Nvidia vaut 140 fois plus qu'Arcelormittal en Bourse et pourtant l'IA n'a jamais eu autant besoin des industries lourdes

Un datacenter (photo d'illustration) - Jonathan Nackstrand - AFP
Difficile de faire plus immatériel qu'une question dans un prompt envoyé à ChatGPT ou Le Chat. Pourtant, bien plus que l’internet du début des années 2000, l’intelligence artificielle repose sur une infrastructure physique lourde et donc sur des ressources matérielles concrètes. Ce changement de paradigme entraîne donc une dépendance croissante de la tech aux matières premières.
"L’IA va nécessiter d’activer toutes les déclinaisons des industries lourdes complètement essentielles à son existence: l’extraction de métaux, beaucoup de consommation d’énergie, de la chimie…", liste sur BFM Business Éric Blain, président de la startup Chloé in the Sky et spécialiste dans l’investissement bas-carbone.
Les géants de la tech investissent dans l'énergie
Chaque requête nécessite une dépense énergétique tandis que chaque puce électronique intégrée aux systèmes d’IA requiert des métaux rares. Les datacenters, quant à eux, consomment d’importantes quantités d’eau pour leur refroidissement. Ces besoins confèrent à l’IA une dépendance directe aux industries lourdes.
Google, Microsoft et Amazon l’ont d’ailleurs bien compris: les géants de la tech monopolisent désormais les contrats d’énergie renouvelable aux États-Unis, détournant ces capacités de leur mission première de décarbonation des usages actuels. Pour les investisseurs, cela signifie de nouvelles tensions sur les matières premières et une possible flambée des coûts de l’énergie, particulièrement si la demande d'IA continue d’exploser.
Selon l’Agence internationale de l'énergie (AIE), d’ici 2030, l’IA va représenter quasiment 3% de la production d’électricité mondiale, soit plus que doubler pour atteindre 945 TWh.
Un impact significatif sur la consommation d’énergie et de ressources
La demande en métaux suit cette même tendance: "Il y a aussi une compétition liée aux métaux (…) auparavant on avait besoin d’une dizaine de métaux, maintenant c’est une soixantaine de métaux avec une extraction en quantité, en gigatonnes qui a été multipliée par quasiment 23 en l’espace d’une centaine d’années", développe Éric Blain.
Ainsi, en 1800, sept métaux industriels (fer, cuivre, zinc, étain, plomb, manganèse et cobalt) suffisaient pour l’essentiel de la production. Aujourd’hui, plus de 60 éléments métalliques sont exploités à l’échelle mondiale. Pour certains matériaux stratégiques, la demande pourrait être multipliée respectivement par quatre pour le cuivre, par 20 pour le cobalt et par 40 pour le lithium d’ici 2040, d’après l’AIE.
"Pour construire l’IA, il y a des piliers: les industries lourdes qu’il ne faut pas oublier", rappelle Éric Blain.
Et, selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), cinq ressources sont désormais considérées comme critiques pour le secteur numérique: indium, gallium, tantale, néodyme et germanium. Ces cinq matières premières ressortent comme critiques pour le numérique puisqu’elles se situent à la croisée de deux facteurs: l’offre et la demande. Ces métaux sont à la fois essentiels aux performances actuelles des équipements numériques (ordinateurs, téléphones, serveurs, réseaux…) et exposés à des vulnérabilités d’approvisionnement. Leur rareté et l’absence d’alternatives à faible coût accentuent cette fragilité.
Une déconnexion entre la tech et ses soutiens industriels
Malgré l’explosion des valorisations boursières des entreprises spécialisées en IA, les industries minières et métallurgiques fournissant les ressources nécessaires à leur fonctionnement restent largement sous-valorisées.
"Nvidia a une valorisation boursière 140 fois supérieure à celle d’Arcelormittal", souligne Éric Blain.
Arcelormittal, leader mondial de la sidérurgie, dispose pourtant d’un chiffre d’affaires pour 2024 similaire à celui de Nvidia (plus de 60 milliards de dollars). Cette déconnexion entre innovation technologique et industries de base soulève des interrogations sur la perception du risque et la durabilité des modèles économiques actuels.
La dépendance matérielle de l’IA prend aussi une dimension géopolitique. Les tensions sur les chaînes d’approvisionnement, les risques de pénuries et la concentration de l’extraction de certains métaux dans une minorité de pays rendent les technologies IA vulnérables. Pour Éric Blain, une trajectoire logique se dessine. "Une entreprise qui va avoir la capacité de s’adapter aux contraintes et d’arriver à produire des choses en essayant de réduire sa pression sur les ressources naturelles ce seront très certainement les entreprises les plus fortes demain, les plus résilientes et antis fragiles face à une réalité physique."
"Il va falloir composer avec un monde qui aura des tensions sur les ressources naturelles."
C'était notamment l'une des raisons d'être du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, à Paris, les 10 et 11 février 2025. Ce sommet a permis la formation d’une coalition internationale regroupant 13 pays et six organisations pour investir et soutenir une trajectoire de l’IA plus résiliente.