Il y a aussi la question du trajet pour se rendre au ferry. C'est d'ailleurs pour cela que le gouvernement va expérimenter cet été un billet combiné train+ferry pour rejoindre l'Irlande.

Cependant, il ne faut pas oublier les efforts menés par des compagnies maritimes qui cherchent à décarboner leurs flottes avec de nouveaux navires, l'utilisation du GNL (un peu plus propre que le fioul marin) ou de l'électricité à quai, voire en tant que mode de propulsion, afin de respecter les nouvelles normes imposées. Reste que ces navires sont encore peu nombreux dans les flottes (2 sur 10 par exemple chez Brittany Ferries).

Le Salamanca de Brittany Ferries est propulsé au GNL
Le Salamanca de Brittany Ferries est propulsé au GNL © Brittany Ferries
Et comme le reconnaît Pierre Mattei de Corsica Ferries, "rien n'est immédiat, nous sommes tributaires des innovations et tout cela prendra du temps pour tous les acteurs". Du coup, "on n'adapte pas notre communication sur l'avion bashing" ajoute-t-il.

Et Jean-Marc Roué, PDG de Brittany Ferries, de conclure: "Est-ce que cela se traduira en chiffres de fréquentation? On ne sait pas."

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business