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"Toute l'industrie européenne peut sauter": pourquoi les grands patrons français affichent leur colère

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Bernard Arnault (LVMH), Patrick Pouyanné (Totalenergies), Florent Menegaux (Michelin)... Les grands patrons se succèdent dans les médias pour alerter sur la fiscalité et les réglementations, qui les placent selon eux face à une concurrence déloyale venue de la Chine ou des États-Unis.

Michelin, LVMH, Seb, Totalenergies, EDF ou encore Airbus... Ces entreprises ont toutes quelque chose en commun. En plus d'être de grands groupes français, leurs patrons respectifs ont tous pris la parole publiquement, ces dernières semaines, parfois avec fracas.

Ils dénoncent notamment ce qu'ils jugent être "une pression fiscale et normative" en France et plus largement en Europe, qui entame leur productivité. D'ailleurs ce "coup de gueule" des patrons dépasse les frontières françaises.

En Allemagne, fait rare (si ce n'est inédit), une centaine de fédérations patronales ont appelé à descendre dans la rue ce mercredi. Ils réclament un allégement de la charge bureaucratique, une baisse des prix de l'énergie ou encore des réductions d'impôts pour les entreprises et les travailleurs.

Des revendications qui interviennent alors que des élections auront lieu le mois prochain en Allemagne du fait de la dissolution de la coalition gouvernementale. En France aussi, le contexte politique est plutôt incertain. Et les parlementaires peinent à s'accorder pour voter un Budget pour 2025, dans un contexte de dérapage du déficit public. Ce qui ne fait qu'ajouter de l'incertitude sur les règles de jeu pour les entreprises.

"La douche froide"

C'est justement une mesure du projet de loi de finances pour 2025 qui a fait sortir de ses gonds le patron de LVMH Bernard Arnault. "Je reviens des USA et j'ai pu voir le vent d'optimisme qui régnait dans ce pays. Et quand on revient en France, c'est un peu la douche froide", a déclaré le dirigeant lors de la présentation des résultats du géant français du luxe. LVMH enregistre un bénéfice net de plus de 12 milliards d'euros, en baisse de 17% sur un an.

"Aux USA, les impôts vont descendre à 15%, les ateliers sont subventionnés dans une série d'États et le président (Trump) encourage ça", a-t-il salué. "Quand on revient en France et qu'on voit qu'on s'apprête à augmenter de 40% les impôts des entreprises qui fabriquent en France, c'est incroyable", a dénoncé Bernard Arnault.

"Pour pousser à la délocalisation, c'est idéal! C'est la taxation du made in France."

Le patron de LVMH fait ici référence à une disposition du projet de loi de finances qui prévoit une surtaxe d'impôt sur les sociétés pour les très grosses entreprises (qui réalisent plus de 3 milliards de chiffre d'affaires).

Cette mesure est prévue pour un an. Un caractère temporaire sur lequel insiste la porte-parole du gouvernement. "Dans la condition budgétaire dans laquelle nous nous trouvons, chacun doit prendre part aux efforts que nous demandons de façon temporaire", a déclaré Sophie Primas.

"Cauchemar administratif"

Mais Bernard Arnault n'est pas tout seul à monter au créneau. Ces dernières semaines les déclarations se suivent et se ressemblent. À commencer par Guillaume Faury, le patron d’Airbus, qui a dénoncé "trop de charges, trop de règlements, trop de contraintes, trop de taxes".

Il a appelé à préserver et soutenir les "filières historiquement championnes, comme l’automobile, le nucléaire et l’aéronautique".

Le patron de Michelin, Florent Menegaux, a décrit avec gravité la situation vécue par son entreprise et plus généralement par l'industrie pendant une audition de deux heures au Sénat, retranscrite par l'Opinion. Il a d'abord alerté sur le "cauchemar administratif" que représentent pour lui les normes européennes et leurs différentes transpositions dans les 27 pays européens où Michelin est présent.

Des coûts de production plus élevés en Europe

Le patron du géant du pneu a également pointé des problèmes de compétitivité. Il a sorti sa calculette et présenté les écarts entre ses couts de productions entre les continents.

"En 2019, l'Europe, par rapport à une base 100 en Asie, avait un coût de production à 134, Michelin était donc 34 % plus cher que l'Asie. C'était gérable", se souvient-il. Sauf que la situation s'est dégradée. "En 2024, nous sommes toujours à 100 en Asie, mais l'Europe à 191. On est deux fois plus cher maintenant", s'inquiète-t-il.

"Les règles de concurrence actuelle de l'Europe ont été bâties sur [l'idée qu']il faut que le consommateur puisse acheter le moins cher possible, même au détriment des industries locales", regrette Florent Menegaux.

Il a également appelé à une stabilité dans la réglementation pour pouvoir faire des investissements de long terme et développer des technologies.

"Pression fiscale et normative"

"On met de plus en plus de pression fiscale et normative sur les entreprises et les industriels, tandis que nos adversaires économiques, les États-Unis et la Chine, font tout l'inverse", a également alerté le patron de SEB, Stanislas de Gramont, lundi dans la Tribune.

"Si cela ne change pas, demain, c'est toute l'industrie européenne qui peut sauter."

Malgré tout, le groupe se porte plutôt bien avec des ventes en forte hausse, qui ont même dépasser celle de l'année record de 2021, période de confinement pendant laquelle l'électroménager avait la cote.

"Les délais administratifs incommensurables".

Sur le sujet des réglementations, les patrons d'EDF et de Totalenergies ont également pris la parole pour souligner la difficulté d'investir dans les énergies renouvelables.

"Je ne comprends pas pourquoi nous sommes capables de rénover Notre-Dame en cinq ans et qu'on n'est pas capable d'avoir les mêmes processus pour construire des usines solaires ou éoliennes en France", a cinglé Patrick Pouyanné, menaçant de déplacer ses activités vers "des pays plus accueillants", comme l'Allemagne.

Son homologue, PDG d'EDF Luc Rémont a abondé, ciblant "les délais administratifs incommensurables".

Le premier frein à la décarbonation aujourd'hui, ce sont les procédures", a-t-il critiqué.

Mais alors les patrons auraient-ils été entendus? Au niveau européen en tout cas, la présidente de la Commission a présenté ce mercredi sa "boussole de compétitivité". Avec cette feuille de route, Ursula von der Leyen promet un choc de simplification et une baisse du coût de l'énergie afin de permettre à l'UE de revenir dans la course. De premières propositions concrètes sur l'allègement des démarches administratives des entreprises et des aides à l'industrie propre sont attendues le 26 février.

Marine Cardot