TOUT COMPRENDRE. Pression de Trump ou décision de long terme? Pourquoi Sanofi investit 20 milliards de dollars aux États-Unis

L'annonce est vue d'un mauvais œil au ministère de l'Économie. L'entreprise française de médicaments Sanofi a annoncé des investissements à hauteur de 20 milliards de dollars aux États-Unis. Une décision qualifiée de "mauvais signal" par le ministre de l'Économie Éric Lombard sur BFM Business.
Cette annonce intervient en pleine offensive douanière de la part de Donald Trump, qui a mis en place de droits de douane mirobolants, avant de faire (partiellement) marche arrière. L'objectif affiché par le président américain est de faire revenir les industries aux États-Unis. Il menace également de droits de douane spécifiques sur les médicaments.
Mais la concomitance des annonces de Sanofi et de la politique protectionniste américaine suffit-elle à affirmer que le géant pharmaceutique a cédé à la pression du locataire de la Maison Blanche?
• Qu'a annoncé Sanofi?
La multinationale française a annoncé des investissements de 20 milliards de dollars sur cinq ans sur la période 2025-2030. Ce projet contient deux volets avec "une augmentation significative des dépenses de recherche et développement" mais aussi "l'affectation de milliards de dollars à la production américaine".
"Les 13.000 employés de Sanofi basés aux États-Unis sont à l'avant-garde de la recherche et du développement de médicaments qui sont les premiers ou les meilleurs de leur catégorie dans de nombreux domaines thérapeutiques", a déclaré le directeur général Paul Hudson.
Outre les dépenses en R&D, Sanofi prévoit donc de produire plus aux États-Unis. L'entreprise insiste fortement, dans son communiqué, sur la création d'"un nombre important d'emplois bien rémunérés dans plusieurs États au cours des prochaines années", alors que Sanofi y emploie déjà plus de 13.000 employés.
• L'entreprise pharmaceutique est-elle déjà présente aux États-Unis?
Cette annonce est à mettre en regard avec les ventes réalisées par Sanofi aux États-Unis. En 2024, le géant pharmaceutique a en effet réalisé près de la moitié (49%) de son chiffre d'affaires outre-atlantique, contre 4% en France et moins de 18% en Europe. Historiquement, les entreprises pharmaceutiques réalisent des marges importantes aux États-Unis du fait du prix des médicaments plus élevés.
Compte tenu de cette présence commerciale aux États-Unis, Sanofi y produit peu en proportion. Seuls 25% des médicaments vendus aux Américains sont fabriqués aux États-Unis, selon Challenges. Les investissements de Sanofi ne constituent donc qu'un rapprochement de la chaîne de production avec son marché de prédilection.
• Que lui reprochent les critiques?
Le ministre de l'Économie "aurait préféré que Sanofi prenne une autre décision". "L'ampleur des investissements aux États-Unis, c'est sûr que c'est un mauvais signal à un moment où nous considérons que (...) l'Europe et la France, c'est l'endroit où il faut investir", a-t-il déclaré. De son côté, Sanofi tenu à préciser que cette annonce ne remettait pas en cause les investissements prévus en France d'ici 2030.
La CGT, par la voix de Sophie Binet, a également reproché au groupe de licencier chaque année et de délaisser la recherche en France. Les effectifs des salariés travaillant dans la recherche en France ont en effet fondu de moitié en 10 ans (6.500 en 2014 contre 3.000 en 2024).
Côté timing, cette annonce intervient alors que Donald Trump menace le monde entier de droits de douane et cible en particulier l'industrie pharmaceutique en la menaçant de tarifs spécifique sur les médicaments.
La France et l'Europe tentent de résister aux menaces douanières et le gouvernement a appelé les dirigeants des grandes entreprises au "patriotisme économique". Les annonces de Sanofi ont par ailleurs été faites à quelques jours du sommet Choose France, lors duquel les entreprises annoncent des investissements sur le territoire tricolore.
• Combien de temps faut-il pour déclencher de tels d'investissements?
Ce genre d'investissements fait généralement partie d'une stratégie globale décidée sur le long terme.
"Donald Trump est maintenant en place depuis 100 jours. On ne met pas 100 jours pour mettre en place une décision d'investissement, surtout des investissements de cette nature", affirme ainsi l'ex-commissaire européen Thierry Breton.
"Pour une entreprise –j'ai été chef d'entreprise– c'est six mois, un an, deux ans" pour prendre une telle décision, a précisé Thierry Breton, pour qui il est "trop tôt" pour parler d'une victoire de Donald Trump.
Ces investissements sont "l'héritage de Biden, il faut appeler un chat un chat", a-t-il poursuivi, évoquant le rôle du programme phare du mandat de Joe Biden, "l'Inflation Reduction Act" (IRA) avec ses 370 milliards de dollars de subventions et d'incitations fiscales.
• Sanofi est-elle la seule "big pharma" à annoncer des investissements aux États-Unis?
D'autres entreprises pharmaceutiques ont d'ors et déjà annoncé des investissements aux États-Unis. On peut notamment citer les américains Eli Lilly (27 milliards) Johnson & Johnson (55 milliards) ou les suisses Novartis (23 milliards) et Roche (50 milliards).
À ceci près que Roche a récemment nuancé ses déclarations. En cause, un plan de Donald qui prévoit de réduire drastiquement les prix des médicaments sur ordonnance.
"Si le décret proposé devait entrer en vigueur, la capacité de Roche à financer les investissements significatifs annoncés précédemment aux États-Unis pourrait être remise en question", a déclaré le groupe suisse.
Dans son communiqué, Sanofi s'est également montrée prudente face à la volatilité des annonces douanières de Donald Trump, et se réserve la possibilité de changer ses plans. "Les décisions d'investissement de Sanofi seront ajustées en fonction de l'évolution de l'environnement extérieur", précise ainsi l'entreprise.
Contacté sur les motivations qui sous-tendent ses investissements, Sanofi ne nous a pas répondu à ce jour.