Jean-Pierre Farandou arrive au ministère du Travail: la méthode du patron de la SNCF a-t-elle convaincu les syndicats en six ans?

C'est la surprise de ce nouveau gouvernement Lecornu. Jean-Pierre Farandou a été nommé ministre du Travail et des Solidarités. En jeu notamment pour lui, la suspension de la réforme des retraites de 2023 demandée par la gauche. L'homme de 68 ans, qui a fait toute sa carrière à la SNCF, dont il est toujours PDG en attendant l'arrivée de Jean Castex pour lui succéder, a toujours mis le dialogue social en haut de ses priorités.
A la SNCF, cet ingénieur des Mines, fils d'une institutrice a dû faire face à une succession de crises et de défis notamment autour des rémunérations des agents qui ont donné lieu à d'importantes grèves, des Jeux olympiques de Paris ou encore des dispositifs d'arrêts progressifs de fins de carrière dans le cadre de la réforme des retraites au printemps 2024.
Pour faire face à ces différentes frondes, Jean-Pierre Farandou a progressivement mis en place une "plateforme de progrès social", s'appuyant sur "la cohérence et l'unité sociale" dans les rangs de la SNCF. Traduction, cette "plateforme de progrès social" est une sorte de négociation permanente et collective (donc non catégorielle a priori) qui doit permettre d'éviter d'agiter à chaque revendication une menace de grève.
"L'équilibre entre l'économique et le social, un chemin complexe et nécessaire", martelait le dirigeant. "Je suis un infatigable du dialogue social sérieux, constructif et de recherche de solutions".
Plateforme de progrès social
L'accord sur les fins de carrière a ainsi été perçu par le patron comme "une première pierre décisive dans la mise en œuvre de notre plateforme de progrès social". L'approche ne fait néanmoins pas l'unanimité. "Pour le moment, c'est plutôt un bon signal", commente ce lundi la numéro un de la CFDT Marylise Léon. "On avait un très bon dialogue avec lui quand il était à la SNCF, il avait négocié, notamment avec la CFDT, un accord sur la pénibilité il y a quelques mois", a-t-elle ajouté. "J’espère qu’il gardera ses convictions et cette façon de dialoguer avec les organisations syndicales.", poursuit-elle.
L'Unsa-Ferroviaire saluait en juillet 2024 un professionnel ayant une "connaissance remarquable des systèmes, des questions budgétaires et sociales, des dysfonctionnements d’infrastructure et de production".
"Il s’inscrit dans les pas d’un Jacques Fournier et d’un Louis Gallois, serviteurs de l’État et du service public. Malgré les différences et divergences logiques avec les syndicats, il a mené un dialogue social sincère et respectueux", poursuit l'organisation.
"La capacité de Farandou à surmonter les divergences, les injonctions, les attentes contradictoires et les intérêts antagoniques tout en affichant un résultat social le moins mauvais possible illustre des capacités bien utiles à la tête d’un Ministère comme celui du travail", commente de son côté Bernard Aubin, Secrétaire Général de FiRST (Fédération indépendante du Rail et des Syndicats des Transports).
A l'opposé de l'échiquier syndical, Thierry Nier de la CGT-Cheminots indiquait: "On peut lui reconnaître une capacité à écouter", tout en regrettant que "cela ne fasse pas tout".
Sud-Rail a plusieurs fois dit "respecter" l'homme qui parle le langage cheminot et l'a même défendu lorsque Bruno Lemaire, ancien ministre de l'Economie, voulait sa tête après la conclusion de l'accord sur les retraites qui selon le gouvernement permet de contourner sa propre réforme. "Ce n'est pas l'ADN de Sud-Rail de défendre les patrons. Par contre, c'est complètement injuste ce qui est en train de se passer", déclarait sur BFMTV Fabien Villedieu, délégué syndical de Sud-Rail.
Entre capacité à écouter et dialogue de sourds
Si elle refuse de commenter son arrivée au ministère du Travail, l'organisation n'a pas de mots assez durs pour dénoncer la stratégie déroulée par le PDG (ouverture à la concurrence, filialisations, rémunérations, financement du réseau, conditions de travail...) mais aussi le dialogue social proposé qui s'apparenterait finalement à un dialogue de sourds.
"On organise des rencontres où on présente nos revendications, pourquoi on pense qu’elles sont légitimes, comment les financer… En réponse on nous présente le contexte économique comme une fatalité, sans alternative de discussion", regrettait il y a quelques mois Julien Troccaz, cheminot et secrétaire fédéral Sud-Rail.
Pour autant, Erik Meyer, le secrétaire fédéral de Sud-Rail, se félicitait de l'accord sur les retraites permettant de "compenser en partie les effets néfastes de la réforme des retraites". Mais le syndicat épingle dans le même temps la mise en place de "groupes de travail", trop lents qui ne permettent pas d’éviter le conflit et accuse aussi la direction de monter les salariés les uns contre les autres lors des mouvements de grève.
"On fait du gréviste bashing, entre les cheminots eux-mêmes avec des cheminots déraisonnables jamais contents par rapport à ceux qui ne le seraient plus (...) c'est pas bien ce que fait Jean-Pierre Farandou là-dessus", regrettait en avril dernier Fabien Villedieu.