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EDITO. "Boussole de la compétitivité": gare au monstre technocratique

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L'EDITO DE RAPHAËL LEGENDRE. Trois ans après avoir présenté une “boussole stratégique sur la défense”, la Commission européenne présente demain sa “boussole de la compétitivité”. Pendant ce temps-là, en France, les chefs d’entreprise multiplient les signaux d’alerte sur la complexité administrative. Il y a urgence à simplifier.

Rarement on aura entendu autant de dirigeants de grandes entreprises tirer la sonnette d’alarme en même temps. Ça a commencé avec Patrick Pouyanné de TotalEnergies et Luc Rémont le patron d’EDF, qui sur une même table ronde expliquaient début décembre pourquoi investir en France était devenu "un enfer”.

C’est l’enfer en France, mais c’est l’enfer en Europe aussi.

La semaine dernière, c’est Florent Menegaux, patron de Michelin, qui, auditionné devant la commission des Affaires économiques du Sénat, a dénoncé “le cauchemar administratif” de l’Europe avec pour une même réglementation 27 déclinaisons dans chacun des Etats membres; avec des spécificités ici ou là et avec des surenchères locales.

C’est aussi Nicolas Hiéronimus de L’Oréal qui explique qu'il ne représente que 1% des eaux usées urbaines en Europe, mais qu'il acquitte 26% des taxes créées par la directive eaux usagées urbaines, alors que le secteur des détergents, majoritairement détenus par des Américains, en est exempté.

Ou bien encore Stanislas de Gramont, patron de SEB, qui avertir qu’"avec la pression fiscale et normative, c'est toute l'industrie européenne qui peut sauter". Le message est clair: nos entreprises crèvent sous les normes.

Il va quand même falloir les écouter à un moment, nos dirigeants d’entreprises. Ou alors il ne faudra pas s’étonner qu’ils tournent le dos à la France et à l’Europe, pour renforcer leur présence là où ils peuvent bosser sans qu’on ne leur mette des bâtons dans les roues.

L’Europe a quand même décidé de répondre, à commencer par Ursula von der Leyen à Davos. La “nouvelle boussole de la compétitivité" va-t-elle permettre de changer la donne?

On l'espère! La "boussole de compétitivité" présentée mercredi par la Commission européenne a été bâtie sur les constats lucides des rapports Letta et Draghi. Elle repose sur trois piliers:

  • Simplifier et coordonner
  • Combler le retard sur l’innovation
  • Soutenir la compétitivité

Trop-plein administratif

Très bien. On va peut-être enfin basculer sur une vraie politique pro-business, avec notamment une directive "omnibus" pour simplifier le devoir de vigilance, les obligations de reporting extra-financier, la taxonomie.

Mais pour cela, une nouvelle catégorie d’entreprises va être créée, plus grande que les PME mais plus petite que les grandes entreprises. Elle existe, c’est le Mittlestand en Allemagne ou les ETI en France.

Pour l’innovation, la Commission va proposer quatorze textes en deux ans... Quatorze textes! Un 28e régime juridique unique pour les sociétés innovantes.

On va créer des "usines à IA" grâce à un nouvel “EU Cloud and AI development Act", plus un texte encadrant les technologies quantiques.

En fait à chaque initiative, un texte, une directive, des normes... Et le cauchemar technocratique continue.

Je ne veux pas caricaturer le travail de la Commission, elle va revoir sa politique de concurrence, cela fait longtemps qu’on l’attend. Elle veut revoir le régime d’analyse des fusions-acquisitions, c’est bien. Elle veut même s’attaquer au coût de l’énergie, un sujet majeur pour notre développement industriel.

Mais on voit bien que dans une machine à produire de l’administratif, plus vous plantez de fonctionnaires, plus il pousse de la norme et des impôts. Alors si on commençait par défricher en préalable? Moins de fonctionnaires et moins de textes. Voilà ce dont on a besoin.

Raphaël Legendre