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Méga-fusion dans le spatial: le poker menteur entre Airbus, Leonardo et Thales

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Les conseils d'administrations d'Airbus, de Thales et de l'italien Leonardo se sont réunis en fin de semaine pour entériner le projet de fusion des activités spatiales dans le domaine des satellites. Mais les grands actionnaires de Thales et Leonardo ont demandé plus de temps.

Comme toujours, les derniers mètres sont les plus difficiles à boucler pour une opération d’envergure comme celle de "Bromo". Ce projet ambitieux entre Airbus, Thales et l’italien Leonardo consiste à rapprocher les actifs spatiaux des trois géants européens dans le domaine des satellites pour en faire un acteur à la taille critique au niveau mondial. La semaine dernière, l’opération a d’abord subi une forte accélération, puis un coup de frein.

Selon des sources concordantes, les trois conseils d’administration des trois groupes se sont réunis en fin de semaine avec la volonté d’entériner ce projet et dans la foulée signer à trois un protocole d’accord (Memorandum of Understanding- MoU) pour s’engager à aller jusqu’au bout. Las… Les conseils de Leonardo et Thales ont demandé un peu plus de temps pour s’engager formellement dans cette opération alors que les discussions ne sont jusqu’ici pas engageantes. Celui d’Airbus, lui, était prêt à "toper".

L’État italien et Dassault veulent plus de place face à Airbus

Qu’est-ce qui se cache derrière ces énièmes négociations? Les bagarres se concentrent principalement sur la participation qu'auront chacun des acteurs dans la nouvelle entité qui sera créée à partir de cinq sociétés: Thales Alenia Space, Telespazio, Airbus Space Systems, Airbus Intelligence et les activités spatiales de Leonardo. Initialement, les trois groupes avaient entériné un accord fragile. Airbus et Thales obtenaient 35% chacun de la nouvelle société tandis que Leonardo se contentait de 30%. Puis, dans la dernière mouture, Airbus devait obtenir 35%, Thales 32,5% et Leonardo 32,5%. Pas suffisant, ont tranché les conseils de Thales et Leonardo.

Les PDG d’Airbus, de Thales et de Leonardo (Guillaume Faury, Patrice Caine et Roberto Cingolani) "restent tous alignés sur le principe de cette opération, ce qui est le plus important", assurent plusieurs sources proches du dossier. Les conseils de Thales et de Leonardo ont pudiquement demandé plus de précisions pour entériner l’opération "Bromo".

En Italie, le gouvernement a freiné et pousse Leonardo à demander une parité entre les différents acteurs (soit 33,3%). Rome souhaite à tout prix éviter une opération de type MBDA, le missilier où il ne détient que 25% (contre 37,5% Airbus et BAE Systems chacun). Des discussions qui se résument au célèbre adage que l’on prête à Albert Frère : "petit minoritaire, petit c.., gros minoritaire, gros c..". Côté français, Thales et son actionnaire industriel Dassault Aviation (26,6 %) poussent pour obtenir davantage. Le groupe Dassault défend ses intérêts… et par ricochet ceux de l’Etat français, coactionnaire de Thales (26,6%). L’Elysée défend aussi le projet.

Airbus prêt à faire un effort

A la sortie de ces trois conseils d’administration, les trois groupes de défense étaient toujours prêts à faire des efforts pour trouver un accord. Initialement, ils avaient prévu de signer avant les vacances de la Toussaint un protocole d’accord, ce fameux "MoU", avant que le calendrier ne s’accélère trop vite en début de semaine... Le sera-t-il? Pour dénouer l’opération, Airbus, qui détient beaucoup plus d’actifs dans le spatial par rapport aux deux, pourrait descendre à 34%, Thales et Leonardo à 33% chacun. Alors que le groupe européen avait demandé au départ 50% - ce qui avait fait capoter un des premiers projets -, il montre une vraie volonté d’aboutir dans un projet qu’il défend. Mais il souhaite symboliquement obtenir la place de premier actionnaire.

"La part au capital est un élément symbolique, promet une source, l’important est d’avoir une gouvernance efficace".

Airbus, notamment, ne souhaite pas que les États français et italien imposent des contraintes de nationalité dans la gouvernance du futur groupe. Pour autant, dans un secteur de souveraineté aussi fort (spatial de défense, notamment), les intérêts des États seront protégés par des entités nationales "Bromo" en France, en Italie, en Allemagne, en Grande-Bretagne et vraisemblablement en Espagne. Pour limiter le nombre de personnes du futur comité exécutif, chacun des patrons des entités nationales aura d’ailleurs un rôle dans le groupe de tête "Bromo" au niveau supranational dans les fonctions transverses (finances, stratégie…) ou dans les lignes de métiers (télécom, observation…).

Rivaliser avec Space X et Starlink

A ce jour, le calendrier semble rester inchangé. Les trois groupes espèrent déposer un projet en bonne et due forme d’ici à la fin de l’année à la Commission européenne. Ils visent une finalisation au premier trimestre 2027 si Bruxelles ne demande pas l’impossible pour agréer cette opération. Car l’objectif est de créer un véritable champion européen capable de lutter contre les groupes américains, notamment la combinaison de SpaceX/Starlink (Elon Musk), et chinois et non pas de renforcer des rivaux en Europe (l’allemand OHB System ou l’espagnol Indra par exemple).

D’ici là, les trois groupes continueront à se bagarrer sur les valorisations de leurs actifs actuels et à venir. Un nouveau poker menteur à venir… Leonardo, notamment, pousse les feux pour engranger un maximum de contrats en solo afin de grossir son carnet de commandes. L’objectif est d’arriver le plus fort possible lorsque "Bromo" sera créé, début 2027.

Matthieu Pechberty et Michel Cabirol