Les grands gagnants des droits de douane ce sont eux: avocats et experts de l'import-export sont pris d'assaut

Après des mois de turbulences et d’atermoiements, les entreprises de l’Union européenne savent enfin à quelle sauce elles vont être mangées. Ce sera 15% pour tout le monde, sauf exceptions catégorielles négociées pied à pied.
Si les entreprises de nombreux secteurs en France s'inquiètent de cette flambée des taxes, une profession en profite: celle des conseillers en import-export, des spécialistes de la supply chain et des avocats fiscalistes.
Logiquement, les experts sont de plus en plus sollicités. Et ce depuis des mois.
"On fait appel à nous régulièrement depuis avril. Les entreprises sont inquiètes", reconnaît Marie Fernet, avocate experte en droit des affaires et droit douanier.
Quelle stratégie prévalait jusqu’ici?
"Depuis quelques mois, c’était l’attentisme forcé devant des règles qui évoluent en permanence. On attendait le 1er août. Sauf pour les entreprises qui opéraient dans l’acier et l’aluminium qui voyaient déjà une taxe à 25 puis 50% s'appliquer", poursuit l'avocate.
Même son de cloche au cabinet en droit des affaires Fidal, où Najat Akodad, avocate associée fiscaliste fait état d’entreprises clientes qui ont figé les décisions en interne en attendant le résultat des négociations entre Bruxelles et Washington.
Ce qui ne les a pas empêchées de lancer en parallèle les négociations avec partenaires, fournisseurs et clients pour essayer de limiter les hausses de prix finales. La hausse temporaire des droits de douane à 10% a été partiellement absorbée en rognant sur les marges ou en négociant avec les tiers, assure l'experte.
15% ou la fin de l’attentisme
Mais à 15%, l’inertie n’est plus tenable.
Depuis l’annonce de droits de douane quasi définitifs avec un taux unique à 15%, les entreprises vont devoir s’adapter, car 15% c’est trop. On n'a pas des sociétés qui font 15% de marge", s’inquiète Najat Akodad.
Pour Marcie Reyno-Dalle, patronne de Fiscalead, cabinet spécialisé qui fournit une assitance opérationnelle en fiscalité indirecte, l'impact se voit surout sur les types de déclaration - tant dans les approvisionnements que dans les exportations.
"Les flux et les valeurs subissent déjà un contrecoup, confirme la jeune femme. Les supply chain ne changent pas encore. Tout au plus certaines entreprises ont essayé d'anticiper en acheminant davantage de stock avant l'entrée en vigueur des nouveaux droits. Elles se posent aussi la question de leurs approvisionnements, par exemple énergétiques".
Parmi les entreprises fébriles, on retrouve une grande partie du tissu exportateur français. PME, ETI, grandes entreprises dans des secteurs aussi divers que l'exportation de vin, les industries de fabrication, les pièces détachées automobiles, les grossistes en ameublement, la robotique…Tous les secteurs ou presque sont concernés. Même si toutes les entreprises n’ont pas une capacité de réaction ni une force de frappe identique.
"Certains entreprises se résignent à ces nouvelles règles. Clairement entre l'instabilité économique et la certitude d'une hausse un peu douloureuse, un choix a été fait. La demande du marché américain pour leurs produits risque certainement de diminuer", analyse Marcie Reyno-Dalle. Mais la plupart des clients des différentes firmes - fiscales, comptables ou spécialisées en supply chain - cherchent à savoir s'il n'y a pas des manières de contourner les sanctions douanières ou du moins d'alléger la facture.
Pour ce qui est de contourner les règles du jeu, la partie s’annonce serrée.
"On ne va pas faire de miracle, prévient Marie Fernet. On entre dans un nouvel ordre du commerce mondial. Le libre-échange tel qu’on la connu c’est fini".
Alors comment s’en tirer au mieux? "Pour ce qui est des tarifs douaniers, il y a trois paramètres à prendre en compte. La valeur du bien sur laquelle est assise la taxe, l’origine, c’est-à-dire le lieu de fabrication du bien importé et enfin la position tarifaire c’est-à-dire la catégorie à laquelle le produit appartient", relatent les analystes.
Jouer avec les paramètres
Dans ce contexte, la maîtrise des fondamentaux douaniers est plus que jamais nécessaire selon Marie Fernet. "Il faut d’abord vérifier qu’on a bien classé les produits. Par exemple des tables en acier et en aluminium vont être taxés à des droits additionnels de 50% sur l’acier et l’aluminium alors que des sièges de la même matière ne vont écoper d’aucun droit additionnel... Donc parfois on peut avoir des surprises".
"À partir du moment où il n’y a plus la latitude de jouer sur le taux, il est possible de jouer sur la catégorie à laquelle le produit appartient, abonde Najat Akodad. Par exemple, choisir d’exporter de la matière première plutôt qu’un produit fini, de façon à ce que le produit soit finalement transformé sur le sol américain".
Une façon de relocaliser une partie de la production sur le continent américain – et dans une certaine mesure de donner raison à la stratégie de réindustrialisation réclamée par Donald Trump.
Autre option, jouer avec la valeur, la diminuer notamment avec le mécanisme américain de "first sale", qui n’a plus cours dans l’Union européenne. Cette méthode de valorisation permet d’importer un bien sur la base du prix de la transaction initiale lors d’une chaîne de vente à plusieurs intérmédiaires plutôt que sur la valeur totale payée par l’importateur au vendeur final.
Modifier la fabrication et le schéma de distribution
Pour l’avocate au barreau de Marseille, l’autre option est de jouer sur l’origine douanière.
"Par exemple pour une matière première obtenue en Union européenne, choisir ensuite de la travailler au Royaume-Uni qui bénéficie lui d’un tarif fixé à 10%".
Des choix qui ne sont pas que des ajustements et qui imposent aux entreprises de revoir leur stratégie de fabrication et leur schéma de distribution. Et qui ne sont pas accessibles à certains secteurs, notamment l'agro-industries. Les producteurs de vin et d’alcool ne peuvent ni jouer sur la transformation de la matière première ni sur l’origine du produit.
Pour certaines industries ou catégories de produits, comme par exemple les semi-conducteurs ou la pharmacie, il reste un peu d'espoir. Car les décisions ne sont pas encore figées. Les entreprises s’attendent en tout cas à un chemin semé d’embûches, entre révision de leur schéma de distribution, gestion de leur empreinte industrielle, négociations serrées avec leurs intermédiaires. Des choses qui ne sont feront pas du jour au lendemain. "Dans cette période trouble, il faut accélérer la prise de décisions en entreprise, donner davantage de voix aux fonctions support, donner plus de place aux directions supply chain", recommande la CEO de Fiscalead.
"Les clients se réveillent mais c'est aussi le temps de la pause estivale, sourit Najat Akodad. Certaines usines sont au ralenti, il y a des sites de productions arrêtés…". Les décisions structurantes attendront le retour de vacances.