"Ça ne va pas dans le sens des passagers": un décret complique les actions en justice des clients lésés contre les compagnies aériennes

Si la législation européenne protège le passager aérien en cas de retard de plus de 3 heures ou d'annulation de vol avec un dédommagement allant de 250 à 600 euros en fonction des distances, les compagnies aériennes font tout pour ne pas se plier à leurs obligations. Selon les chiffres d'AirHelp, un site spécialisé dans le dédommagement des passagers, elles tentent par tous les moyens de décourager leurs clients: 52% des demandes éligibles ont été ainsi rejetées dans un premier temps sans raison valable.
Face à cette stratégie d'usure, beaucoup renoncent. D'autres saisissent la justice au civil en assignant la compagnie qui refuse un dédommagement, parfois avec l'aide d'entreprises spécialisées. Les dossiers sont d'ailleurs très nombreux car les compagnies attendent d'être assignées pour être contrainte de verser les indemnisations liées à une retard ou une annulation de vol, nous explique Anaïs Escudié, fondatrice de RetardVol, un service en ligne d'accompagnement, au point d'engorger significativement certains tribunaux.
Car il faut savoir que très peu de tribunaux prennent en charge ces recours: il y a Aulnay-sous-Bois et Ivry qui couvrent en fait les zones géographiques des aéroports de Roissy et d'Orly. Les délais d'attente pour le consommateur peuvent ainsi parfois atteindre cinq ans car les deux tribunaux sont noyés sous ces procédures. Pour désengorger ces tribunaux, le gouvernement a publié le 5 août dernier un décret qui change les règles du jeu (il sera applicable début février) mais qui selon la spécialiste complexifie les actions des consommateurs... au profit des compagnies.
"Ca ne va pas dans le sens des passagers"
Que dit ce décret? Avant toute action judiciaire, une tentative de médiation préalable avec un médiateur de la consommation (généralement le Médiateur du Tourisme et du Voyage) est désormais obligatoire. Par ailleurs, les demandes en justice doivent désormais obligatoirement être introduites par voie d’assignation au moins six mois après la réponse du médiateur. La requête en injonction de payer ou la déclaration au greffe, généralement utilisées par les avocats, ne sont donc plus recevables pour ce type de contentieux.
"Le changement majeur, c'est l'obligation d'assigner en justice en lieu et place du dépôt gratuit de requêtes. Les passagers devront solliciter le recours payant d'un huissier de justice pour délivrer l'acte d'assignation. Par conséquent, l'accès à la justice est limité car le décret réduit la possibilité de saisir ces tribunaux sans frais", explique Anaïs Escudié.
Enfin, seuls les passagers d'un même vol appartenant à la même famille, conjoints, partenaires de PACS ou concubins peuvent être regroupés dans une même assignation. L'objectif est de limiter les assignations de masse, en obligeant à une individualisation plus rigoureuse des dossiers. Pour résumer, selon l'experte, ce décret rend l'action des consommateurs "plus complexe et plus chère".
"Ce n'est pas possible pour le consommateur de payer 200 euros de frais d'assignation pour un montant du litige à 250 euros".
"C’est la porte ouverte pour que les compagnies continuent de ne pas indemniser les passagers, malgré les dispositions du règlement européen. Il est regrettable de constater qu’au lieu de renforcer l’effectivité des droits, on instaure un parcours du combattant… qui profite avant tout aux compagnies aériennes. Ce décret fragilise les droits effectifs des voyageurs et constitue une entrave supplémentaire à l’application pleine et entière du règlement.", souligne Anaïs Escudié.
La protection du passager aérien est décidément secouée. Rappelons en effet que les 27 pays de l'Union européenne se sont mis d'accord en juin pour modifier le barème des indemnités, un barème qui n'est franchement pas à l'avantage des consommateurs, même s'il n'est pas encore acté puisqu'il doit maintenant être discuté au Parlement européen.