Hyperloop à Toulouse, récit d'un fiasco qui touche à sa fin

Le PDG de DP World Group, Sultan Ahmed Ben Sulayem, va obtenir un siège au conseil d'administration de Hyperloop One. - Hyperloop
Des services municipaux qui repeignent en blanc le logo d'Hyperloop TT affiché en grand sur un château d'eau sur le site de Toulouse-Francazal. La scène, relatée par France 3 Occitanie, est le dernier épisode symptomatique du fiasco de ce qui devait être le mode de transport du futur.
Hyperloop c'est ce "train" du futur "roulant" jusqu'à 1200 km/h imaginé par Elon Musk et utilisant des "capsules" ou "pods" évoluant en lévitation grâce à la sustentation magnétique dans des tubes à basse pression juchés sur des pylônes.

Le fantasque milliardaire ne s'est jamais engagé directement dans ce qui a été longtemps présenté comme le futur du transport à grande vitesse, se contentant d'encourager des start-ups à concrétiser et exploiter ce concept.
C'est le cas de l'américain Hyperloop TT (Transportation Technologies) qui a multiplié les projets, dont celui de venir installer un grand centre de recherche et d'essai à Toulouse. Un accord dans ce sens a été signé en 2017 afin d'établir ce centre sur l'ancienne base militaire de Toulouse-Francazal, à grand renfort de subventions publiques.
Abandon rapide du projet
Avec de grandes ambitions: assembler des tubes d'un diamètre intérieur de 4 mètres, et de 40 mètres de long (pour 65 tonnes) afin de mener des tests sur 320 mètres avant de pousser l'expérience sur un kilomètre avec une capsule évoluant dans un tube posé sur des pylônes d'une hauteur de 5,8 mètres. En 2018, plusieurs de ces tubes arrivent bien sur le site.
Las, les difficultés s'accumulent. D'abord, le concept lui-même peine à convaincre. Très vite, Hyperloop TT décide ainsi d'abandonner l'idée d'une piste d’un kilomètre.
"Hyperloop? Il n’y a plus grand monde… C’est presque tombé aux oubliettes cette affaire" se désolait en 2020 Albert Sanchez, maire (divers gauche) de Cugnaux, commune où est installé le centre d'essai.
"Le tuyau est toujours sur le site, mais il n’y a plus personne d’Hyperloop dans toutes les réunions qu’on organise" expliquait-il à ActuToulouse.
Fin 2021, face à une situation figée, le conseil de la Métropole Toulousaine résilie le bail de la start-up.
Une facture de 5,5 millions pour la métropole
Sauf que l'entreprise n'a pas quitté les lieux proprement, ses gigantesques tubes sont encore présents. Elle est aujourd'hui sommée par la Métropole de quitter le site avant septembre prochain, indique France 3 Occitanie. Le fait d'effacer son logo participe à cette volonté de tourner la page pour les pouvoirs publics.
Les élus sont quelque peu irrités. Si Hyperloop TT ne laisse pas de dettes, l'entreprise américaine a reçu des aides publiques et a bénéficié d'un rabais sur son loyer pour s'installer. Elle n'a pas non plus payé pour la dépollution du site et la rénovation promise de certains bâtiments. Résultat, une facture de 5,5 millions d'euros pour la métropole.
Une fausse bonne idée
Ce départ est l'ultime épisode d'une fausse bonne idée proférée par Elon Musk. Sur le papier, Hyperloop a de quoi séduire avec sa vitesse phénoménale. En pratique, elle est inapplicable.
D'abord pour une question de coûts pharaoniques puisque Hyperloop exige la création d'une infrastructure dédiée. Sur de longues distances, ce n'est tout simplement pas viable économiquement. Ainsi, une liaison de ce type envisagée entre Calgary et Edmonton, au Canada, est évaluée à… 18 milliards de dollars pour 300 kilomètres (hypothétiquement bouclés en 45 minutes).
On rappellera d'ailleurs qu'avant Elon Musk, un autre inventeur avait eu une idée similaire: le français Jean Bertin avait imaginé à la fin des années 1970 l'Aérotrain, une rame à grande vitesse propulsée par une turbine évoluant sur un coussin d'air sur un rail unique lui même posé sur un viaduc.

Le projet bénéficie un moment du soutien des pouvoirs publics, une voie de test est même construite près d'Orléans. Des prototypes sont éprouvés jusqu'en 1974 puis le projet est abandonné au moment où la SNCF présente son projet de TGV. Qui finira par s'imposer auprès de l'État. L'Aérotrain est jugé trop cher et trop complexe à déployer.

Retour en 2023. Hyperloop est également pénalisé par une expérience utilisateur jugée délicate: voyager à haute vitesse dans le noir à basse pression peut se révéler physiquement difficile. L'impact d'une vitesse subsonique sur les corps est également pointé du doigt. Sans parler des questions de sécurité, de régulation, d'environnement...
Autant de facteurs qui viennent plomber les différents projets qui ont vu le jour dans le monde ces dernières années. Outre Hyperloop TT qui a annoncé beaucoup de projets sans qu'aucun ne se concrétise, Virgin Hyperloop a décidé l'an dernier d'abandonner l'idée de transporter des passagers pour se concentrer sur le fret. Et a licencié au passage la moitié de ses effectifs. D'autres projets sont également au point mort dans le monde.
Utiliser la sustentation magnétique sur le réseau existant
Désormais, les pouvoirs publics de nombreux pays refusent de financer une partie de ces projets. Interrogé par l'AFP, Sébastien Gendron qui dirige TransPod (la société canadienne qui veut relier Calgary à Edmonton) résume la situation:
"La réaction des autorités a été: 'on ne mettra pas d'argent public, mais si vous êtes capable de financer le projet en trouvant des capitaux privés, on vous accompagnera'".
Aujourd'hui, le futur de la grande vitesse par train se situe plutôt dans un entre-deux. Il s'agit de pouvoir utiliser la sustentation magnétique sur le réseau existant en adaptant les voies et les rames. Oubliés la basse pression et les tubes. La facture est donc bien moins élevée même si la vitesse commerciale des rames est moindre: 400 à 600 km/h.
La Chine et le Japon travaillent activement sur la question. En France, la SNCF a signé en mars dernier un accord de coopération avec le polonais Nevomo. Il s'agira d'évaluer la pertinence et les bénéfices de la technologie Maglev sur le réseau de l'entreprise publique à la fois pour le transport de passagers et pour le fret.
"Nous sommes heureux de signer ce protocole d'accord, qui couvrira trois domaines: augmenter les performances des trains de marchandises actuels pour des limites de chargement plus élevées et plus de capacité sur nos lignes de fret, augmenter la capacité sur les lignes de passagers urbaines congestionnées et évaluer MagRail comme une propulsion alternative pour les lignes rurales en combinaison avec des véhicules légers", explique dans un communiqué, Luc Laroche, directeur de l'innovation à la SNCF.
Des tests grandeur nature sur des petites lignes dénuées de caténaires seraient également au programme. Et la SNCF de promettre une vitesse d'exploitation de 550 km/h, le tout de manière autonome (sans conducteur dédié).
La sustantation magnétique: comment ça marche?
Cette innovation technologique vise à faire disparaître les roues des rames et donc les frottements sur les rails (source de perte d'énergie) en les remplaçant par l'utilisation des forces magnétiques.
Elle repose sur la supraconductivité avec l'utilisation sur les trains d'aimants supraconducteurs et d'électroaimants sur les voies. Un courant est induit dans la voie et la force qui en résulte fait léviter le train de 100 millimètres. En l'absence de frottement, les vitesses théoriques sont supérieures à 400/500 km/h.